Une vieille Maîtresse, de Catherine Breillat

Une vieille Maîtresse, film franco-italien de Catherine Breillat
d'après un roman de Barbey d'Aurevilly ( Une vieille Maîtresse) ,
en compétition officielle au Festival de Cannes 2007.

 

50 ans après Choderlos de Laclos, la Marquise de Flers, décide de marier sa petite fille, Hermangarde, fleuron de l'aristocratie française, avec Ryno de Marigny, une sorte de Valmont romantique. Mais ce qui agite le petit monde aristocratique parisien, c'est que ce Don Juan, impénitent, est depuis 10 ans l'amant et la proie d'une courtisane scandaleuse, fille d'une duchesse et d'un torero. Sous la monarchie de Juillet, on était vieux très jeune, et la femme qu'évoque le titre, la Malagaise Vellini, vient juste de passer la trentaine. Mais le terme vieille désigne plutôt la longueur inhabituelle de la liaison que l'âge de l'héroïne. Elle a les traits sans cesse changeants d'Asia Argento, qui passe de la furie adolescente au désenchantement sans âge dans le même plan. Et pour mieux souligner que l'âge n'est pas le propos du film, Catherine Breillat a choisi pour tenir le rôle de Ryno un post adolescent qui ne peut en aucun cas avoir vécu aussi longtemps.

Pour sa première plongée dans le passé, Catherine Breillat ne pouvait choisir meilleur guide que Barbey d'Aurevilly, dont elle a adapté le livre homonyme. La chroniqueuse de la guerre entre le désir des hommes et celui des femmes met ainsi en scène une histoire dont la brutalité et la sensualité immédiates font écho à ses films passés, tout en explorant d'autres façons, aujourd'hui disparues, de se vouloir, de se posséder et de se faire souffrir.

Une bonne partie du film est consacrée au long récit en flash-back que Ryno fait à la marquise de sa liaison avec Vellini. Et c'est là que se trouve le meilleur d'Une vieille maîtresse. Catherine Breillat s'abandonne sans réserve à la fascination que lui inspire son interprète, lui livrant en pâture le jeune Fu'ad Aït Aattou. On dirait que l'acteur débutant se débat contre sa partenaire comme le personnage du film essaie, toujours en vain, d'échapper à sa maîtresse.

Une vieille maîtresse diffère sensiblement de la filmographie passée de Catherine Breillat. Moins de sexe, et plus chaste, du moins en apparence. Car en délaissant les actes sexuels explicites, elle concentre sa caméra sur les signes de la passion et de la jouissance, sur ces visages, surtout celui de la femme, où l'on voit affluer les ondes du plaisir. Ces visages sont souvent renversés, bouleversés et la "laideur" toute relative d'Asia Argento laisse voir ces séismes beaucoup plus fermement que le lisse et blond minois de l'épouse légitime.

Catherine Breillat porte toujours cette même attention à la langue, très écrite et en parfait mariage avec l’image. Qui dit mariage sous-entend complémentarité et opposition, les scènes venant contredire ou confirmer le sens des mots, avec une discrète ironie vis-à-vis des personnages et de leurs comportements. Comme si l’union de l’image et du mot reproduisait les rapports de sexe que Breillat prétend dépeindre avec lucidité, sans tabou. Et puis, il y a toujours cette attention portée au rituel, amoureux ou religieux. Un sens du sacré qui intensifie l’émotion ; et surtout donne un caractère sacrificiel aux actes, avec des êtres qui par amour donnent de leur corps et de leur sang, en contraste avec la joliesse de costumes et intérieurs estampillés XIXème siècle.

Le sang, à la symbolique multiple, sert de fil rouge (évidemment...) dans cette histoire de passion. Sang des blessures d'honneur, sang pris comme fortifiant, sang de la colère quand la Vellini brise un verre, sang d'une fausse couche de l'épouse bafouée, sang du front soumis a la violence, sang de la joue de Ryno quand il ose défier la Vellini.

