Sôseki Natsume (夏目漱石)

Tous les Japonais
connaissent le portrait
de Natsume Sôseki
qui orne les billets
de 1000 yens.

 

Voir aussi:

Shikoku Shinjuku . .Littérature japonaise moderne et contemporaine


Kinnosuke Natsume est né le 9 février 1867 à Ushigome, Edo ( aujourd'hui Tôkyô ) dans l'arrondissement actuel de Shinjuku . Sa naissance coïncide avec le début de l'ère Meiji (1867-1912), de modernisation du Japon. Natsume est son patronyme mais il prend comme nom de plume, en 1888, "Sôseki" dont le kanji signifie "obstiné"

C'est un enfant non désiré, d'une mère âgée qui le rejette. Il est confié à un couple de serviteurs jusqu'à l'âge de neuf ans. De retour dans son foyer, il continue à être rejeté par son père et sa mère meurt en 1881, lorsqu'il vient d'avoir 14 ans.

Au collège, il se passionne pour la littérature chinoise et se destine à l'écriture. Mais quand il entre à l'Université de Tokyo en septembre 1884, il est obligé de commencer des études d'architecture mais étudie en même temps l'anglais. Il apprendra également l'allemand et le français, ce qui exceptionnel pour un japonais de son temps.

En 1887, il rencontre Masaoko Shiki, qui le pousse à écrire et l'initie à la composition des haïkus. En 1890, il entre au Département d'Anglais et obtient son diplôme en 1893. Il commence aussitôt à enseigner.

En 1895 il est nommé professeur à Matsuyama et son expérience donnera lieu dix ans plus tard à la rédaction de Botchan. L'année suivante, il est nommé à Kumamoto et continue à publier dans des revues des haïkus et d'autres poèmes.
Le 10 juin 1896, il se marie avec Kyoko Nakane.


A Matsuyama,
une horloge rend hommage à Natsume Sôseki en représentant les personnages de Botchan

Le gouvernement japonais l'envoie étudier en Angleterre, d'octobre 1900 à janvier 1903.
Cette expérience n'est pas des plus heureuses, car il manque d'argent et passe beaucoup de temps enfermé et plongé dans des livres. De cette confrontation avec L'Occident, Sôseki laisse des textes très variés qui relatent son expérience londonienne; certains sont empreints de rêveries historiques, d'autres particulièrement cocasses.

A son retour, il se voit confier la tâche de succéder au prestigieux Lafcadio Hearn comme lecteur de littérature anglaise à l'université de Tokyo, poste qu'il va abandonner pour se consacrer entièrement à l'écriture à partir de 1907, grâce à un contrat avec un grand journal de Tokyo, Asahi, pour lequel il rédige de nombreux ouvrages.
Son premier livre "Je suis un chat" parait en 1905. C'est une vision ironique, à travers les yeux naïfs d'un chat, du Japon de son temps.

Le second voyage, d'agrément celui-là, le mène en Mandchourie alors sous domination japonaise, puis en Corée, de septembre à octobre 1909. Invité par l'un de ses meilleurs amis occupant un poste-clef dans l'administration coloniale, il parcourt le pays avec nonchalance et cache difficilement un certain mépris pour les autochtones.

A partir de 45 ans, la santé de Sôseki se dégrade rapidement. Il sort avec difficulté de chez lui.
Il se rapproche des pratiques religieuses nommées "Sokutenkyoshi" de détachement de soi.
Il meurt d'un ulcère à l'estomac le 9 décembre 1916.


L'œuvre de Natsume Sôseki
(presque toute traduite en français)


Trois haïkus de Natsume Sôseki

 

Printemps:

Sous un voile de lune
Ombre de fleur
Ombre de femme!

Été:

Un soleil rouge
Tombe dans la mer
Quelle chaleur d'été!

Automne:

O feuilles, demandez à la brise
Laquelle d'entre vous quittera la première
L'arbre encore verdoyant!

 

Quelques œuvres

Je suis un chat (吾輩は猫である, Wagahai wa, neko de aru)

Je suis un chat est paru sous forme de feuilleton  de 1905 à 1906 dans le journal Hototogisu.

