| L' année 2004
Agnès Jaoui
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- Just
a Kiss (Ae Fond Kiss) de Ken Loach
- Kill
Bill, volume 2 , de Quentin Tarantino
- La
femme est l'avenir de l'homme, de Hong Sang-soo
- La
vie est un miracle d'Emir
Kusturica
- Ladykillers,
de Joel et Ethan Coen
- Lost
in translation de Sofia Coppola
- Ma
Mère de Christophe Honoré
- Mar
adentro de Alejandro Amenábar
- La
Mauvaise Éducation de Pedro Almodóvar
- Memories of Murder (sorti en Corée en2003) de Bong Joon-ho
- Mondovino
de Jonathan Nossiter
- Nathalie
d'Anne Fontaine
- Nobody
Knows , de Hirokazu Kore-Eda
- Notre
Musique de Jean-Luc Godard
-
Quand la mer monte, de Yolande Moreau
- Rois
et reine , d'Arnaud Desplechin
- Saraband,
d'Ingmar Bergman
- Shara
de Naomi Kawase
- Les Sours fachées d'Alexandra Leclère
-
Les Temps qui changent, d'André Téchiné
- Triple
Agent de Éric Rohmer
-
Un long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet
- Uzak
de Nuri Bilge Ceylan (sorti en Turquie en 2002)
- Vera
Drake, de Mike Leigh
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* Lost in translation
, de Sofia Coppola, film américain sorti en 2004, durée
102 mn,
avec Bill Murray (Bob Harris), Scarlett Johansson (Charlotte), Giovanni
Ribisi, Anna Faris, Akimitsu Naruyama.
Aux Césars 2004 :meilleur film
étranger
Bob Harris, acteur sur le déclin, se rend à Tokyo
pour tourner un spot publicitaire, bien payé, mais sans intérêt. Au téléphone,
sa femme ne lui parle que de la couleur de sa future moquette. Du haut de son
hôtel de luxe, il contemple la ville, mais ne voit rien. Il est ailleurs, détaché
de tout, incapable de s'intégrer à la réalité qui l'entoure, incapable également
de dormir à cause du décalage horaire. Dans ce même établissement, Charlotte,
une jeune Américaine fraîchement diplômée, accompagne son mari, photographe de
mode. Ce dernier semble s'intéresser davantage à son travail qu'à sa femme. Se
sentant délaissée, Charlotte cherche un peu d'attention. Elle va en trouver auprès
de Bob. Sofia Coppola filme avec humour et sensibilité l'enfermement
dans les grands hôtels de luxe pour occidentaux, le caractère artificiel
et puéril des distractions de Tokyo. Pour plus de réalisme, certaines
scènes ont été tournées sur le vif, quasiment en caméra
cachée. Elle réfute aussi la possibilité pour Bob ou
Charlotte d'être touché par la spiritualité japonaise ou le
charme de l'ikebana. Même le voyage à Kyoto
est anecdotique. Ce qui fait le charme principal du film, c'est l'art de
saisir pudiquement les moments clés où, progressivement Bob et Charlotte
vont se découvrir et commencer à s'apprécier, puis à
s'aimer. |  |
La caméra sait éviter soigneusement de montrer
ce qui est superflu. Par exemple l'aventure de Bob avec la chanteuse de l'hôtel
passe directement du bar au réveil du lendemain pour mieux souligner son
manque de signification. Elle sait rendre compte aussi du mélange de curiosité,
d'attirance et d'incompréhension que l'on ressent en arrivant au Japon
En bref malgré la banalité de l'histoire, souvent abordée,
un film drôle, sensible et original.
*
Nathalie , d'Anne Fontaine, sorti en 2004, durée 105
mn, avec Fanny Ardant (Catherine), Emmanuelle
Béart (Marlène, Nathalie), Gérard Depardieu (Bernard) Wladimir Yordanoff,
Judith Magre, Rodolphe Pauly.
Catherine, bourgeoise aisée, gynécologue, est mariée depuis trente
ans avec Bernard dont l'activité le pousse à beaucoup voyager. Leur
fils vit en pointillé dans leur appartement. Après des années de bonheur, leur
relation s'est effilochée et leurs relations sexuelles sont au point mort. Elle
découvre que Bernard a une liaison, qu'il avoue mais qu'il déclare sans importance.
Au lieu de le quitter ou de laisser exploser sa colère, elle se rend dans
un bar et essaie d'imaginer par quel genre de femme son époux a pu être séduit.
Son choix se porte sur une entraîneuse du nom de Marlène. Elle lui propose de
la payer (largement) pour séduire son mari. Elle va aussi la rebaptiser Nathalie
et exiger qu'elle lui raconte tout en détail. Les rendez-vous se succèdent.
Nathalie raconte ses ébats avec des détails de plus en plus crus et lui fait même
visiter les lieux des rencontres. Catherine accuse les coups, mais retrouve
du tonus. Dans ces rencontres perverses, finalement, les deux femmes y trouvent
leur compte. Jusqu'au coup de théâtre final, prévisible, mais qui change la signification
globale au film. | 
Emmanuelle Béart et Fanny Ardant, jeux de miroir..qui manipule qui? |
Les trois acteurs principaux sont remarquables, ils savent
doser leur jeu pour laisser à chaque personnage sa crédibilité
sa part de mystère. 23 ans après "La
femme d'à coté" (1981) de Truffaut,
Fanny Ardant retrouve Gérard Depardieu, mais cette fois dans une situation
de couple légitime. Gérard Depardieu se contente d'un jeu très
sobre parfaitement adapté au rôle passif de l'homme confronté
aux complexités de la manipulation et de l'ambiguïté féminines.
Comme
dans "Nettoyage à sec"(1997) Anne Fontaine explore la fascination perverse d'un
couple aisé pour un milieu marginal. Mais là, les mots remplacent les images
(à part quelques scènes de la boîte de nuit) et souligne le
rôle de l'imagination et du fantasme dans la formation du désir.
Outre la référence à Truffaut, on peut évoquer aussi
Luis Buñuel et son "Cet
obscur objet du désir"( 1977)
Nous ne sommes pas devant un classique
film sur la vengeance d'une femme trompée mais devant une tentative de
reconstruction d'un couple, tentative chaotique, pleine d'essais de doutes et
d'erreurs. Anne Fontaine ne porte pas de jugements et laisse le spectateur libre
de choisir si cette tentative va réussir ou pas.