Si Une vieille maîtresse peut faire penser dans sa thématique aux Liaisons dangereuses (l'excellent film de Stephen Frears), Catherine Breillat y ajoute sa patte personnelle. Et avant tout un esprit féministe qu'on retrouve dans le personnage de son actrice principale dominatrice et sensuelle que jamais. Dans Une vieille maîtresse, il est avant tout question d'amour et a fortiori de passion.

La réalisation n'est cependant pas parfaite. en particulier, certains acteurs ne permettent pas d'oublier que le film est une adaptation littéraire. Ainsi Claude Saraute malgré d'indéniables qualités n'atteint pas un niveau de diction en harmonie avec son personnage.

Le film souffre aussi de l'ambivalence de Catherine Breillat face à son matériau. Parfois, elle le prend à contre-pied. Alors que Barbey d'Aurevilly décrit les figures patriciennes de la marquise de Flers et de son amie la comtesse d'Artelles, la réalisatrice a confié les rôles à des interprètes, Claude Sarraute et Yolande Moreau, qui tirent avec entrain les conversations de salon vers le commérage. Il faut l'entrée de Michael Lonsdale en vicomte de Prony dans les intrigues qui préparent les noces d'Hermangarde et Ryno pour que l'on sente enfin les quatre quartiers de noblesse. La reconstitution historique est un art coûteux, et même si Une vieille maîtresse est un film de belle apparence, il lui manque de grandes scènes qui auraient permis d'inscrire la Vellini et Ryno dans la foule aristocrate à la manière du "Guépard"

Breillat profite du mariage religieux de d'Hermangarde et de Ryno pour nous rappeler, via un sermon retro, les atrocités contenues dans les évangiles.
Extraits authentiques de la première épître de Paul aux Corinthiens chapitre 11
... 3. Je veux cependant que vous sachiez que Christ est le chef de tout homme, que l'homme est le chef de la femme, et que Dieu est le chef de Christ.
4. Tout homme qui prie ou qui prophétise, la tête couverte, déshonore son chef.
5. Toute femme, au contraire, qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée, déshonore son chef: c'est comme si elle était rasée....
8. En effet, l'homme n'a pas été tiré de la femme, mais la femme a été tirée de l'homme;
9. et l'homme n'a pas été créé à cause de la femme, mais la femme a été créée à cause de l'homme.
10. C'est pourquoi la femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de l'autorité dont elle dépend.
11. Toutefois, dans le Seigneur, la femme n'est point sans l'homme, ni l'homme sans la femme.
12. Car, de même que la femme a été tirée de l'homme, de même l'homme existe par la femme, et tout vient de Dieu.

En collant au roman de Jules Barbey d’Aurevilly à une époque où les hommes et les femmes s’adonnent au doux libertinage; en travaillant au corps le paradoxe; en jouant à la manière de Pasolini des décalages temporels pour parler crûment des diktats contemporains de l’amour; en refusant la froide distance du moraliste; en scrutant l’hypocrisie d’une société qui s’arrange pour que chacun ait sa place non pas en fonction de ses mérites ou de ses besoins mais de ses apparences, Breillat démontre au final qu’elle parle aussi bien du cœur que du sexe.

A chaque instant, Catherine Breillat invite à la nuance. De ses tirades péremptoires comme de nos préjugés hâtifs. L’intérêt d’Une vieille Maîtresse réside dans l’affrontement entre la dramaturgie prévisible d’une histoire condamnée par les contingences et les élans irréductibles des deux amoureux fous. Si la gravité perce sous le badinage frivole et les joutes verbales, la rigueur extrême de ce film impertinent n’exclue pas la drôlerie absurde, nichée dans le quotidien de ses badinages, dans le phrasé de ses personnages, dans les scènes d’amour où l’orgasme peut naître des positions les plus incongrues ou dans le décorum rococo.


