L'année du cinéma 2007


Ebru Ceylan dans Les Climats

Une Jeunesse chinoise ( Yíhé Yuán ; Summer Palace; Palais d'été ) réalisé par Lou Ye; avec Xueyun Bai (Wang Bo), Lin Cui (Xiao Jun), Long Duan (Tang Caoshi), Xiaodong Guo (Zhou Wei), Lei Hao (Yu Hong), Ling Hu (Li Ti), scénario Ye Lou, Feng Mei et Ma Yingli (Chine / France) langue: Mandarin / Allemand; musique originale Peyman Yazdanian; image Qing Hua; montage Ye Lou et Jian Zeng. Durée: 140 min; dates de sortie: mai 2006 (Cannes), 27 avril 2007 (France)

Yu Hong vient d’une petite ville et s’est arrachée aux bras d’un premier amant maladroit pour rentrer à l’université de Pékin. Zhou Wei est plus âgé qu’elle, bien installé dans le monde estudiantin comme s’il y avait toujours vécu. Ils se désirent tout de suite, couchent ensemble, expérimentent la jalousie, les cassures, les retrouvailles. Elle tient un journal dont les fragments en voix off illustrent le film d’un bout à l’autre. Ce journal évoque l'inquiétude, l'exaltation et les paradoxes de l'amour absolu: "je te quitte parce que je ne peux plus me passer de toi."

Le film a beaucoup de qualités et quelques défauts: La première de ses qualités est de restituer l’état d’ivresse, l’espoir et la fièvre qui ont embrasé la Chine au printemps 1989. Et de le faire du point de vue de la génération qui a le mieux incarné ces événements : les étudiants insurgés de la place Tian’anmen. Mais Lou Ye aborde réussi à mêler intimement cette évocation historique avec le récit d’une éducation sentimentale libérée mais tourmentée. Et cela sur une petite décennie, jusqu’à l’orée des années 2000.

C’est seulement une fois passé l’orage de Tian’anmen et une fois leurs routes séparées que leur histoire passe du marivaudage au récit consistant. Une histoire qui grandit dans la mémoire de Yu Hong, étrangère aux villes de la Chine du Sud où elle travaille et peine à se stabiliser affectivement. Le brio de la première moitié du film laisse place à un récit plus lent, plus réfléchi, qui met en scène la contrainte grise du manque d'argent, l'exaltation sans lendemain d'un amour adultère, la résignation face aux hiérarchies qui combinent la brutalité stalinienne et le cynisme capitaliste.

Le garçon, lui, a rejoint à Berlin (en pleine réunification) d’anciens condisciples, et pour une période indéterminée. La peinture nostalgique et idéalisée de la Bohème du début du film peut sembler artificiel, mais face au triomphe de la plus triviale des réalités, elle prend le statut d'âge d'or que Lou Ye voulait lui conférer. Dans la peinture de cet enfer ordinaire, le sujet central, Yu Hong, ne perd rien de sa force et de sa violente tristesse.

Dès lors, le film devient un bouleversant précis de décomposition des idéaux juvéniles, entre l’Allemagne, où les vieilles amitiés amoureuses importées de Pékin se soldent dans le néant et le suicide, et la Chine, où Yu Hong, esseulée au cœur d’une société toute à son développement économique, s’accroche en secret, jusque dans le lit de ses partenaires sexuels, au culte de son grand amour de l'université.


Le passage des années, l’alchimie délicate du collectif et du particulier préparent avec subtilité un épilogue désenchanté au possible : la « jeunesse » finit moins à l’entrée dans l’âge adulte qu’à l’heure où s’évanouit définitivement le mirage qui lui avait donné sa saveur.

Le film de Lou Ye est évidemment en partie autobiographique: " en juin 1989 , je faisais l'amour et la révolution. Je traversais une situation sentimentale désordonnée, on peut le dire comme ça. Mais je ne sais toujours pas si mon problème amoureux m'a poussé à participer au mouvement, ou si c'est 1989 qui a perturbé mon histoire d'amour. Ce n'est pas clair. Nous étions nombreux dans ce cas.» Étudiant en quatrième année de cinéma à Pékin, à 24 ans, il était certain de sa vocation, emporté par le vent libertaire. Il a participé, comme tout le monde. «Notre pays s'ouvrait enfin, on avait tous l'espoir que tout allait changer. C'est ce qui s'est passé d'ailleurs, il faut le reconnaître. Mais pas comme on l'avait espéré.»

Et c'est bien ce dernier point politique et non la liberté des scènes sexuelles (banales en occident, mais inédites en Chine) qui ont poussé les censeurs chinois à infliger 5 ans de privation de tourner à Lou Ye. Ils ont été assez convaincus de son pouvoir de nuisance pour lui refuser l'accès au public de son pays. «La Chine se construit sur des silences, estime Lou Ye. Moi-même, je ne connais pas grand-chose de la Révolution culturelle, pas plus que les jeunes d'aujourd'hui ne connaissent Tiananmen. Ils en ont entendu parler mais ne posent pas de questions. C'est dangereux, un pays qui découpe son histoire en tranches. Et pourtant nous avançons vite. Peut-être à cause de ce silence, justement.»

Ce film trop ambitieux, trop long et voulant traiter trop de sujets à la fois, évoque les audaces de la nouvelle vague de 1960 quand Jean-Luc Godard évoquait le sexe et la politique, avec la sensibilité d'un François Truffaut, auquel Lou Ye rend hommage (un passage furtif d'une seconde des 400 coups). Il mérite une vision attentive. Son mélange de nostalgie et de colère, de romance et de tragédie est porté par un élan, une sincérité, qui font passer les facilités que s'accorde parfois le metteur en scène. Mais il faut le féliciter avoir osé une fin grise, au bord d’une autoroute longeant une mer grise, une après-midi grise de retrouvailles qui ne pèse rien par rapport au lit trop petit d’une chambre d’étudiants sordide, mais colorée.