Anne
Fontaine déclare: "Au départ, j'avais lu un scénario de Philippe Blasband qui
traitait de la relation entre une femme et une prostituée. Il s'agissait d'une
histoire de vengeance, de piéger un mari qui n'apparaissait qu'à la fin. Ce qui
m'a intéressé, c'était de partir d'une femme mariée qui engageait les services
d'une professionnelle, et qui vivait, sans l'avoir décidé vraiment, un rapport
au sexe par procuration"
*
"Buongiorno, notte" de Marco Bellocchio, sorti en 2004, durée
105 mn, avec Roberto Herlizka (Aldo Moro), Maya Sensa (Chiara), Luigi Lo Cascio
(Mariano), Pier Giorgo Bellocchio(Ernesto)
En
1978, Aldo Moro, président de la Démocratie Chrétienne en
Italie, est enlevé, séquestré pendant 55 jours, et finalement
assassiné par un petit commando des Brigades rouges. Cet événement
marqua profondément la vie politique italienne.
 | Deux
terroristes du commando qui prépare l'enlèvement d'Aldo Moro, visitent un appartement
tranquille et prennent des mesures pour un mystérieux bricolage. Une bibliothèque
cachera l'entrée de la pièce où Moro restera enfermé sous la garde de Mariano,
Ernesto, Primo et Chiara. Cette dernière a gardé son travail de bibliothécaire
faisant ainsi, seule, le lien avec l'extérieur. Les négociations traînent
en longueur, mais l'État est inflexible : libération de Moro sans conditions.
Ses geôliers eux-mêmes désirent jusqu'au bout le compromis , mais ils sont prisonniers
de leur idéologie. Bellocchio, par de petits détails, montre les failles
de la carapace de chacun. Ernesto fait une sortie pour aller voir sa femme ; Primo,
le dur, est tout remué. par la disparition de ses deux canaris. Mais Bellocchio
s'est surtout attaché au personnage de la femme : Chiara. Fille de partisan fusillé
par les fascistes, elle ne peut s'empêcher de faire un rapprochement entre son
père et le prisonnier. Ses rêves la ramènent aux parades communistes russes, mais
aussi aux fusillades des partisans. Tiraillée entre son idéologie et ses sentiments,
elle est contre la condamnation à mort et rêve que Moro se sauve. |
Bellocchio
donne toute épaisseur à ses personnages en les filmant souvent séparément : Moro,
au fond de sa cache, dans une solitude totale ; Chiara, les larmes aux yeux à
l'écoute d'une lettre de Moro à sa femme ; Mariano, en sueur, à l'idée d'aller
jusqu'au bout : c'est à dire, la mort .
Bellocchio a bâti
son film à partir du livre " Le Prisonnier " d'Anna Laura Braghettit (la terroriste
du groupe, ici nommée Chiara)
Ni film politique, ni film sur le terrorisme,
"Buongiorno, notte" est un film sur le huis clos qu'ont représenté la longue séquestration.
Bellochio, en mélangeant fiction et réalité, a donné à la chose une dimension
hors du temps. C'est la confrontation des terroristes et du séquestré. Les premiers
sont aveuglés pas leur idéologie : prêts à mourir, mais aussi prêts à tuer au
nom de la justice du peuple. "Prêt à mourir comme les martyrs chrétiens" répond
Aldo Moro. Le cinéaste s'est penché sur les sentiments de ces êtres en présence
les uns des autres pendant presque deux mois. Moro est un être profondément humain,
qui ne se révolte pas, essaie de convaincre ses ravisseurs, écrit lettres sur
lettres pour obtenir le compromis qui permettrait sa libération contre celle des
prisonniers politiques, mais qui sera victime du cynisme de son parti et de la
lâcheté du pape.
Triple
Agent de Éric Rohmer, sorti le 17 mars 2004, durée
115 mn;
avec Serge Renko (Fiodor), Katerine Didaskalu (Arsinoé), Cyrielle
Claire (Maguy), Emmanuel Salinger (André), Amanda Langlet (Janine), Grigori Manoukov
(Boris), Dimitri Rafalsky (Général Dobrinsky)
En 1936, sur fond de Front populaire et
de guerre d'Espagne, Fiodor, jeune général de l'armée tsariste, s'est réfugié
à Paris avec son épouse grecque Arsinoé. Pendant qu'elle sympathise avec des voisins
communistes, André et Janine, il effectue des voyages secrets et ne cache
pas son activité d'espion. Mais pour le compte de qui travaille-t-il exactement?
De l'Allemagne nazie, des Blancs anticommunistes ou de la Russie soviétique? Ce
film est librement inspiré d'une affaire réelle restée en
partie mystérieuse. Il est plongé dans la tourmente d'avant la deuxième
guerre mondiale, avec ses retournements d'alliances et ses trahisons multiples.
Comme toujours chez Rohmer, il y a également un aspect "conte
moral", portant dans ce cas sur le mensonge et la dissimulation. Ce
thème de la dissimulation, au lieu d'être centré sur l'intimité
et les sentiments réciproques, est illustré dans ce cas par Fiodor,
qui ment plus ou moins à tout le monde, et mélange toujours une
partie de vérité et une partie de manipulation dans ses propos. |  |
Éric Rohmer explique lui-même la genèse
du film, en grande partie fondée sur des faits réels:
"
C'est un cheminement assez semblable à celui de L'Anglaise et le Duc: un article
de la revue Historia, lu il y a quelques années, a attiré mon attention sur une
sombre affaire : l'enlèvement en septembre 1937, à Paris, du général Miller, le
président des Anciens combattants russes.
On a accusé son collaborateur direct,
le général Skobline, qui aurait été retourné par les agents bolcheviks. Mais il
a disparu lui-aussi après l'enlèvement.
C'est une affaire assez complexe
puisqu'elle a pour toile de fond les négociations secrètes entre soviétiques,
nazis et français, durant la période du Front Populaire, de la guerre d'Espagne,
de la montée des périls, et que les deux protagonistes ont disparu : il ne restait
plus que la femme du présumé coupable, accusée de complicité, jugée, condamnée,
morte en prison en 1943."
Shara
de Naomi Kawase (titre original Sharasojyu), japonais, sorti le 31 mars 2004,
durée 99 mn, sélection officielle Cannes 2003, avec Kohei Fukungaga
( Shun ), Yuka Hyyoudo (Yu), Naomi Kawase (Reiko, la mère de Shun), Katsuhisa
Namase (Taku), Kanako Higuchi (Shouko, la mère de Yu)
Le famille Aso habite avec leurs jumeaux,
Kei et Shu dans le vieux quartier de la ville historique de Nara,
ancienne capitale du Japon. En plein été, alors que les deux enfants se poursuivent,
Kei disparaît soudainement, au coin d'une ruelle, comme volatilisé. Cinq années
ont passé. Shun a maintenant dix-sept ans. Au lycée il s'est inscrit à l'atelier
de peinture. Il travaille sur le portrait de son frère disparu, qu'il n'a jamais
pu oublier. Shun et son amie d'enfance Yu, sont attirés l'un vers l'autre,
mais une douleur secrète les paralyse. Un jour, Yu découvre le secret de sa naissance,
de son côté Shun apprend ce qu'il est advenu de son frère jumeau, retrouvé
mort. Par ailleurs la mère de Shun attend un enfant. Ces révélations
déclenchent un lent processus de maturation, Shun et Yu sont alors prêts
à prendre leur destin en main. |  |
Shara est un film sur la douleur intérieure,
difficile à extérioriser et même à nommer. Il se situe
dans le cadre plus général de la difficulté des Japonais
à identifier et surtout à exprimer devant les autres leurs sentiments.