Catherine Breillat déclare lors du Festival de Cannes 2007:

J'ai lu tardivement « Une Vieille Maîtresse », il y a cinq ou six ans seulement. Le roman m'a immédiatement fasciné car au-delà du ton romanesque et romantique, on y sentait une vérité de sentiment crue, une analyse de la passion avec ce qu'elle comporte d'irrationalité et de délectation dans ses vertiges, qui font que loin d'y échapper, on souhaite y sombrer.

Ryno de Marigny est un jeune homme trop beau et pour cela faible. Faible comme une fille. Lâche et sublime dans la passion. Même si on lui prête un pouvoir diabolique : parce que toutes les femmes sont prêtes à se damner pour lui. Ou plutôt pour son image, - cette beauté, cette grâce dont si même elle ne la possède pas, Vellini en possède le pouvoir, -alors que Ryno qui l'a, n'en porte que le fardeau.

Quant à la Marquise de Flers, n'est-elle pas la seule que Ryno puisse se laisser aller à sincèrement aimer, quand la barrière de l'âge interdit toute émotion triviale et vulgaire des sens; -et qu'elle-même peut pour la même raison se croire à l'abri des dangereuses séditions de l'amour et du désir.

Car comme toujours, c'est de culpabilité qu'il s'agit ici, lorsque dans la tempête des passions chacun croit de son honneur de rester le capitaine de son navire. Et c'est bien cela, -à cause de cet orgueil insensé, ce refus de reconnaître l'amour par son nom, de ne l'appeler que désir, d'en craindre l'asservissement et le joug, -qui précipite le naufrageur. Comme le Valmont des Liaisons Dangereuses que cite, qu'admire et redoute la Marquise de Flers.

Tandis que la Vellini, seul personnage exemplaire dans la passion, sait très bien de quoi il retourne; et que l'amour est un enfer de boue qui, -si on ne craint pas de s'y salir les mains, voire de s'y vautrer tout entière, -apaise les brûlures en même temps qu'il en attise le feu.

J'aime ces joutes de paroles interminables, où les vérités s'affrontent pour en dissimuler toujours une autre, plus intime, celle qu'on se cache toujours à soi-même, -et que le cinéma, ce microscope implacable exalte si bien... Inutile donc de dire que le microscope, c'est le gros plan, l'inquisition au coeur de l'intime des personnages, la quête des abandons et des fièvres, des reniements et des exaltations: Car lorsque les âmes et les visages sont nues, qu'importe l'époque : nous sommes tous les mêmes: la proie de nos chimères.

Pour « Une Vieille Maîtresse », je désire exalter dans le film ce sens si anodin du titre où l'article indéfini accorde de l'importance à ce qui n'en a généralement pas, non point l'âge de l'héroïne, mais la durée, la pérennité du sentiment : « Ce goût enragé et passé à l'état chronique, sans cesser pour cela d'être à l'état aigu » ; et qui est peut-être, (selon Barbey lui-même), la meilleure définition qu'on puisse donner de l'amour. « Une Vieille Maîtresse », c'est la parabole d'une liaison qui semble passée, et dont on mésestime la force car on la croit usée par la durée ; -lorsqu'elle n'est qu'un volcan très momentanément endormi.

Il faut y voir l’affrontement entre la beauté convenue d’une vierge icône, femme et jeune fille de toujours dans une dissimulation idéale de ses sentiments et le refoulement des désirs, qui représente la « fiancée idéale », -et la « femme souveraine », l’amazone qui prend ce qu’elle désire et dont les désirs affirmés sont la beauté, cette beauté si récriée dans le monde où on réprouve sous le nom de « laideur » la liberté affichée d’une femme, sa sensualité manifeste et le pouvoir que cela lui donne sur les hommes. Séductrice contre séducteur, -même le plus redoutable d’entre eux, - c’est elle encore qui gagne. Femme perdue, sans position sociale, sans avenir et même sans véritable beauté, c’est elle qui gagne car elle est l’imagerie même de la femme fatale, ce mythe cinématographique qui cache un des enjeux de notre époque : Sexualité contre convenance, ce duel-là me fascine et je veux en filmer la chair.