Un jeune professeur pendant l'ère Meiji accueille un jeune chat chez lui. Le chat, observateur silencieux et plein d'esprit, va être témoin et chroniqueur de tout le petit monde d'hurluberlus entourant le professeur. Il va faire l'apprentissage de la vie aux côtés de ce qui convient le mieux à cet objectif : un grand professeur de littérature anglaise, le professeur Kushami ("éternuement" en japonais). Le personnage de Kushami, professeur de littérature anglaise comme Sōseki est le reflet plus ou moins fidèle de ce dernier avec sa maladie d'estomac qui lui donne mauvais caractère.
Le titre original utilise le pronom de la première personne (Wagahai) ayant une nuance d'arrogance, au lieu du banal Watashi.

Les premières lignes du roman sont très célèbres au Japon : « Je suis un chat. Je n'ai pas encore de nom. Je n'ai aucune idée du lieu où je suis né », (吾輩は猫である。名前はまだ無い。どこで生れたかとんと見当がつかぬ。, Wagahai wa neko de aru. Namae wa mada nai. Doko de umareta ka tonto kentou ga tsukanu?)
Un petit chat, qui n'a pas de nom, se retrouve dans le jardin du professeur Kushami dans la ville d'Edo (ancien nom de Tōkyō). Adopté par ce dernier, il devient le chat de la maison. Doté d'une grande fierté, le chat est souvent indigné de la façon dont on le traite et juge rapidement les humains comme des bêtes étranges et inconstantes. Il est par ailleurs étonnamment cultivé, il bénéficie d'une sorte d'omniscience encyclopédique.
Au fur et à mesure du roman, des personnages, tous plus caricaturaux les uns que les autres, défilent chez Kushami, et c'est là une belle occasion de dépeindre la société japonaise en pleine mutation pendant cette ère Meiji. Il y a là Meitei, l'étudiant fantasque et pédant, Kangetsu le doctorant original, et une foule d'autres visiteurs. Sans compter bien sûr la propre famille de Kushami avec sa femme, ses deux filles et O-San la bonne.
Sōseki développe ensuite une petite intrigue autour du mariage de Kangetsu avec la fille d'un riche marchand voisin. Il en profite pour critiquer le monde financier qui est en train de se créer à cette époque.

Le roman figure parmi les classiques de la littérature japonaise et a fait l'objet de deux adaptations cinématographiques en 1935 et en 1975 par Kon Ichikawa.


Botchan (坊ちゃん)
Ce court roman est un des plus populaires du Japon. Chaque écolier japonais le lit au cours de sa scolarité. Ce roman est très largement autobiographique et se rapporte au séjour de l'auteur à Matsuyama 10 ans plus tôt.
Nous sommes dans le Japon de la fin du dix-neuvième siècle, la première génération après la restauration de l'empereur Meiji, alors que le pays vient seulement de s'ouvrir au monde et qu'une nouvelle époque commence.
Botchan est orphelin très jeune, bagarreur et risque-tout. Le garçon ne trouve d'affection que chez Kiyo, la servante de la famille, noble lignée ruinée par la Restauration Meiji, et qui le chérit à l'extrême. Envoyé pour son premier poste comme professeur de mathématiques dans un collège de province, le jeune citadin se trouvera, comme l'auteur, transplanté, en butte aux tracasseries de ses élèves (qui l'ont surnommé " professeur nouilles et friture ") et aux manœuvres de ses collègues.
L'école a ses règles strictes, les cours sont rythmés par le son du clairon, les professeurs sont jaloux les uns des autres et exigent qu'on les respecte en fonction de leur position dans la hiérarchie. Il leur donne des sobriquets, se lie d'amitié avec un collègue, qu'il a surnommé Porc-Epic. Il ne se sent pas à l'aise, venant de la capitale.
Les autres le trouvent superficiel et vaniteux et lui, se sent exilé parmi des campagnards. Il se révolte : " On avait acheté mon corps pour un pauvre salaire, mais avait-on le droit de m'obliger à rester dans l'école en regardant fixement une table, durant mon temps libre ? " Les bagarres entre le collège et l'école normale à l'occasion de la célébration de la victoire du Japon sur la Russie marqueront la fin de la carrière provinciale du professeur. Dénoncé dans la presse locale comme un " jeune blanc-bec inconnu fraîchement débarqué de Tokyo qui a incité nos élèves, ces jeunes gens dociles et respectueux, à provoquer des troubles ", il sera tout heureux de présenter sa démission et de rentrer à Tokyo.
C'est un roman d'éducation, caustique et vif, plein d'observations au vitriol sur le milieu provincial.

