La Nouvelle Vague



Delphine Seyrig dans " Baisers volés "


Le terme "Nouvelle Vague" apparaît sous la plume de Françoise Giroud dans l'Express du 3 octobre 1957, dans une enquête sociologique sur les phénomènes de génération. Il est repris par Pierre Billard en février 1958 dans la revue Cinéma 58. Cette expression est attribuée aux nouveaux films distribués en 1959 et principalement ceux présentés au festival de Cannes de cette année là. C'est une campagne publicitaire du CNC qui va définitivement balayer l'origine sociologique du terme pour l'appliquer plus strictement au cinéma.

Le coup d'envoi fut donné par Le coup du berger de Jacques Rivette en 1956, mais en fait le rejet du cinéma français officiel remonte à l'Occupation et à la découverte enthousiaste, au lendemain de la guerre, du cinéma américain.
La Cinémathèque puis la célèbre "revue à couverture jaune", Les Cahiers du Cinéma, servent d'école aux critiques qui vont bientôt s'emparer de la caméra. En 1958 ou 1959 François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Claude Chabrol et Éric Rohmer réalisent leurs premiers longs métrages.
Certains cinéastes partagent les même valeurs, même s' ils ne sont pas issus de la critique comme Jacques Rozier, Jacques Demy, Jean-Pierre Melville, Jean Rouch, Louis Malle, Roger Vadim. Par ailleurs, Maurice Pialat est trop individualiste pour se reconnaître dans un quelconque mouvement et Alain Resnais, qui patiente depuis 10 ans dans le court métrage réalise son étonnant "Hiroshima mon amour".

On voit apparaître une nouvelle façon de produire, de tourner, de fabriquer des films qui s'oppose aux traditions et aux corporations. L'invention du Nagra, magnétophone portable, celle de la caméra 16mm, légère et silencieuse, le goût des tournages en extérieur imposent une nouvelle esthétique plus proche du réel.
Cette rupture entre cinéma de studio et cinéma extérieur est illustrée notamment dans La Nuit américaine de François Truffaut (1973) : dans une mise en abyme, le film nous montre la réalisation d'un film avec caméra sur grue et décalages (tournage d'une scène d'hiver en plein été, tournage d'une scène de nuit en plein jour, la fameuse « nuit américaine ») ; Ferrand, le réalisateur (incarné par Truffaut lui-même), admet que ce film est sans doute le dernier à être tourné de cette manière, sorte de testament de l'« ancien » cinéma et de manifeste de la « Nouvelle Vague ».

Par ailleurs, les réalisateurs brisent certaines conventions, notamment les conventions de continuité. C'est ainsi que dans À bout de souffle, Godard coupe les blancs dans un dialogue. Ou encore dans La Jetée , Chris Marker présente une sorte de diaporama, une succession d'images fixes avec un narrateur unique et un fond sonore léger. Il ne s'agit pas uniquement de rompre avec une tradition par provocation, mais bien de faire ressentir quelque chose de nouveau au spectateur, ou encore de représenter une face de la « réalité » : les souvenirs que l'on a d'un moment de sa vie sont partiels, tronqués, et lorsque l'on regarde un album photo, les souvenirs viennent dans le désordre avec des « sauts dans le temps ».

Ceci sera repris notamment par Abel Ferrara dans des films comme Black Out et New Rose Hotel, que l'on pourrait qualifier de « films cerveau » (les images sont montées comme viennent les pensées, dans le désordre).
Sans être à l'origine du mouvement, de nouveaux réalisateurs se reconnaissent alors dans la lignée de la Nouvelle Vague.
Ce sont principalement Jean Eustache, Jacques Doillon, André Téchiné et un peu plus tard Bertrand Tavernier, Claude Sautet, Michel Deville, Dominik Moll, Gilles Marchand, Yves Caumon, Philippe Ramos, Jean-Paul Civeyrac… L'arrivée d'une nouvelle génération d'acteurs (Jean-Paul Belmondo, Brigitte Bardot, Anna Karina, Jean-Claude Brialy, Bernadette Lafont, Alexandra Stewart, Anne Wiazemsky, Chantal Goya, Jean-Pierre Léaud, Jeanne Moreau, André Dussollier, Henri Serre…) et de techniciens comme Raoul Coutard, le soutien d'une poignée de producteurs-mécènes (Georges de Beauregard, Pierre Braunberger, Anatole Dauman) furent aussi des éléments déterminants.