La forme est lente et la caméra subjective, souvent tenue à
l'épaule, peut déconcerter le spectateur. Nous trouvons une simplicité
de moyens qui rappelle les principes du Dogme95.
En particulier la ville de Nara, qui compte des dizaines de merveilleux temples
à quelques mètres des lieux de tournage, n'est utilisée que
pour son vieux quartier où se situent les familles. Shara est l'histoire
d'une double renaissance et d'une naissance. On suit plusieurs fois, sans interruption,
dans un long mouvement, la fuite en avant des personnages dans le labyrinthe des
ruelles. |  |
Les états d'âme des personnages s'expriment à travers
leurs déplacements. L'observation très minutieuse de gestes anodins nous fait
accéder à une vision spiritualiste. Dessiner - mais pour fixer le visage du double
disparu. Jardiner - mais comme pour célébrer la vie, juste avant d'accoucher.
S'attarder sur l'épaisseur de l'encre de chine - mais pour mieux inscrire les
mots "lumière" et "obscurité".
C'est une des clés du film, avec ses
séquences volontairement sur ou sous-exposées, et ses parties alternativement
mystérieuses ou très évidentes.
La part
autobiographique, dans Shara, est souvent présente en toile de fond, transposée.
La scène où la jeune fille apprend la vérité sur ses parents, Naomi Kawase
l'a vécue lorsqu'elle a appris la vérité sur son père, qu'elle
n'a pas connu et qui a refusé de la reconnaître avant de disparaître
définitivement :
"On marchait côte à côte avec
ma mère, on faisait les courses ; la banalité de nos actes m'aidait finalement,
sur le moment, à surmonter le choc ; j'étais dans la rue avec mon sac à commissions
et il fallait rentrer."
Naomi Kawase a tourné
ce film à la suite d'un documentaire sur la mort du photographe Kenzuo
Nishii, atteint d'un cancer en phase terminale, à la demande de celui-ci.
Elle déclare:"Ensuite j'ai décidé de faire
un film qui, dans le sillage de Kenzuo Nishii, serait plein de courage et d'espoir.
Parce que, en filmant la mort de si près, j'ai vu à quel point elle n'est qu'un
aspect de la vie. ... Je crois que, lorsque j'ai filmé son dernier souffle, c'était
comme une promesse. Peut-être est-ce pour cela que, dans Shara, la scène finale
de l'accouchement a pris cette tournure. La naissance est aussi longue et dure
qu'elle va être une source de joie ; dans ces instants, on sent combien tout est
entremêlé."
* La
Mauvaise Education de Pedro Almodóvar (La mala Educación), sorti
en 2004, ouverture, Hors compétition, de Cannes 2004, durée
110 mn;
avec Gael Garcia Bernal (Angel / Juan / Zahara), Javier Camara (Paquito),
Fele Martinez (Enrique Goded), Daniel Gimenez Cacho (le père Manolo), Lluis Homar
(Monsieur Berenguer), Francisco Boira (Ignacio), Francisco Maestre (Le père José)
; Compositeur Alberto Iglesias.
Le film se situe à trois niveaux
et à trois époques, le niveau "présent", en 1980; les souvenirs de collège, dans
les années 1960 et la fiction, objet d'une nouvelle et du film dans le film vers
1975.
Madrid, 1980. Enrique Goded, jeune réalisateur à succès, cherche une
histoire pour son quatrième film dans les pages des faits divers des journaux.
Quelqu'un sonne à la porte, le visiteur est un séduisant jeune homme barbu qui
dit être son camarade d'école Ignacio Rodríguez.
Enrique se souvient parfaitement
de son ami du collège mais ne reconnaît aucun de ses traits chez le jeune visiteur.
Ils ne se sont pas vus depuis seize ans. À l'époque du collège, Ignacio avait
une vocation littéraire qu'il avait peu à peu abandonnée pour celle de comédien.
En tout cas il a sous le bras une nouvelle intitulée "La Visite". Il la donne
à Enrique au cas où celui-ci serait intéressé.
La nouvelle s'inspire de leur enfance à
tous les deux, leurs problèmes avec les curés, et spécialement avec le Père Manolo,
le football, l'hypocrisie, le laminage des esprits, les harcèlements pédophiles,
les messes en latin chantées par Ignacio. Parallèlement, elle raconte une découverte
essentielle pour les deux enfants, le cinéma : la mythique Sara Montiel, "Hercule",
dans une salle qui rappelle "Cinéma Paradisio". L'imagination d'Ignacio-auteur
fait en sorte que les trois personnages se rencontrent quelques années après,
à l'âge adulte. Enrique est devenu un frustré provincial, et Ignacio s'est transformé
en Zahara, un travesti drogué qui imite Sara Montiel La rencontre des trois
personnages, dans la fiction, se termine tragiquement. |  |
Enrique Goded lit la nouvelle avec un vif
intérêt. Il est très ému par la première partie, celle qui traite de son enfance,
de son histoire d'amour avec Ignacio, interrompue par le père Manolo qui, amoureux
d'Ignacio, chasse Enrique du collège pour ne pas avoir à rivaliser avec lui.
La deuxième partie, la visite au collège d'Ignacio, devenu Zahara, l'intrigue
et le déconcerte, mais l'intéresse aussi. Il décide d'adapter "La Visite"
et d'en faire un film. Lorsqu'il l'annonce à Ignacio Rodríguez, dont le nom de
scène à ce moment-là est Ángel Andrade celui-ci exige d'interpréter le
personnage de Zahara. Enrique, troublé, enquête et découvre que le séduisant jeune
homme venu lui demander du travail n'est pas Ignacio Rodríguez, mort trois ans
auparavant, mais son frère. Ángel Andrade (le faux Ignacio) revient le voir.