Le dessinateur Jirô Taniguchi (né le 12 août 1947 à Tottori) a reconstitué dans une longue saga en cinq volumes, style manga réaliste, "Au temps de Botchan", la vie de Sôseki et l'ambiance de l'époque.


Le 210e jour ( 二百十日 )
Le 210e jour de l'année, période chaude mais perturbée par les typhons et les brouillards, deux vieux amis entreprennent de gravir le Mont Aso, volcan en activité, mais assez facile à gravir. Après une nuit passée à l'auberge, leur tentative échoue assez lamentablement.
Dans ce court roman, Sôseki dresse un portrait ironique de deux vieux amis qui sont plus habiles pour parler que pour agir, abordant des sujets sérieux mais avec désinvolture.
Ce petit récit savoureux évoque le Bouvard et Pécuchet de Flaubert.
Le mineur (坑夫)

Un étrange jeune homme, sans visage et sans nom, fuit la chaleur et le confort et la lumière de Tôkyô. Il lui faut s'enfoncer dans le noir et le brouillard, s'effacer du monde, dépérir, à défaut, déchoir. Il n'a fait aucun crime mais il estime qu'après ses hésitations amoureuses, il n'a plus sa place dans la société bourgeoise.
Il est appâté en un tournemain par un maquignon, et se retrouve embrigadé dans une petite troupe qui comprendra, outre leur mentor, un paysan dit " Couverture-Rouge ", et un jeune gars inculte sorti des montagnes : les quatre êtres traversent les montagnes jusqu'au but promis : la mine de cuivre. Les pseudo-compagnons, doubles pitoyables du jeune homme, s'évanouissent en une ligne. Il se retrouve seul pour affronter le froid, les punaises, la nourriture avariée, les railleries de compagnons incultes, la fatigue physique et la promiscuité avec les autres mineurs. Même si Sôseki n'est pas allé en personne à la mine, il s'est documenté très sérieusement par l'intermédiaire d'un ami.

Sôseki nous ramène en permanence à notre condition de lecteur et prend du recul dès que la tension est trop forte: "ce que j'écris là, lecteur, n'est pas un roman !"

Toutes les interrogations philosophiques et littéraires du début du XXe siècle, encore d'actualité, sont posées avec alacrité et humour dans cet écrit, contemporain des romans de Kafka et saisissant de modernité.
Mais en dehors de l' aspect social, c'est surtout une intense reflexion sur le sens de la vie, la possibilité du suicide et la force de l'instinct de conservation qui va pousser le héros à revenir en ville.
«Si je devais considérer ma fugue comme la première station dans la trajectoire de mon autodestruction, la contrée floue où je me trouvais à présent était certainement peu éloignée du terminus, même si je ne savais pas combien d'arrêts il y aurait encore.»


Petits contes de printemps (永日小品)
Publiés la même année que Shanshirô, les petits contes de printemps sont une série de textes courts.
C'est une alternance de souvenirs récents et de récits évoquant son séjour en Angleterre de 1900 à 1903. Certains de ces récits sont tendres et ironiques, d'autres un peu plus désabusés.
Parus à l'origine dans un journal, les petits contes de printemps brouillent les pistes : récits, chroniques, nouvelles, paraboles ou contes. Ils sont toujours au moins partiellement autobiographiques. Le personnage central est, en effet, écrivain, présenté comme une sommité qu'on visite(Jour de l'an, Le faisan).
Pourtant, dans quelques nouvelles isolées, Sôseki nous apprend à nous méfier des apparences. Un souvenir d'enfance peut devenir un conte fantastique (Le Serpent).
Dans ces récits du quotidien et de l'ordinaire, il mélange le réalisme et le fantastique. En effet, ces genres que l'on croit absolument antithétiques sont en fait jumeaux et posent tout deux la même question : où commence / où s'arrête le réel ?