Le cinéma français n'avait pas su renouveler ses acteurs depuis l'entre-deux guerre, et l'apparition de nouveaux visages permit notamment de toucher le jeune public, en particulier:

La Nouvelle Vague et le livre

la Nouvelle Vague a signé l’une des plus belles apologies du livre.

Pour tous ceux, qui, comme Truffaut, avant de filmer, avaient collaboré à plusieurs revues, la littérature a servi de mine inépuisable et l’écriture, de moteur.

Pour ce qui est de l’acte créatif, les cinéastes s’appliquent : les bouquins y sont réels, usés, pris directement à la maison, puis magnifiés. On a souvent dit que les premiers films de ces jeunes réalisateurs étaient constitués d’hommages ou d’emprunts à des pans entiers de la littérature.

Le livre comme idole est surtout manifeste chez les deux piliers, Godard et Truffaut. C’est à qui citera, ingurgitera, exhibera le plus d’ouvrages. C'est une incroyable compétition et conversation par livres interposés.
Les deux bibliophiles ont des styles distincts mais se rejoignent dans l’abondance : des montagnes de livres se dressent dans leurs films et les citations pleuvent.

Plusieurs acteurs s’affirment comme de grands récitants : Belmondo, lorsqu’il lit Elie Faure dans sa baignoire dans Pierrot le fou , Charles Denner et bien sûr Jean-Pierre Léaud, diseur de bonne aventure qui, en associant le geste (l’index levé) et la parole (fervente), devient un mythe.
Via Antoine Doinel, il est le voyant des sixties, duffle-coat sur les épaules, un livre toujours à portée de main.
Lecteur insatiable, Doinel lit en prison Le Lys dans la vallée (Baisers Volés), dévale l’escalier avec les dix-neuf volumes du journal de Léautaud (Domicile conjugal), puis devient écrivain avec Les Salades de l’amour , un roman que lit fiévreusement Marie-France Pisier dans le train (L’Amour en fuite).

La vénération de Truffaut pour les livres lui inspire directement deux films.
D’abord Fahrenheit 451, adaptation de Ray Bradbury qui nous plonge dans un univers déshumanisé, où les livres sont interdits et brûlés s’ils sont trouvés.
Truffaut réussit très bien à donner âme et corps aux livres, stigmatisés et traqués. Une personnification qui s’accomplit pleinement lorsque les résistants exilés sur l’île ont appris chacun un roman par cœur et portent son titre comme patronyme (Orgueil et Préjugés, de Jane Austen; Ulysse, de Joyce…).
Et puis, il y a L’Homme qui aimait les femmes, récit d’un séducteur écrivain qui raconte ses conquêtes.
Outre son éloge original de la gent féminine, le film est riche d’enseignement sur l’écriture d’un manuscrit et les angoisses imprévues que suscite une première publication.

Chez Godard, le livre n’est pas le sujet mais un matériau plastique à part entière qu’il accumule, découpe, colle, mixe avec d’autres pour des assemblages hétéroclites. Chez lui, on lit dans n’importe quelle position, partout et de tout, Dostoïevski, les Pieds Nickelés, le Petit Livre rouge.
Eddie Constantine feuillette, un flingue à la main (Alphaville), et Belmondo, qui a toujours un volume sous le bras dans sa fuite avec Anna Karina (Pierrot le fou), réclame « un disque tous les cinquante livres, la musique après la littérature ! »
Échantilloner, détourner, citer pour inciter au romanesque, tel est le credo godardien. Il construit des répliques en jouant avec les couvertures (dans Une femme est une femme ).
Il pille outrageusement, et les textes en ressortent grandis. Inaltérable malgré l’avènement du numérique, le livre continue de servir bon nombre de situations au cinéma.

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