Il s'est rasé la barbe et a un peu minci. Enrique lui accorde un essai, lui confie
le rôle et fait de lui son amant. Il veut comprendre les raisons de l'imposteur
et jusqu'où le conduira son imposture. Il veut savoir comment est mort Ignacio,
son camarade de classe. Le dernier jour du tournage, un visiteur se présente
sous le nom de Monsieur Berenguer, mais Enrique reconnaît le père Manolo, habillé
en civil. Poussé par la même suicidaire curiosité qui l'avait conduit à travailler
avec Ángel Andrade, tout en le sachant imposteur, Enrique accepte que le père
Manolo lui raconte la véritable et tragique histoire d'Ignacio-adulte |  |
Dans ce film , longuement préparé,
Almodóvar présente un retour plus profond, plus sombre et certainement
le plus sincère possible aux sources de son inspiration, de ses frustrations
et de ce qui a façonné sa vie et son oeuvre.
Il se sort avec
brio de ce scénario compliqué et de la classique mise en abîme
du film dans le film.
On peut le comparer à Luis
Buñuel dans sa dénonciation de la "déchirure"
provoquée par une mauvaise éducation ultra-religieuse mais il conclut
le film en rappelant que sa passion de la création cinématographique
reste sa planche de salut.
Almodóvar
déclare:
" Je devais faire "La Mauvaise éducation", je devais
me l'enlever de la tête avant que ça tourne à l'obsession.
J'avais remanié
le scénario pendant plus de dix ans, et ça pouvait continuer comme ça dix ans
de plus. Vu la quantité de combinaisons possibles, la trame de "La Mauvaise éducation"
ne pouvait finir de s'écrire qu'une fois le film tourné, monté et mixé.
"La
Mauvaise éducation" est un film très intime, mais pas exactement autobiographique.
...
"La Mauvaise éducation" n'est pas un règlement de comptes avec les curés
qui m'ont mal élevé ni avec le clergé en général. Si j'avais eu besoin de me venger,
je n'aurais pas attendu quarante ans pour le faire. L'Église ne m'intéresse pas,
pas même comme adversaire."
*
Notre Musique de Jean-Luc Godard; sorti en 2004,
Suisse-France, durée 80 mn; avec Sarah Adler (Olga), Jean-Christophe Bouvet (Un
journaliste), Nade Dieu , Rony Kramer , Simon Eine, George Aguilar, Leticia Gutierrez,
Ferlyn Brass, Simon Eine, Jean-Christophe Bouvet , Elma Dzanic et, dans leur propre
rôle, Jean-Luc Godard , le poète Mahmoud Darwich, l'écrivain Pierre Bergounioux,
Juan Goytisolo , Jean-Paul Curnier, Gilles Pecqueux.
Ce film se compose de trois parties de longueurs
inégales: "Royaume 1 - Enfer" est composée de diverses images de guerre,
sans ordre chronologique ni historique. Les images sont issues de films documentaires,
de documents de propagande des armées ou issues de films de fiction. Aucun
son original mais de la musique et quelques phrases. Ces séquences très courtes
résument les différentes façons de dominer, de tuer ou de mourir. "Royaume
2 - Purgatoire" est la partie la plus longue. Elle se déroule de nos jours dans
la ville de Sarajevo à l'occasion des Rencontres Européennes du Livre. Il
s'agit de conférences ou de simples conversations à propos de la nécessité de
la poésie, de l'image de soi et de l'autre, de la Palestine et d'Israël, des Indiens
d'Amérique, et qui sont le fait de personnes réelles comme de personnages imaginaires.
Une visite au pont de Mostar en reconstruction symbolise l'échange entre culpabilité
et pardon. Godard lui-même nous livre une magistrale leçon de décodage des
images, en nous montrant comment deux images semblables peuvent être lues de façons
radicalement opposées en fonction du mythe qui peut exister en arrière plan. Une
courte réflexion sur le suicide complète la démonstration. "Royaume
3 - Paradis" montre une jeune femme qui, s'étant sacrifiée pour la paix en Israël,
trouve sa récompense au bord d'un lac idyllique mais étroitement surveillé. Godard
nous livre ce terrible avertissement : " Les rues du Paradis sont gardées par
les Marines des États-Unis d'Amérique" |  |
Ce film, présenté à Cannes en 2004, est le plus lisible,
le plus clair et le plus structuré que Godard ait réalisé depuis bien des années.
Il se complaisait un peu à nier le Cinéma et à travailler à son autodestruction,
il nous donne là une uvre qui donne à voir et nous pousse à réfléchir.
Alors que Michael Moore est couronné pour un pamphlet qui ne fait que reprendre
les méthodes approximatives de ceux qu'il dénonce et reste au niveau de l'anecdote,
Godard s'adresse à notre intelligence et tente de trouver les racines communes
de toutes les guerres. Il rend hommage à travers les livres et une bibliothèque
désolée au Fahrenheit 451, celui de Truffaut.
Godard n'a pas toutes les réponses, comme en témoigne un long et gros plan poignant
où il reste silencieux mais il pose peut-être les bonnes questions.
Biographie
et Filmographie complète de Jean-Luc Godard
Quelques
Phrases Du Film:
- « Pourquoi Sarajevo. Parce que la Palestine et que j'habite
Tel Aviv. Je souhaite voir un endroit où une réconciliation semble possible. »
- « Chacun peut faire à présent qu'il n'y ait pas de Dieu, et qu'il n'y ait rien
mais personne ne l'a encore fait. »
- « Il y a plus d'inspiration et de richesse
humaine dans la défaite que dans la victoire. »
- « Il faut à la fois restaurer
le passé et rendre possible le futur, marier la souffrance avec la culpabilité.
»
Pour replacer le film dans l'histoire
des conflits yougoslaves de ces soixante dernières années.
Jean-Luc Godard déclare : "Ce film est à la fois personnel et impersonnel.
J'ai été élevé dans une éducation européenne. Je suis pour les frontières, mais
contre les douaniers (...) J'aime aller voir les victimes, les blessés, cela vient
probablement de mon père médecin. Une fois que la guerre est prétendument finie
(...) les journalistes ne viennent plus. C'est là que le purgatoire commence.
Le purgatoire est une métaphore de la vie (...) Pour parler comme certains écrivains,
ce n'est pas moi qui ai choisi Sarajevo, mais c'est Sarajevo qui nous a choisis."
* Clean
de Olivier Assayas; sorti en 2004; durée 110 mn; scénario de Olivier
Assayas, Malachy Martin, Sarah Perry; avec Maggie Cheung ( Emily Wang), Nick Nolte
(Albrecht Hauser), Béatrice Dalle (Elena), Jeanne Balibar (Irene Paolini), Don
McKellar (Vernon), Martha Henry (Rosemary Hauser), James Johnston (Lee Hauser),
James Dennis (Jay), Rémi Martin (Jean-Pierre), Laetitia Spigarelli (Sandrine),
David Salsedo (Jeff), Mary Moulds.
Prix d'interprétation féminine
Cannes 2004 pour Maggie Cheung.
