L'histoire se passe sous la Restauration. Dès leur première rencontre, le général Armand de Montriveau tombe follement amoureux de Antoinette de Navarreins, coquette parisienne et épouse d'un duc de Langeais invisible. Armand de Montriveau est un vieux général Bonapartiste, mais toujours respecté pour son courage et ses exploits, en particulier d'exploration de l'Afrique. Antoinette captivée par ce personnage taciturne, mais qui tranche radicalement de ses compagnons habituels de bal, s'amuse à le séduire mais se refuse à lui, en partie par jeu, en partie par respect d'elle même et de lui-même. Un sentiment religieux diffus mais sincère l'habite également. Comprenant que la duchesse manuvre et ne cédera jamais, Montriveau décide d'ignorer son aimée et d'organiser une sorte de vengeance. Montriveau kidnappe la duchesse au sortir d'un bal, la séquestre et menace de la marquer au fer rouge pour la punir, puis la libère sans passer à l'acte. Émue d'être épargnée, la duchesse s'avoue éprise et prête à se déshonorer, mais c'est l'officier qui la refuse, persuadé qu'elle continue à l'ensorceler, pour ne rien lui céder. Antoinette tente une dernière invitation, mais le général, semble-t-il décidé à y aller au dernier moment, rate ce rendez-vous à cause, signe du destin, d'une pendule déréglée. Après s'être heurtée à la porte close de son virtuel amant, Antoinette de langeais se cloître dans un Carmel d'où Montriveau, repentant, va tenter de l'arracher. En réalité le film commence dans un épisode qui se passe cinq ans plus tard. Armand de Montriveau, débarque à Majorque lors de l'expédition française pour rétablir l'autorité de Ferdinand VII. C'est dans le monastère qu'abrite cette île qu'il découvre que soeur Thérèse est la femme qu'il recherche depuis cinq ans. Il obtient l'autorisation de la voir en présence de la mère supérieure. Là, elle accepte de le recevoir en présence de la mère supérieure à qui elle fait croire que cet homme est son frère. L'entrevue en présence de la mère supérieure se clôt théâtralement et dramatiquement par ces mots hautement prononcés "J'ai menti ma mère, cet homme est mon amant". Le rideau brutalement refermé nous renvoie au passé. La première partie sur l'île espagnole mêle les thèmes de la forteresse (le monastère haut perché), de l'interdiction (les grilles et le rideau rouge qui interdisent l'entrée dans le chœur de la chapelle) et du déchiffrement (le dessin en mosaïque sur le sol). On ignore d'abord comment Montriveau reconnaît Antoinette de Langeais. Ce n'est que bien plus tard, lorsque l'on comprendra qu'il a été bouleversé par un morceau joué par Antoinette, que l'on saura que d'entendre seulement chanter celle qu'il aime a suffit pour la reconnaître. L'essentiel du film c'est ce face-à-face que nous offrent les deux personnages principaux, s’appuyant sur de très nombreux chassés-croisés, faisant ainsi du temps l’élément principal du film. Son rôle est ici primordial et tout tourne autour de lui. Chacun des personnages, sans le savoir, dépend du temps et réalise qu’il arrive toujours trop tard. C’est lui qui rythme la danse et découpe le récit en trois parties où celle du milieu n’est qu’un long flash-back traduisant cet amour-haine qui anime la Duchesse et le Général, les menant à leur perte. La Duchesse, soumise aux lois de l’aristocratie, défend son principe consistant à sauver les apparences. Dans ce monde, le « paraître » passe avant tout. Avant l’amour et les sentiments. Et à travers cette danse amoureuse transparaît alors une peinture politique de la société de l’époque. Par l’œil de Jacques rivette et les mots d’Honoré de Balzac, car le film reste très fidèle au texte, c’est l’univers aristocratique qui est mis à mal. Les deux auteurs le décrivent basé sur l’hypocrisie, la bienséance, les faux-semblants et leur critique passe par le biais de Montriveau qui n’adhère pas à ce monde et ne souhaite pas en faire partie. C’est