François Truffaut (1932-1984 ; biographie) a commencé à voir des films en 1940, à huit ans. Dés cette époque, il fait des fiches et distribue des notes. A la fin de sa vie il aura rédigé des centaines d’articles et quelques livres dont deux recueils de critiques et textes sur des personnalités qu’il affectionnait. Car la force de Truffaut se trouvait dans sa persévérance et sa soif de travail.
Il fut un grand polémiste, attaquant sans relâche toutes les fausses légendes du cinéma français (voir Un polémiste féroce ) son texte Une certaine tendance du cinéma français…). Mais il rédigea surtout les plus beaux textes sur Renoir, Becker, Hitchcock… des cinéastes qu’il admirait et aimait sans bornes.

La partie la plus intense de sa vie de critique se situe entre 1953 où il publie son premier article dans le N° 21 des "Cahiers du Cinéma" et 1958 où son travail de réalisateur va prendre le dessus. Pendant cette période, il collabore à "Arts", aux "Cahiers du Cinéma", à la "Parisienne".


Truffaut,
Janine et André Bazin


Un polémiste féroce

Les histoires du cinéma accordent une place privilégiée à l'article: « Une certaine tendance du cinéma français », publié dans le numéro 31 des Cahiers du Cinéma en janvier 1954.
Truffaut ne fut pas le premier à analyser ni à dénoncer l’influence néfaste de l’adaptation littéraire dans le cinéma français mais son texte est considéré comme décisif ; il écrivait dans une nouvelle revue de faible tirage mais ses quinze pages rencontrèrent une large audience. Surtout, il signe ainsi l’arrêt de mort d’un certain cinéma hexagonal, la « Qualité française », et, de la même plume, l’acte de naissance d’un autre, la « Nouvelle Vague». François Truffaut a écrit et réécrit ce texte pendant deux années de travail intense. C'était un jeune et nouveau rédacteur des Cahiers du cinéma, où il avait signé son premier papier en avril 1953, en écrivant sur les films américains de série B. Les rédacteurs en chef de la revue, Doniol-Valcroze et Bazin, ont d’abord refusé la publication d’un premier état du texte de Truffaut, intitulé « le Temps du mépris », jugé trop insultant contre les tenants du cinéma français. Le jeune critique reprend son texte, en lui adjoignant une démonstration concrète des méfaits de l’adaptation « de qualité » (il soustrait pour ce faire un scénario à Pierre Bost et Jean Aurenche, ses principaux adversaires), et en ôtant nombre des attaques ad hominem et des jugements trop acerbes.
Quand le texte paraît, il fait suffisamment de bruit pour valoir à son auteur la haine d’une bonne part des scénaristes et des cinéastes français, mais aussi un engagement immédiat à Arts, où Jacques Laurent lui confie la page cinéma qu’il saura transformer en une tribune efficace.

En mai 1957, dans "Arts", il insiste sur le sujet :
"Il n’y a pas de mauvais films : il n’y a que des réalisateurs médiocres.
Je ne crois pas aux bons et aux mauvais films, je crois aux bons et aux mauvais metteurs en scène. Il est possible qu’un cinéaste médiocre ou très moyen réussisse un film de temps à autre, mais cette réussite ne compte pas. Elle a moins d'importance qu'un ratage de Renoir, si tant est que Renoir puisse rater un film.
[ ... ]
Un metteur en scène possède un style que l'on retrouve dans tous ses films, et ceci vaut pour les pires cinéastes et leurs pires films. Les différences d'un film à l'autre, un scénario plus ingénieux, une meilleure photo, je ne sais quoi, n'ont pas d'importance, car ces différences tiennent justement à cet apport de l'extérieur, plus ou moins d'argent, un plus ou moins long temps de tournage.
L'essentiel est qu'un cinéaste intelligent et doué demeure intelligent et doué quel que soit le film qu'il tourne. Je suis donc partisan de juger, lorsqu'il s'agit de juger, non des films mais des cinéastes. Je n'aimerai jamais un film de Delannoy, j'aimerai toujours un film de Renoir. "

Mais bien, heureusement, en attaquant ainsi, François Truffaut ne fait pas que détruire, il construit une "Nouvelle Vague":

Il écrit: " Vous êtes tous témoins dans ce procès : le cinéma français crève sous les fausses légendes
Le cinéma est-il un art? Dans la plupart des cas, la conclusion se résume au mot oui. Il y a toujours l'exception qui confirme la règle et, dans ce cas, la conclusion est celle-ci: le cinéma n'est pas un art, car les films sont le résultat d'un travail collectif, le film est une œuvre d'équipe.
On pourrait décider tout net que, contrairement à ce qui est écrit dans toutes les Histoires du cinéma, contrairement à ce qu'affirment les metteurs en scène eux-mêmes, un film n'est pas plus un travail d'équipe qu'un roman, qu'un poème, qu'une symphonie, qu'une peinture.
Les grands metteurs en scène, Jean Renoir, Roberto Rossellini, Alfred Hitchcock, Max Ophuls, Robert Bresson et bien d'autres, écrivent eux-mêmes les films qu'ils tournent. Quand bien même s'inspirent-ils d'un roman, d'une pièce, d'une histoire vraie, le point de départ n'est qu'un prétexte. Un cinéaste n'est pas un écrivain, il pense en images, en termes de mise en scène, et rédiger l'ennuie.