Le film ouvre sur des plans de sites industriels
au Canada, des feux allumés brillent au loin, à la fois ardents et sombres,
comme les personnages. Lors de la nuit funeste où Emily se dispute avec Lee, elle
se fait un shoot dans sa voiture, devant ce décor. Au moment où la drogue
pénètre dans son corps, un feu incandescent jaillit de la bouche d'une cheminée
d'usine. Ce feu destructeur, image du poison fatal que s'injecte Emily, contamine
le décor et le corps de l'héroïne. Emily atteint un point de non-retour. Au petit
matin, l'héroïne découvre le corps rigide de son compagnon, mort d'une overdose.
Incriminée, elle purge une peine de six mois de prison et perd la garde de son
fils, confié à ses grands-parents. Dans une deuxième partie plus
longue que la première, Emily, rendue à une vie prosaïque, doit faire face
et assumer ses responsabilités, elle doit renoncer à la drogue et à son mode de
vie passée pour récupérer son fils. |  |
Les retrouvailles avec l'enfant sonnent juste, sans
pour autant être larmoyantes. Emily s'adresse à son fils comme à un adulte. Elle
ne cherche pas à édulcorer sa descente aux enfers, lui mentir sur son passé. Le
film trouve un délicat équilibre et Maggie Cheung interprète
avec précision et gravité une héroïne en équilibre précaire.
Dans un final
très réussi, Emily se reconstruit par et grâce à la musique. Sur
la proposition de David Roback de Mazzy Star (dans son propre rôle), elle se décide
à enregistrer un album. Sa voix s'élève nue et dépouillée, elle qui repart de
zéro.
L'originalité du film tient à son relativisme. Toute certitude
en est exclue, y compris quand les choses s'arrangent un peu pour Emily. Les hommes,
les femmes et même les enfants peuvent se parler, se comprendre, changer d'avis
les uns à propos des autres, se dire la vérité, se laisser mutuellement une chance.
*
La vie est un miracle d'Emir Kusturica (titre serbe: Kad je zivot bio cudo ) franco-serbe;
durée 154 mn;
avec Slavko Stimac (Luka), Natasa Solak (Sabaha), Vesna
Trivalic (Jadranka), Vuk Kostic (Milos), Aleksandar Bercek (Velja), Stribor Kusturica
(Capitaine Aleksic), Nikola Kojo (Filipovic), Mirjana Karanovic (Nada), Branislav
Lalevic (Presdjednik), Davor Janjic (Tomo), Adnan Omerovic (Eso), Obrad Durovic
(Vujan) et aussi une ânesse, un ours, un chien, un chat et des volatiles.
Nous sommes en 1992 dans une Yougoslavie
en décomposition. Les fièvres nationalistes enflamment la région. Luka, un ingénieur
serbe, est chargé d'installer une ligne de chemin de fer entre deux villages de
montagnes. Il est venu de Belgrade avec sa femme Jadranka, chanteuse d'opéra aphone,
et son fils Milos, qui rêve de devenir footballeur professionnel. Mais
Jadranka le quitte pour un musicien qui promet de relancer sa carrière de chanteuse
d'opéra, et Milos est appelé à l'armée. La guerre se déchaîne très
vite et le front passe tout près de là. Milos est fait prisonnier.
Survient alors une jeune infirmière musulmane, Sabaha, dont les militaires lui
ont confié la garde, une prisonnière qui doit être échangée contre son fils auprès
des troupes adverses. Ils vont vivre ensemble une histoire d'amour, chaotique,
romantique et à mi-chemin entre le rêve (le lit des amants qui vole)
et le réalisme (le tireur embusqué qui ajuste Sabaha alors qu'elle
satisfait un besoin naturel derrière un buisson) |  |
Ce
film met en scène des personnages nombreux et haut en couleurs; il montre
également des animaux qui ont de vraies personnalités: une ânesse
dépressive et suicidaire qui réussit à bloquer les trains,
un ours qui annonce la reprise du conflit, un chien et un chat qui finissent par
se réconcilier. La ligne de chemin de fer et les véhicules
qui y circulent sont symboliques: conçus pour le tourisme, les rails vont
voir passer un train militaire, des trafiquants qui prennent l'expression "rail
de coke" au pied de la lettre et surtout des draisines à main ou des
voitures sur rails. Enfin les paysages, sous la neige ou le soleil sont somptueux
( le film a été tourné à Zlatibor, aux confins de la Serbie et de
la Bosnie) Kusturica nous livre un film moins sombre qu' Underground,
plus porteur d'espoir tout en se gardant d'une édulcoration trop forte
( genre: La vie est belle, pour comparer avec un titre ressemblant). |  |
Neuf ans plus tard, il suggère que la vie est plus
forte et nous incite surtout à la tolérance: Il nous démonte
les préjugés que peuvent avoir les communautés envers les
autres. Sabaha, musulmane, est blonde et surtout pas voilée. Les différences
linguistiques, mises en avant par les nationalistes, semblent anecdotiques et
ne résistent pas à l'examen.
Emir Kusturica
a tenté de réaliser une fable, "sans chercher à désigner la nation qui a
raison, la nation qui a tort, l'agresseur et l'agressé", une parabole sur la guerre.
Le souvenir de la guerre des Balkans reste encore très vivace.
Pour mesurer la complexité de la situation yougoslave ces soixante dernières années
et se garder de jugements hâtifs.
Il ajoute:"Cette histoire se déroule
pendant la guerre et, à mon avis, c'est ce qui lui donne toute sa dimension idéologique,
parce que cette guerre était extrêmement sale. Rien à voir avec ce que vous avez
vu à la télévision, dont le traitement superficiel et manipulateur décrédibilise
tout. J'ai essayé d'approfondir les réactions humaines."
* Brodeuses de Eléonore
Faucher ; sorti en 2004 durée 88 mn; scénario de E. Faucher et Gaëlle
Macé; avec : Lola Naymark (Claire), Ariane Ascaride (Mme Mélikian), Marie Félix
(Lucile), Thomas Laroppe (Guillaume), Arthur Quehen (Thomas), Jackie Berroyer
(M. Lescuyer), Anne Canovas (Mme Lescuyer), Marina Tomé (La gynécologue).
Claire est une jeune fille
de 17 ans, simple mais pleine de vitalité, qui vit en Charente, à la campagne,
et travaille dans un supermarché de la banlieue d'Angoulême. Elle affronte le
froid sur un vélomoteur hors d'âge. Le travail est dur, mais elle
a une grande passion : la broderie, à laquelle elle consacre ses heures de loisir.