d’ailleurs derrière ces bonnes manières, puis derrière la religion, que va se retrancher Antoinette pour se refuser à Armand. Ce dernier, qui ne peut comprendre, décide alors à son tour d’ignorer son aimée. Le récit devient ainsi peu à peu un duel passionné, un duel d’amour, porté par la beauté des lettres. Il s’emplit des thèmes favoris de rivette lui donnant encore plus de force et de sens. La théorie du complot est présente tout comme ses histoires à tiroirs qui n’en finissent pas de s’ouvrir sur une idée pour se refermer sur une autre. Le côté théâtral, qui n’est pas sans nous rappeler Va savoir, est aussi là, particulièrement dans la mise en scène qui découpe le film en plusieurs saynètes ponctuées de courtes phrases blanches sur fond noir faisant office d'interludes et donnant de l’ampleur au récit. Le goût du cinéaste pour la scène, pour l'exploration du rapport entre comédiennes et metteur en scène, explique un scénario fertile en coups de théâtre : l'horloge déréglée provoquant le rendez-vous raté, le rideau noir du couvent se refermant brutalement sur la religieuse entrevue. Autant d'objets qui illustrent une censure à la sauvagerie de la pulsion, qu'il s'agisse de la fougue du soldat comme de l'élan de la femme mal mariée, prise à son propre piège, torturée par un sentiment jusqu'alors inconnu pour elle, et auxquels il faut ajouter cette hache à double sens. Via l'allusion à la décapitation du roi d'Angleterre Charles Ier en 1649, cet instrument barbare souligne en effet l'allégorie politique qui permet à Balzac de fustiger des valeurs désuètes et à rivette de rejeter un ordre trop pesant. Mais il fait aussi allusion à la torture infligée par Antoinette de langeais à son soupirant, auquel elle a fait perdre la tête : "Vous avez touché à la hache", chuchote Montriveau, en suggérant qu'elle risque fort de subir à son tour un châtiment corporel. Mais l'Histoire des Treize, cette société secrète Bonapartiste, qui menace l'aristocratie de la Restauration, est aussi présente. Ce constat machiavélique d'une déclaration qui, par deux fois, l'une venant d'elle, l'autre de lui, arrive trop tard, nous ramène à la manière dont Jacques rivette a souvent dépeint le couple : un homme et une femme se livrant à un jeu dangereux, une guerre fatale, entre fausses vérités et faux mensonges, dont ils sont à tour de rôle la victime et le démiurge, et qui, lorsque l'énigme livre sa clé, se termine par la mort de l'héroïne, condamnée à ne plus être qu'un fantôme, ou ici "un poème" comme le dit la dernière séquence du film, longue, nostalgique et douloureuse. A la fois innocente et perverse, magicienne et prisonnière, manipulatrice et violentée, "victime et tyran", comme l'écrit Balzac dans un autre récit, La Femme de trente ans, les héroïnes de Rivette , chastes, libertines, métamorphosées ou emprisonnées, (comme Suzanne Simonin, la religieuse de Denis Diderot, en 1966) sont condamnées, quoi qu'elles fassent, à "une égale somme de malheurs". L'interprétation est magnifique: Le jeu de Jeanne Balibar, déjà dirigée par Jacques rivette dans Va savoir, constitue un grand plaisir. Gracieuse, toute en douceur et écorchée vive à la fois, elle retranscrit subtilement le caractère à fleur de peau de cette Duchesse. Quant à Guillaume Depardieu, nouveau venu dans l’univers du réalisateur, son interprétation du Général, personnage torturé, est tout simplement sèche et forte. Sa claudication, fruit de son histoire personnelle, s'adapte bien au personnage du vétéran et symbolise ses moments de doute. Le contraste de lumière joue un rôle essentiel dans la compréhension des personnages : Montriveau arrive à Majorque sous un soleil de plomb tandis que son visage semble meurtri de tant de lumière ; Antoinette sera toujours filmée en intérieur, chez elle ou un court moment dans le Carmel, comme un être incapable de sortir vraiment de sa parure sociale, et qui, tentant de s’en