Cet article qui, à l'intérieur de la « profession », fera sourire ceux qu'il ne mettra pas en colère, m'est dicté par un amour profond, total, du cinéma et le mépris de ceux qui en vivent sans l'aimer. Il n'y a pas de crise du cinéma car s'il y avait une crise, les producteurs cesseraient de produire, ce qui n'est pas le cas, le chiffre des investissements grimpant chaque année, en même temps il est vrai que celui des déficits, mais là réside le divin mystère . S'il y avait une crise du cinéma, ce serait une crise d'hommes et non une crise de sujets - les sujets ne sont pas des légumes qui poussent bien ou mal selon le temps qu'il fait.
En fait, je trouve qu'il est stupide de se lamenter, à quelque échelon que l'on soit. Que ceux qui, travaillant dans le cinéma ne sont pas satisfaits, changent de métier; personne n'est venu au cinéma que de son plein gré. Si les scénaristes sont déçus par les metteurs en scène, que ne tournent-ils eux-mêmes les films qu'ils écrivent ? Si les réalisateurs ne sont pas contents de leurs producteurs, que ne financent-ils leurs films eux-mêmes?
"


Un admirateur sans bornes

Peut-être songe-t-il déjà aux réalisateurs de la Nouvelle Vague et à lui-même quand il brosse en 1957 le portrait des futurs cinéastes :
" Le film de demain sera tourné par des aventuriers.
Ce que l'on pourrait écrire qui soit pessimiste sur le cinéma français est ceci au moment où le cinéma hollywoodien se libère, où les cinéastes commencent enfin à tourner les films de leur choix, où les Nicholas Ray, les Richard Brooks, les Aldrich, les Anthony Mann, les Kazan, les Mankiewicz, les Logan tournent des films sur la guerre, contre la guerre, contre la publicité, des films extrêmement libres à tous points de vue, les cinéastes français, parcourant un chemin inverse, s'apprêtent à singer l'Hollywood d'il y a cinq ans.
Nos cinéastes deviennent des esclaves de la superproduction et, comme ils n'ont pas tous la force d'Ophuls, ils se laissent dévorer, absorber par le standing démesuré des films d'aujourd'hui. Plus les films sont chers, plus ils sont bêtes dans notre système de production, plus ils sont impersonnels et anonymes."

"Le film de demain m'apparaît donc plus personnel encore qu'un roman, individuel et autobiographique comme une confession ou comme un journal intime. Les jeunes cinéastes s'exprimeront à la première personne et nous raconteront ce qui leur est arrivé: cela pourra être l'histoire de leur premier amour ou du plus récent, leur prise de conscience devant la politique, un récit de voyage, une maladie, leur service militaire, leur mariage, leurs dernières vacances, et cela plaira presque forcément parce que ce sera vrai et neuf.
Un film de trois cent millions pour s'amortir doit plaire à toutes les couches sociales dans tous les pays. Un film de soixante millions peut s'amortir simplement sur la France ou en touchant de petits groupes dans beaucoup de pays.
Le film de demain ne sera pas réalisé par des fonctionnaires de la caméra, mais par des artistes pour qui le tournage d'un film constitue une aventure formidable et exaltante. Le film de demain ressemblera à celui qui l'a tourné et le nombre de spectateurs sera proportionnel au nombre d'amis que possède le cinéaste.
Le film de demain sera un acte d'amour.

François Truffaut fut un inconditionnel des hommages et des portraits. Utilisant un style léger, ironique, allant jusqu’aux jeux de mots, Truffaut pouvait en une phrase résumer toute une biographie conventionnelle sur un acteur ou une actrice. Exemple: "Quand Marie Dubois joue, toute ressemblance avec la vie réelle cesse d’être fortuite".
On sentait chez Truffaut le devoir, mais aussi le désir, d’exprimer son amour et son respect vis-à-vis d’un cinéaste. Il fallait qu’il sache. Qu’il connaisse tous ses secrets ! Le cinéaste tant glorifié apprenait par la suite qu’il était admiré par un jeune homme fragile et timide dont la vie dépendait du cinéma.
Par exemple sur Jean Renoir il écrit: " Ce n’est pas le résultat d’un sondage mais un sentiment personnel : Jean Renoir est le plus grand cinéaste au monde ". Puis il conclue cette affirmation : " ce sentiment personnel, beaucoup d’autres cinéastes l’éprouvent également et d’ailleurs, Jean Renoir n’est-il pas le cinéaste des sentiments personnels ? "

Tout au long de sa carrière de cinéaste, il rend hommage à certains de ses auteurs favoris, non seulement par le style mais aussi par des séquences très précises, un peu comme des "Private Jokes":

Les Quatre Cent Coups (1959), par exemple, est une oeuvre dédiée à la mémoire d’André Bazin, mais aussi au cinéma d’Alfred Hitchcock. Dans la séquence de la fête foraine, Antoine Doinel participe à une des attractions. Parmi les gens qui accompagnent Doinel, un jeune homme de 26 ans qui n’est autre que Truffaut. C'est une présence sans aucune nécessité, comme le pratiquait par jeu le grand Hitchcock.
Dans Domicile Conjugal (1970), il fait croiser, le temps d’une courte séquence, Antoine Doinel et M. Hulot (personnage inventé par Jacques Tati). Une saynète tendre dans laquelle l’imaginaire rejoignait le burlesque.
Toujours dans ce film, un peu plus tard, Doinel annonce à son meilleur ami qu’il est papa : " Pourrais-je parler avec Jean ? Ah ! Bonjour Mme Eustache, est-ce que Jean Eustache est là ? ah ! vous pourrez lui dire qu’Antoine Doinel a eu un petit garçon. "
Truffaut fixe sur la pellicule des souvenirs de cinéphile. La force visuelle de la scène où apparaît un clone d’Hulot et l’improvisation de cette déclaration d’amitié au cinéaste Jean Eustache sont plus que des points de détails, ce sont des manifestes d'appartenance à des courants intellectuels, des références à l’histoire du cinéma , à l’influence de certains films, à l’apport d’innovations techniques, à l’émergence d’écoles ou de mouvements.


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