Elle découvre tout à coup qu'elle est enceinte de cinq mois. Sa mère, toute à
sa vie et à ses soucis, ne s'aperçoit de rien. Claire songe alors à accoucher
sous X, elle arrête son travail de caissière dans une grande surface. Elle
va parvenir à se faire embaucher par une brodeuse, Mme Mélikian, ancienne de chez
Lacroix, qui a vécu le grand drame de la mort accidentelle de son fils et qui
a perdu foi en la vie. Peu à peu, une relation très forte va se nouer entre
ces deux femmes, de générations différentes, à la fois au plan professionnel et
au plan humain. Elles vont s'aider l'une l'autre à regarder l'avenir, aider la
plus jeune à se frayer un chemin vers la vie adulte et remettre en selle l'ancienne
en lui fournissant de nouvelles raisons de continuer son chemin. |  |
Ce film sensible est loin des scènes de la bourgeoisie
parisienne. Il aborde avec sensibilité la maternité précoce
et non souhaitée, la solitude et la faculté de surmonter le deuil
d'un fils unique. La broderie est utilisée avec intelligence pour sa beauté
formelle et sa métaphore du lent et minutieux travail de (re)construction
d'une vie.
*
Comme une image d'Agnès Jaoui; sorti en 2004; scénario
d' Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri ; musique de Philippe Rombi; avec Marilou
Berry (Lolita Cassard), Agnès Jaoui (Sylvia Millet), Jean-Pierre Bacri (Étienne
Cassard), Laurent Grévill (Pierre Millet), Virginie Desarnauts (Karine), Keine
Bouhiza (Sébastien); Prix du scénario, Cannes 2004.
Une jeune fille de vingt ans, Lolita Cassard,
en veut au monde entier, parce qu'elle ne ressemble pas aux filles des magazines,
en tout cas pas à sa jeune belle mère, et elle aimerait tellement se trouver belle,
au moins dans le regard de son père. Son père, Étienne regarde
peu les autres, parce qu'il se regarde beaucoup lui-même et qu'il se sent vieillir,
et qu'il a sûrement manqué d'amour lui aussi et qu'il a dû se battre pour trouver
sa place. Pierre Miller, un écrivain obscur, doute de ne jamais rencontrer
le succès, jusqu'au moment où il rencontre Etienne Cassard. Une professeur
de chant, Sylvia Miller, qui croit au talent de son mari, doute du sien et de
celui de son élève Lolita, jusqu'au moment où elle se rend compte qu'elle est
la fille d'Étienne Cassard cet auteur qu'elle admire tant. C'est
l'histoire d'êtres humains qui savent très bien ce qu'ils feraient s'ils étaient
à la place des autres mais qui ne se débrouillent pas très bien à la leur, qui
la cherchent tout simplement. |  |
Agnès Jaoui filme avec subtilité notre
quotidien, formé de petites trahisons lâchetés, compromissions.
Elle ne porte pas de jugement, elle décrit avec un regard aigu sans jamais
utiliser les coups de théâtre ou le spectaculaire. Par exemple, on
pense que Lolita va faire une tentative de suicide, mais pas besoin d'artifice
pour entretenir une certaine tension.
Cette tension est évacuée
à intervalles réguliers par la présence du chant choral.
Dans les scènes de répétition de Lolita avec son ensemble vocal puis lors du concert
dans l'église romane, Jaoui capte des moments de vérité purement cinématographique
qui disent le trac, l'envol de la voix, la communion. Elle crée là un rythme fluide,
une respiration bien venue quand la caméra se rapproche avec douceur de Lolita
révélée, au visage de madone. A travers ce personnage enfin en accord avec elle-même
et les autres, à travers aussi son rôle de Sylvia, qui dirige l'ensemble dans
l'ombre comme un cinéaste ses acteurs, Jaoui trouve la note juste et personnelle.
* 2046 de Wong
Kar-waï, sorti en 2004, coproduction Chine-France-Allemagne,
VO en mandarin, cantonnais et japonais, durée 129 mn,
avec : Tony
Leung (Chow Mo-wan), Gong Li (Su Li-zhen), Faye Wong (Wang Jin-wen), Zhang Ziyi
(Bai Ling), Takuya Kimura (Tak), Carina Lau (Lulu/Mimi), Chen Chang, Wang Sum
(Mr. Wang) et Maggie Cheung en invitée (rôle éclair dans un
taxi) Chow
Mo Wan est écrivain, célibataire ne souhaitant pas s'attacher. Il
écrit dans une chambre d'hôtel un roman de science-fiction mais il
écrit sur son passé, ses amours et peut-être ses regrets.
Dans son roman, un mystérieux train part de temps en temps pour 2046. Tous ceux
qui allaient là-bas étaient mus par la même intention... retrouver leurs souvenirs
perdus. 2046 serait une ville mythique où le temps s'arrête, les souvenirs ne
se perdent plus. En tout cas, nul n'en était jamais revenu. Mais la partie
anticipation, pourtant brillante et remplie de somptueux effets spéciaux
n'est qu'une illustration et une parabole. L'essentiel du film est formé
de récit, de souvenirs des années 1960, en particulier de différentes
soirées du 24 décembre, l'écrivain n'aimant pas passer la
soirée seul, mais n'étant pas disposé à se lier durablement
à une femme. La relation avec In the
Mood for Love (2000) est à la fois évidente et lointaine. Le
personnage de l'écrivain porte le même nom et vit toujours dans une
chambre d'hôtel. Mais Su Li-zhen est une femme mystérieuse, joueuse
de cartes professionnelle, à la main toujours gantée, qui a autrefois
aidé Mo-Wan, sans toutefois se livrer. Le travail de mise en scène
, en occultant souvent une partie de l'écran par des rideaux, des murs,
des cloisons, le choix des couleurs sont remarquables. La belle voisine,
Bai Ling, femme légère entraîne l'écrivain dans des
jeux sensuels et assez torrides. Le cinéaste n'hésite pas alors
à filmer l'amour physique et impose même à ses acteurs, pour
un adieu, un long baiser violent et presque cannibale. Mais Mo-wan, faute
de trouver en elle la femme idéale et pour continuer son travail de création,
ne souhaite pas continuer leur relation qui avait pourtant trouvé un équilibre
précaire. La fille du patron de l'hôtel, jeune et pure, est
amoureuse d'un japonais de passage. Elle apprend sa langue, avec passion et même
ses pieds participent à cet apprentissage. Malgré l'opposition de
son père et avec l'appui platonique de Mo-wan, qu'elle aide dans son travail
d'écrivain, elle persiste et lui reste fidèle. Elle réussira
à se marier avec lui, au Japon, et même à y faire venir son
père. Elle est la seule à jouer un rôle significatif dans
la partie anticipation du film. Wong Kar-waï revient à nouveau
sur la difficulté d'aimer, de se livrer et de s'engager sur la durée,
sur les regrets et l'impossibilité de revenir sur le passé. Ses
personnages sont multiples et même si la tonalité générale
est romantique et plutôt pessimiste (les rencontres ont lieu trop tôt
ou trop tard), le personnage incarné par Faye Wong apporte la fraîcheur
et l'espoir. Le travail de mise en scène, en occultant souvent, sur
les scènes de mémoire, une partie de l'écran par des rideaux,
des murs, des cloisons, nous montre que la réalité n'est pas facile
à découvrir, surtout en opposition aux scènes du futur ou
l'écran est bien dégagé et les couleurs vives. |
 Gong
Li, le passé et le mystère

Zhang Ziyi, le présent et la sensualité

Faye Wong, la jeunesse et l'anticipation
|
Pourquoi 2046? Ce chiffre fétiche est le titre du roman de science fiction
qu'écrit l'auteur représentant l'année où il se situe,
c'est aussi le numéro de la chambre occupée autrefois par l'écrivain
et qu'il souhaite retrouver dans son nouvel hôtel. Mais il doit se contenter
du 2047 et observer la locataire du 2046.