* Un jour sur Terre: film documentaire britannique de Alastair Fothergill , sorti en 2007. Titre original : Earth ; Réalisation, Scénario : Alastair Fothergill, Mark Linfield; Narration V.O. : Patrick Stewart; version française : Anggun; Texte : Leslie Megahey, Alastair Fothergill, Mark Linfield; Musique Originale : George Fenton; Montage : Martin Elsbury ; Durée : 98 minutes ; Date de sortie : 10 octobre 2007

La caméra se balade aux quatre coins de la planète, nous révélant des choses plus étonnantes les unes que les autres, et faisant exploser sous nos yeux un nombre impressionnant d’images gorgées de poésie. Partant du Pôle Nord pour parcourir la Terre jusqu’au Pôle Sud, en passant par la toundra, la jungle, le désert. Le film nous rappelle que la nature fragile peut aussi être mortelle et que l’homme, par son action, ne l’aide pas à être plus douce avec les êtres qui la peuplent.

Le comportement humain déchaîne les colères de la nature et déstabilise l’équilibre de notre univers et de celui de la faune, qu’elle soit terrestre ou maritime. Les neiges de la banquise de l’Arctique fondent à une vitesse toujours plus folle rendant alors la survie de l’ours blanc, devenu symbole du destin tragique de la planète miracle, de plus en plus incertaine. Les éléphants d’Afrique ainsi que leurs camarades les gnous doivent se déplacer durant des semaines afin de trouver l’eau qui se fait de plus en plus rare d’années en années.

Les principaux « personnages du film » sont des animaux adaptés aux conditions du climat local, à la présence plus ou moins importante d’eau douce, à la quantité et la variété de nourriture. Le film montre que les relations des animaux avec le milieu sont complexes et vulnérables ; toute modification de l’une d’elles, un réchauffement du climat par exemple, modifie cet équilibre et fragilise la vie animale.

Cinq ans de tournage auront été nécessaires à Alastair Fothergill et à son équipe de La Planète Bleue pour réaliser Un jour sur Terre. Les toutes dernières technologies en matière de prise de vue en haute définition ont permis de tourner des images d'une beauté à couper le souffle et de mettre en valeur la vie qui palpite et bouillonne à chaque instant, sur le moindre centimètre carré de notre planète.

A travers ces images de rêve, du miracle de la vie, le film veut principalement nous faire comprendre que la planète bleue n’appartient pas uniquement aux hommes. D’autres êtres la peuplent. L’Homme ne peut donc se sentir seul propriétaire de la planète et n’a pas le droit de la piller et la détruire en toute impunité.

On peut cependant être un peu réticent devant le film. Le message est surtout délivré sur la fin car pendant toute la durée de notre voyage, de l’Arctique aux abords de l’Antarctique, les réalisateurs jouent beaucoup plus avec l’émotionnel, la corde des sensations, que sur l’apprentissage et le côté éducatif qu’aurait pu avoir ce documentaire. D'autre part la débauche de moyens (40 équipes de tournage, des vols en avion , en hélicoptère sans compter ) peut laisser un peu sceptique sur la pureté du message.


* Le fils de l'épicier d'Éric Guirado , sorti en 2007. Scénario : E. Guirado et Florence Vignon; photographie : Laurent Brunet; musique originale : Christophe Boutin; durée : 96 minutes ; Date de sortie : 15 août 2007.

Avec Nicolas Cazalé (Antoine), Clotilde Hesme (Claire),Daniel Duval (Le père d'Antoine), Jeanne Goupil (La mère d'Antoine), Stéphan Guérin-Tillié (François), Liliane Rovère (Lucienne), Paul Crauchet (Le père Clément)

C'est l'été et Antoine doit quitter la ville pour aider sa mère qui tient l'épicerie dans un village du sud de la France.

Antoine est un bougon. Son père, aussi bourru que lui et hospitalisé à la suite d'une crise cardiaque, ne peut plus conduire le camion qui ravitaille les hameaux isolés. S'il accepte le job, c'est surtout pour permettre à Claire, aussi lumineuse qu'il est sombre, aussi expansive qu'il est renfermé, de repartir de zéro en préparant son bac à près de 26 ans.

Quand Antoine avait proposé à Claire, sa meilleure et seule amie, de lui prêter de l'argent, il était loin d'imaginer où le mènera sa promesse. Car de l'argent, Antoine n'en a pas. A trente ans, il traîne une existence jalonnée de petits boulots et de grosses galères.

Antoine découvre alors le charme de ces derniers habitants, tous têtus, drôles, bons vivants, parfois teigneux.

Dans son premier long métrage, Quand tu descendras du ciel, Eric Guirado filmait des miséreux dans le froid du Nord. Ici, il peint des « taiseux » dans les grands espaces du Midi. Antoine refuse tout et tout le monde. Ce père qui, croit-il, le méprise. Ce frère dont il ne mesure même pas la peine. Et aussi ses clients, dont l'indomptable Lucienne, qui ne lui achètent que deux tomates et un poivron, mais règlent leurs maigres achats avec de gros billets. « La prochaine fois, apportez de la monnaie ! », grince Antoine. Sur ce récit d'apprentissage, Eric Guirado a réalisé un conte moderne. Une de ces histoires que l'on sait irréalistes, mais que l'on espère vraies. Il a le sens de la réplique, de la beauté des lieux et des êtres, dont il cerne la dignité cachée.

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