Le roman de Barbey d'Aurevilly

Publié en 1851, Une vieille maîtresse marque un tournant important dans l'œuvre de Barbey d'Aurevilly. Délaissant la psychologie de boudoir, il se tourne vers la peinture d'un coin de province, mais surtout d'un microcosme parisien non sans quelques touches d'un réalisme balzacien auquel Théophile Gautier fut sensible (« Depuis la mort de Balzac, nous n'avons pas encore vu un livre de cette valeur et de cette force »).

Pour la première fois, la Normandie fournit un cadre à la tragédie qui se joue entre une malagaise à la laideur envoûtante et son ancien amant. Leur liaison renouée va broyer la jeune et blonde épouse "au teint pétri de lait et de lumière". Cette œuvre riche et complexe, dont la technique romanesque préfigure celle de l'Ensorcelée (1854), prête à plusieurs lectures possible, présentant chacune une part plus ou moins grande d'autobiographie.

Jules Amédée Barbey d'Aurevilly est né à Saint-Sauveur-le-Vicomte (Manche) le 2 novembre 1808 et mort le 23 avril 1889 à Paris. Écrivain et journaliste au style polémique, surnommé le « Connétable des lettres », il contribua à animer la vie littéraire française de la seconde moitié du XIXe siècle. Issu d'une famille anoblie au XVIIIe siècle, et l’aîné de quatre frères, il est élevé dans un milieu austère, monarchiste, où le salon de sa grand-mère et les contes normands de la servante Jeanne Roussel frappent son imagination ; le romancier s’en souviendra plus tard.

Il rédige sa première nouvelle Le Cachet d’onyx en 1831. En 1833, après avoir obtenu une licence de droit, il retourne à Paris où il mène une existence de dandy. Il écrit plusieurs nouvelles et collabore en tant que journaliste littéraire au Constitutionnel en 1845. De républicain, il devient royaliste et accole « d’Aurevilly » à son nom. Son oeuvre la plus lue aujourd'hui est un recueil de nouvelles, Les Diaboliques (1874), histoires de passions et de crimes où les personnages féminins jouent un rôle central. À la suite de la publication de l'ouvrage, un procès lui est intenté pour outrage à la morale publique, mais se conclut par un non-lieu. Il écrit en 1877 un livre satirique sur les Bas-bleus. Il est enterré à Saint-Sauveur-le-Vicomte.

Distribution

  • Asia Argento : Vellini
  • Fu'ad Ait Aattou : Ryno de Marigny
  • Roxane Mesquida : Hermangarde
  • Claude Sarraute : La marquise de Flers
  • Yolande Moreau : La comtesse d'Artelles
  • Michael Lonsdale : Le vicomte de Prony
  • Anne Parillaud : Mme de Solcy
  • Jean-Philippe Tesse : Le vicomte de Mareuil
  • Sarah Pratt : La comtesse de Mendoze
  • Amira Casar : Mademoiselle Divine des Airelles
  • Lio : La chanteuse
  • Léa Seydoux : Oliva
  • Nicholas Hawtrey : Sir Reginald
  • Caroline Ducey : La dame de Pique
  • Jean-Claude Binoche : Le comte de Cerisy

Fiche technique

  • Réalisateur : Catherine Breillat
  • Scénario : Catherine Breillat d'après le roman homonyme de Barbey d'Aurevilly, publié en 1851
  • Producteurs : Jean-François Lepetit
  • Production: France / Italie
  • Image Giorgos Arvanitis
  • Montage Pascale Chavance
  • Durée: 104 minutes
  • Dates de sortie : 25 mai 2007 (Festival de Cannes)
  • Sélection officielle au Festival de Cannes






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