La vraie explication de cette année
est liée à l'histoire de Hong-Kong. Après la tutelle Anglaise,
la ville est revenue à la Chine en 1997, avec un statut provisoire de 50
ans. Ce statut provisoire se terminera donc fin 2046, soit à peu près
le 24 décembre 2046.
Wong Kar-waï s'est inspiré du personnage
et des récits de l'écrivain Liu Yi-chang: "Tête bêche"
et "Le type saoul".
Wong Kar-waï rend un double hommage
à Truffaut, par sa façon de filmer les
jambes des femmes (L'Homme qui aimait les femmes)
en particulier celles de Ziyi ou de Wong et en reprenant des musiques de Georges
Delerue.
*
Quand la mer monte, réalisation et scénario : Gilles Porte
et Yolande Moreau, franco-belge, sorti en octobre 2004, durée 93
mn, avec Yolande Moreau (Irène), Wim Willaert (Dries), Olivier Gourmet, Jackie
Berroyer, Philippe Duquesne, Jacques Bonnaffé, Séverine Caneele, Bouli Lanners.
Récompenses: Prix Louis-Delluc du meilleur premier
film 2004. Aux Césars 2004 :meilleur premier film et meilleure actrice
pour Yolande Moreau
C'est l'histoire d'une femme qui va, seule, avec une valise et la chaise qui
lui sert d'unique accessoire sur scène, de centre culturel en Palais du littoral,
de maison de retraite en Fête du rire, jouer son unique pièce "Sale
affaire", avant de retrouver la chambre d'hôtel deux étoiles où la télé
diffuse un documentaire sur un championnat de pêche à la mouche. C'est
aussi le machinal coup de fil à « Michel », le mari invisible de la comédienne,
qui attend - ou pas ? - qu'elle lui dise, comme chaque jour, que « oui, ça
s'est bien passé », et cet album où elle colle après chaque représentation
la photo Polaroid de son "poussin" du soir. La routine et la solitude
d'une tournée de plus, à moins que le "poussin" Dries ne prenne une
place un peu plus importante que prévue. C'est un gars simple, blagueur,
candide et sympathique. Il est porteur de « géants », ces marionnettes hautes
comme des tours qu'on fait défiler dans les fêtes locales du Plat-pays. Le sien
s'appelle Totor. Irène et Dries en rient ensemble, un peu trop fort, sans oser
se dévoiler. Yolande Moreau, connue surtout comme actrice (elle a commencé
en 1985 avec Agnès Varda dans "Sans toit ni loi" ) et
comme la "grande Yolande" des Deschiens réalise son premier film
en partie autobiographique et intégrant de larges parties du spectacle
"Sale affaire" qu'elle produit depuis de nombreuses années.
Mais ce film est bien plus qu'un spectacle filmé. |  |
C'est un film sensible et profondément humain,
à la fois réaliste et très poétique dans un jeu de
miroirs à trois (ou quatre) étages, mettant en valeur le contraste
entre l'outrance du personnage comique et la pudeur de l'actrice une fois enlevé
son déguisement.
*
La Demoiselle d'honneur de Claude Chabrol, sorti en novembre
2004, franco-allemand, durée 110 mn, scénario de Claude Chabrol
et Pierre Leccia tiré du roman de Ruth Rendell (The Bridesmaid), publié
en 1989;
avec Benoît Magimel (Philippe Tardieu), Laura Smet (Senta), Aurore
Clément (Christine), Bernard Le Coq (Gérard), Solène Bouton (Sophie) Michel Duchaussoy
(le clochard), Suzanne Flon (Mme Crespin ), Eric Seigne, Pierre-François Dumeniaud,
Anna Mihalcea, Philippe Duclos, Thomas Chabrol, Isild Barth.
Philippe Tardieu
est cadre commercial dans une entreprise de bâtiment; il vit avec sa mère, veuve,
et ses deux sours dans un pavillon de la banlieue nantaise. C'est à la
fois l'homme de la maison, et le fils adoré. Au début du film on voit briévement
le récit de la disparition d'une jeune fille. Ensuite Christine présente
à ses trois enfants un éventuel futur mari, à qui elle offre
une statue de Flore. Cette statue va jouer le rôle du Mac
Guffin des films d'Hitchcock. Philippe découvre rapidement que Gérard
ne mérite pas l'amour de sa mère.
Au mariage de sa sour, Philippe fait la
connaissance de Senta, une des demoiselles d'honneur et cousine du marié. Senta
ne semble pas être une fille comme les autres. Elle enflamme d'une passion dévorante
le très sage et candide Philippe, à tel point qu'il commence à se laisser entraîner
dans des jeux équivoques. Ils échangent des confidences, se confient
l'un à l'autre, parlent de leur vie. Mais Senta est une femme fatale, qui va exprimer
les marques d'une passion dévorante et exigeante, adoptant une conduite parfois
incompréhensible tout en faisant surgir, au gré des conversations avec Philippe,
une biographie aussi riche qu'improbable. Senta dit-elle la vérité lorsqu'elle
prétend que sa mère, islandaise, est morte en couches, avoir fait du théâtre,
poser pour des photos, avoir vécu à New York l'existence d'une strip-teaseuse
? Le film nous fait découvrir que tout n'est pas faux. Chabrol décrit
subtilement l'intrusion de l'imaginaire dans la réalité, l'imprégnation de la
banalité quotidienne par un fantastique discret, l'émergence progressive de la
folie dans les comportements sociaux les plus prosaïques. On peut facilement faire
le rapprochement avec La Cérémonie ( 1995),
du même auteur et tiré lui aussi d'un roman de Ruth Rendell mais
également avec 37°2 le matin
(1986) de Beineix qui décrivent eux aussi un basculement inexorable du
bizarre vers le pathologique. Le film bascule quand Santa déclare
que pour être quelqu'un sur terre il faut avoir "écrit un
poème, planté un arbre, eu une relation homosexuelle et tué
un homme". Et c'est bien sûr la dernière exigence qui va
déclancher le drame. Ce film épingle, comme toujours chez
Chabrol, les petitesses de la bourgeoisie, mais cette fois c'est presque avec
tendresse qu'il observe cette toute petite société nantaise.