débarrasser, ne pourra tomber que dans un enfermement bien plus rude et solitaire qu’est celui de la prière. Mais c’est aussi dans la construction du cadre que rivette montre son savoir-faire : dans la froideur d’une église, dans l’apparente limpidité divertissante d’un salon, sa caméra change de point de vue en permanence, filme un personnage tout en conservant un son extérieur ou une voix étrangère à l’image. Car il donne beaucoup de clés en hors-champ à la compréhension du caché. Jacques Rivette domine, est un réel spécialiste (et peut-être le seul) de l'adaptation d'Honoré de Balzac au cinéma. L'atmosphère de fantastique social, les puissances secrètes et les pouvoirs occultes le rapprochent de l'auteur de L'histoire des treize et du Chef-d'œuvre inconnu, deux romans dont il s'inspira précédemment pour Out 1 : noli me tangere (1971) et La Belle Noiseuse (1991). Jacques Rivette déclare sur sa mise en scène: Après "La Belle Noiseuse" qui a connu un grand succès, rivette choisit à nouveau Balzac, dont il parle ainsi : "c’est un écrivain que j’ai eu de la peine à lire…, je l'ai découvert une nuit d'insomnie… ce roman m'a converti, et m'a donné la clef pour lire l'ensemble de son uvre." Rivette a perçu l’écriture de Balzac qui, selon lui, "joue sur des forces contradictoires qui génèrent comme un système d'explosion contenue : les longues phrases coupées par des incidentes, les changements de vitesse surprenants, cette façon de dire presque en passant les choses les plus importantes... Voilà pourquoi il faut effectivement lire Balzac mot à mot. C'est une écriture à trois dimensions." La Duchesse de langeais est le titre d'un roman
d'Honoré de Balzac publié dans un premier temps en mars 1834 sous le titre
Ne touchez pas la hache dans la revue L'Écho de la Jeune France.
Ce roman est le plus riche et le plus complet de l'ensemble Histoire des Treize. Le général de Montriveau est épris de la duchesse de langeais, une coquette qui se refuse à lui et qui disparaît. Aidé par les puissants Treize, sorte de franc-maçonnerie aux pouvoirs occultes comme Balzac aime à mettre en scène, il la poursuit jusqu'à un monastère espagnol où elle s'est réfugiée sous le nom de sur Thérèse. L'Esprit des Treize imprègne le roman, en particulier la scène de violence
où l'on voit Montriveau, conseillé par Ronquerolle, menacer la Duchesse
de la marquer au front avec une croix de Lorraine rougie au feu. Les Treize, selon l'introduction de Balzac, sont « treize hommes également frappés du même sentiment, tous doués d'une assez grande énergie pour être fidèles à la même pensée, assez probes pour ne point se trahir, alors même que leurs intérêts se trouvaient opposés, assez profondément politiques pour dissimuler les liens sacrés qui les unissaient, assez forts pour se mettre au dessus de toutes lois, assez hardis pour tout entreprendre, et assez heureux pour avoir presque toujours réussi dans leurs desseins (...). Enfin, pour que rien ne manquât à la sombre et mystérieuse poésie de cette histoire, ces treize hommes sont restés inconnus, quoique tous aient réalisé les plus bizarres idées que suggère à l'imagination la fantastique puissance attribuée aux Manfred, aux Faust, aux Melmoth ; et tous aujourd'hui sont brisés, dispersés du moins ». Il s'agit en fait d'une société secrète qui fait basculer la Comédie humaine vers un univers fantastique, le fameux fantastique social tel que le définit Charles Nodier. Ne touchez pas à la hache est une référence à la hache qui avait servi à trancher la tête de Charles Ier. Cette phrase est reprise par Montriveau lorsque celui-ci raconte une anecdote londonienne à la Duchesse. L’histoire est celle du gardien de Westminster qui, à l’encontre d’un visiteur curieux, s’est écrié « Ne touchez pas la hache ! » en parlant de la lame qui avait servie à décapiter Charles Ier. Autres adaptations cinématographiques
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