4 mois, 3 semaines et 2 jours
de Cristian Mungiu , film roumain , sorti en mai 2007
Le film se déroule en Roumanie, en 1987, lors des dernières années du pouvoir du dirigeant Ceausescu. Il raconte l'histoire d'une étudiante, Gabita, jeune fille immature, qui tente de se faire avorter avec l'aide de sa colocataire. Cette pratique fut interdite par le régime communiste, femme et médecin risquant la prison pour ce « crime ». Gabita est non seulement incapable de gérer cette situation, mais commet toutes les erreurs possibles. C'est donc son amie, Otilia, qui affronte une à une les difficultés de l'entreprise. Jusqu'au plus ignoble et absurde des compromis. Le film débute dans une petite chambre, dans une résidence universitaire. La lumière et les couleurs sont blafardes, le décor, d’une morne symétrie ; deux lits identiques, une table sous la fenêtre. Le lieu est banal, mais cadré pour évoquer la perspective étroite d’une cellule de prison. Une odyssée minuscule, éprouvante et dangereuse, parmi des milliers d’autres, 4 Mois, 3 semaines, 2 jours, ou le décompte exact d’une grossesse non désirée mais déja bien avancé, dans un pays et à une époque où l’avortement est illégal. Le film de Cristian Mungiu paraît d'abord bien aride. Tourné en décor naturel et constitué de longs plans-séquences, il prend son temps mais sans réel répis. Si l'image est propre, elle semble pourtant contaminée par l'environnement, sale et pauvre, dans lequel sont condamnées à évoluer ses héroïnes. Concentrant son récit sur les quelques heures précédant et suivant l'avortement, l'auteur établit une sorte de « temporalité réelle » qui prend toute son épaisseur dans la dernière partie. Légèrement éprouvé, comme l'héroïne, par une succession d'embûches plus bavardes que visuelles, mais très réalistes, le spectateur se retrouve alors dans les meilleures conditions pour offrir son empathie aux deux héroïnes. Dénuée de mièvrerie, cette sécheresse de forme s'impose peu à peu comme un choix évident et judicieux. Elle fait ressentir au plus près la détresse d'une situation figée dans un mensonge permanent et reconductible. Cette histoire intime progresse à la manière d’un thriller : le réalisateur entretient constamment une forme de suspense calme mais permanent, autant sur l’état psychologique des héroïnes que sur leur sécurité matérielle. Cette tension, pourtant, ne doit rien aux habituels artifices censés doper l’attention. La mise en scène, véritable morceau de bravoure formel, découpe le temps au scalpel. Ce parti pris esthétique radical se confond avec la matière même du propos : deux filles au corps inquiet, prises dans le cadre d’une société aliénante, et pourtant le franchissant sans cesse, comme on passe une frontière, de l’obéissance à la transgression. Portrait en creux de la fin du communisme en Roumanie, le film évite toute démonstration trop évidente. Sur la question de l’avortement, pourtant centrale, Cristian Mungiu fait montre d’une sorte de féminisme désenchanté : il ne cherche pas à transmettre une leçon de morale, un point de vue confortable, mais à observer le viscéral, douloureux élan de liberté qui s’exprime à travers Gabilia et Otilia, en elles. Car ce qui rend cet avortement d'un autre âge horrible, c'est justement l'absence de la liberté de la femme d'avoir accès à des méthodes modernes de contraception ou d'avortement. Sans jamais s'occuper de considérations directement politiques, 4 mois, 3 semaines et 2 jours fait apparaître, en creux, un univers où l'absence de liberté individuelle est une constante, quelle que soit la position des personnages. Il parvient ainsi à disséquer, avec habilité, la manière dont chacun est amené à s'adapter, voire à créer ses propres règles, pour survivre ou tirer profit d'un système absurde. Ce n'est pas la grande misère, non, on trouve de tout dans ce Bucarest, mais il faut y mettre le prix et perdre du temps. Et en plus, quand l'argent manque, c'est la liberté et la dignité de chacun qui est en jeu. Car ce film est très loin du documentaire, c'est un vrai film, intense et sans longueur, malgré la minceur de l'intrigue. Chaque scène se déroule en un seul plan-séquence aussi minutieux que dépouillé ; plan fixe ou caméra à l’épaule. Pas de pathos, pas de surlignage inutile pour évoquer la peur, l’oppression ou la solidarité. On n'extrapole pas, on ne voit que ce qui se montre : un ensemble de signes extérieurs, d’échanges et de malaises, une trajectoire nerveuse sur les pas d’Otilia dans une nuit hostile, une longue négociation avec un médecin à la fois paternaliste, salaud et dévoué, un dîner de famille où des habitants ordinaires ne parlent que de leurs petite vie… Rien ne vient adoucir le prodigieux et habile effet de réalité. Dans un rôle difficile, Anamaria Marinca, omniprésente, se donne corps et âme, et contribue grandement à la réussite d'un projet très fragile. | |
Distribution
Fiche technique
Récompenses
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