Le sujet principal c'est la difficulté de distinguer la vérité
du mensonge. On retrouve une parenté évidente avec le dernier film
d'Eric Rohmer ( auteur avec Chabrol d'un ouvrage sur
Alfred Hitchcock). Comme dans Triple
agent, le statut du faux et du vrai est, au cour du couple, soumis à un
traitement vertigineux à force d'être revisité et interrogé. Ici aussi, les mensonges
peuvent cacher la vérité. |  |
Dans La Demoiselle d'honneur, un personnage,
qui a été assassiné, porte le nom de "Lavoignat". Il s'agit d'un clin d'oeil du
malicieux Claude Chabrol, car ce nom fait référence à Jean-Pierre Lavoignat, journaliste
qui avait étrillé un des précédents films du cinéaste, Merci pour le chocolat,
dans les pages de Studio Magazine.
Voir la
biographie et la filmographie complète de Claude Chabrol
* Rois et Reine,
de Arnaud Desplechin, sorti en décembre 2004, durée 150 mn,
scénario d'Arnaud Desplechin et Roger Bohbot ; avec Emmanuelle Devos (Nora),
Mathieu Amalric (Ismaël), Maurice Garrel (le père), Magali Woch (Arielle), Catherine
Deneuve (Dr Vasset psychiatre), Jean-Paul Roussillon (Abel), Catherine Rouvel
(la mère), Hippolyte Girardot (maître Mamanne), Nathalie Boutefeu (Chloé), Noémie
Lvovsky (Elisabeth), Joachim Salinger, Elsa Woliaston, Lelong-Darmon, Shulamit
Adar, Gilles Cohen, Francis Leplay, Olivier Rabourdin, Marc Betton.
Récompenses:
Prix Louis-Delluc 2004. Aux Césars 2004:
meilleur acteur pour Mathieu Amalric
Dès les premières images, un taxi
s'arrête dans un quartier chic de Paris. Nora, la "Reine" en sort, fixe la caméra
et se raconte, on pense tout de suite au début de "La
Femme d'à coté" de François Truffaut. Elle
a 35 ans. Après un veuvage rapide qui lui a laissé un fils, et une séparation,
houleuse, elle va épouser un homme riche et posé. Elle est à l'abri
du besoin et de l'obligation de travailler et pense vivre, enfin, en paix. Mais
une série de plans heurtés contredit cette impression de luxe, de calme et de
volupté et suggère les blessures de Nora, prêtes à se réveiller.
Les "Rois" sont d'emblée
présentés comme plus fragiles, comme Ismaël, musicien dans un quatuor
classique. Il est couvert de dettes, un peu "border-line", le désordre
et le nud coulant dans son appartement ne plaide pas en sa faveur. À
la suite d'une procédure d'HDT, hospitalisation demandée par un tiers (mais qui
donc a signé les papiers ?), deux infirmiers affables, soutenus, de loin, par
un discret commissaire de police, viennent le cueillir chez lui pour l'amener
à l'asile. « Enfin, je ne suis pas fou, tout de même », proteste Ismaël,
attaché sur son lit, devant ses parents venus le voir de Roubaix. « Si, un
petit peu », répond gentiment le père qui refuse de détacher son fils ! Devant
la psychiatre (Catherine
Deneuve, improbable mais savoureuse), Ismaël, en roue libre, explose. Comment
pourrait-il lui dévoiler son âme ? Elle n'est qu'une femme, et, reprenant la théorie
de l'Église au Moyen-Age, « les femmes n'ont pas d'âme. Elles vivent
dans des bulles, les femmes. Les hommes, eux, vivent sur une seule ligne droite.
Ils vivent pour mourir... ». C'est assez loin dans le film que l'on
comprend que Ismaël a été le compagnon de Nora, qu'elle essaie
de l'aider pour sortir de l'asile et va même lui proposer d'adopter son
fils Elias. Les personnages secondaires sont importants dans ce long récit:
Roi mourant, le père de Nora, ne survit plus que pour un manuscrit qu'il
doit achever et répond à l'amour de sa fille par une critique violente
et étonnante de ses choix. Roi transparent, le nouveau mari de Nora
se révèle inapte maîtriser la situation. La sur
de Nora, Élisabeth, marginale et droguée, incapable d'affronter
la vérité et son avocat camé. |  |
Et puis le film évolue sensiblement. L'internement d'Ismaël
n'est pas si tragique. Il est à l'abri de ses créanciers et s'adapte
à cette vie en nouant des relations avec une infirmière et une jeune
fille attachante et suicidaire. Finalement, une fois libéré, il
refuse, en pleine lucidité et avec une justesse de ton remarquable, d'assumer
pour Elias le rôle du père introuvable.
C'est le film le plus
accompli et travaillé d'Arnaud Despleschin. C'est un récit baroque,
la synthèse fragile mais réussi de la tragédie pure et réaliste
et de la comédie absurde et délirante, comme cette scène
où le père bedonnant d'Ismaël met en fuite 3 loubards violent
venus le braquer devant les yeux de son fils.
Le cinéaste ne cache pas sa
cérébralité mais parvient constamment à l'émotion. Paradoxalement, plus il théorise,
plus il nous sensibilise. Ses obsessions (la filiation, par exemple, fil rouge
de l'histoire) nous deviennent familières. Ses mises en scène, dont les
zigzags accentuent la fluidité et ses personnages, qui ont l'élégance et l'intelligence
de nous demeurer opaques longtemps après qu'on les a quittés nous deviennent ainsi
familiers mais jamais triviaux.
Emmanuelle Devos déclare:
"Nora est une parabole de la culpabilité. Arnaud Desplechin lui a sans doute
donné ce prénom en référence au personnage d'Ibsen dans La Maison de Poupée.
Je me suis souvenu d'un soir, il y a quelques années, nous regardions avec Arnaud
«Tess», le film de Polanski, et il m'a dit à propos du personnage interprété par
Nastassja Kinski, «si elle est tombée enceinte, c'est un peu de sa faute». Comme
si la femme portait cette idée de péché. Ce n'est pas de la misogynie de sa part,
je pense plutôt qu'il a un intérêt profond à la littérature et à la cinématographie
de l'Europe centrale et nordique, au protestantisme."
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