Dan, militaire récemment
déchargé de ses fonctions, se réfugie dans l'alcool pour échapper à toute vie
sociale. Sa fiancée Nicole s'obstine malgré tout à croire en leur couple. Gaëlle
cherche désespérément l'amour mais toutes ses tentatives restent vaines. On trouve dans ce film six personnages parisiens aussi bien installés
dans leurs vies professionnelles que dans leurs solitudes étanches. Si le ton de Curs est souvent allègre, toujours fluide et soyeux, parfois même cocasse, son goût est définitivement celui de la cendre, élément naturel qui ressemble à s'y méprendre à la neige qui ne cesse de tomber sur Paris et qui dépose son suaire pelliculeux sur les épaules des personnages du premier au dernier plan (vieille obsession de Resnais depuis, au moins, l'Amour à mort ). Le tourbillonnement des flocons dans la nuit vient régulièrement tourner les pages du séquencier qui donne au film son rythme livide et solennel. Chacun des personnages dégage une force et une vérité écrasantes, qui font vibrer en nous les cordes les plus sensibles et profondes, même si leur normalité apparente s'emploie obstinément à masquer leur désespoir sous une superficialité de convenance. Car, comme tout être humain, ces parfaits objets sociaux ont leurs petites failles, leurs perversions bénignes et presque douces... d'où peuvent surgir, au moindre grain de sable, des gouffres abyssaux. En adaptant une pièce du dramaturge Alan Ayckbourn, comme il l’avait fait dans Smoking-No smoking (1993), Alain Resnais réalise un tour de force comme à son habitude: un mariage de fantaisie et de gravité, de sens et, parfois, d’apparent non-sens, à l'anglaise. Charlotte est un dragon de vertu, mais aussi une dame de petite vertu : elle sème la confusion dans l’existence des autres, qui de toute façon ne veulent pas y voir clair, parce qu’ils ne veulent pas souffrir. La neige qui recouvre le décor et auréole ces personnages peut être celle des comédies hollywoodiennes d’antan, ou le voile de la morte saison. Curs évoque également Mon Oncle d'Amérique car les claustrophobes dominés sont filmés comme des cobayes. Recroquevillée avec sa cape noire dans l'encoignure d'une pièce, Nicole apparaît comme une chauve-souris tandis que la grenouille de bénitier Charlotte se fait traiter de guenon par l'obsédé sexuel acariâtre. Car oui, le sexe rôde dans ce théâtre de marionnettes où plane un interdit : celui de se toucher. Resnais regarde les hommes et les femmes tomber dans le gouffre où les poussent convenances, pudibonderies, hypocrisies. Ainsi Charlotte apparaît comme une maîtresse de cérémonie machiavélique. Quand elle n'efface pas fiévreusement la trace d'un indécent baiser en saisissant son chapelet, quand elle ne se plonge pas dans la Bible, Charlotte signe un drôle de pacte avec Dieu. Ses gémissements érotiques sur un enregistrement vidéo, sa danse nue devant le vieil amateur de nichons, la posent en allumeuse ou ange masqué, selon. "S'il y a un feu de l'enfer, c'est en nous qu'il brûle", dit la tentatrice qui évoque le néant métaphysique, avec sous-entendus : "Je parlais de l'obscurité avec un grand O, le trou noir si vous voulez !" Le miracle, dans ce spectacle de solitaires désespérés, lâches, timorés, c'est qu'y perce l'émotion, la chamade, et qu'on y rit. Curs est une comédie sur des humeurs moroses, servie par une mise en scène lyrique, inventive, que Resnais orchestre comme un ballet de vitres, rideaux, cloisons, autant d'espaces désaccordés, abris en trompe-l'il, parois étanches, murs obstacles rendant toute complicité obsolète. Resnais nous rappelle avec élégance que nous sommes dans un film adapté d'une pièce de théâtre quand il filme les appartements visités d'au dessus, faisant apparaître les cloisons comme des éléments de décors. Qu'elles proposent un trois-pièces, "vue imprenable", ou une rencontre avec un cur à prendre, "physique agréable", les petites annonces agissent comme révélateurs d'imaginaire. On cherche la trace d'une belle disparue que d'aucuns ont cru voir à Marienbad, d'une apparition dissipée mais que l'on aime à mort, les rendez-vous secrets ne débouchent que sur des songes. Dans le nouveau quartier de la Bibliothèque François-Mitterrand qui renferme tous les rêves, les mots par lesquels s'expriment l'indicible privé, toute la mémoire du monde, des hommes sont prostrés devant les particules en suspension qui meublent le "petit" écran après l'arrêt des programmes.
Alain Resnais déclare: Alain
Resnais déclare: Sur son
rapport au théâtre, Alain Resnais déclare : Alain Resnais
sur les pièces d'Alan Ayckbourn et sur le titre : | |||||
Distribution
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Fiche technique
Récompense : Lion d'argent (meilleur réalisateur) et meilleur actrice pour Laura Morante au Festival de Venise 2006. Alan AyckbournSir Alan Ayckbourn est un dramaturge et metteur en scène britannique né le 12 avril 1939 à Londres, d'un père violoniste et d'une mère romancière. À l'âge de 8 ans, il est marqué par la séparation de ses parents : sa mère épousera l'année suivante un directeur de banque. Le thème du couple et de la séparation est au centre de son œuvre. À
18 ans, après obtention brillante d'un baccalauréat littéraire, il décide
de devenir un homme de théâtre "total" : électricien, assistant régisseur,
technicien du son, apprenti comédien. Pièces d'Alan Ayckbourn (liste partielle)
Films tirés de l'œuvre d'Alan Ayckbourn
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