Shanjirô (三四郎)
Ce roman raconte l'histoire du jeune Sanshirô quittant la lointaine Kumamoto pour mener une vie d'étudiant dans la capitale.
C'est un roman d'apprentissage subtil et impressionniste, situé dans le Japon du début du siècle. Sanshirô décrit parallèlement les émois d'un jeune garçon découvrant la vie et les contradictions d'un pays en train de s'ouvrir.
Le livre fait clairement référence à l'irruption d'une flotte américaine venue exiger, en 1853, l'ouverture du pays au commerce occidental. Yojiro, l'ami citadin, vif et calculateur, double inversé de Sanshirô, a beau jeu de souligner le parallèle à l'attention de son compagnon : " Tu viens juste de quitter ta province du Kyushu, ironise-t-il. Tu dois avoir le même âge que l'ère Meiji. "
Sanshirô goûte, sous des ciels de marbre, auprès de la belle Mineko, les plaisirs rares des " stray ship " les brebis égarées, en anglais dans le texte. Le mariage arrangé avec la rustique Omitsu, de Miwata, est vite oublié. Le grain de la peau de Mineko, qui a le teint doré des "mochis" (boules de riz légèrement grillées) est des plus fins....
On retrouve dans ce roman le ton du Botchan sur un thème inversé, celui du provincial débarquant dans la capitale.


Et puis (それから)
Daisuké promène sa trentaine désœuvrée dans ce Japon des années 1900 étourdi par le virage de la modernité ; sa vie de lettré oisif et contemplatif semble devoir s'écouler sans à-coups, seulement rythmée par ses allées et venues sans but précis, ses conversations avec son serviteur ou quelque visiteur, et ses déplacements obligés chez son père qui l'entretient.
Mais l'heure des choix décisifs finit par sonner : Daisuké doit-il accepter le mariage arrangé selon la tradition par sa famille, ou bien écouter son penchant amoureux pour la douce Michiyo, la femme de son ami, ressurgie tout à coup dans sa vie ?
Il lui faut abandonner l'inertie nonchalante dont il s'était fait une philosophie de vie , rompre avec une existence linéaire et confortable pour se lancer dans une irrémédiable rupture avec le passé, faire le grand saut dans l'inconnu de l'accomplissement de soi en dehors des conventions sociales. Risquer sa vie pour aborder la liberté.

Le pouvoir magique de ce roman tient à l'évocation subtile de la personnalité de son héros, au fait que nous suivons son indécision, la lente maturation de ses pensées et frémissements intérieurs, pressentant presque ses états d'âme avant même que sa propre conscience lui en donne le signal.
Une Éducation sentimentale au cœur d'un Japon perdant ses certitudes ancestrales et s'ouvrant, inquiet , à la modernité occidentale.

( Note de lecture amicalement rédigée par M.F.B.)


A l'équinoxe et au delà (彼岸過迄)
Une étrange mission marque pour Keitarô l'entrée dans le monde des adultes, du travail, des femmes, là où sont divulgués les secrets de l'existence, là où se rejoignent la fin et l'origine. Au-delà de l'équinoxe, au-delà de l'éducation sentimentale d'un jeune homme naïf et curieux, l'auteur de Botchan et du Mineur pousse l'investigation de l'âme et des passions qui meuvent les êtres jusqu'à l'expérience ultime de l'amour et de la mort.


A travers la vitre (硝子戸の中)
En 1915, Sôseki a quarante-huit ans. Mais c'est déjà un vieil homme malade, aux intonations douces, conscient à l'extrême de sa faiblesse, de sa petitesse face au vaste monde. Dehors, la guerre fait rage. Lui, il a envie de décrire ses variations d'humeur, les visites qu'il reçoit. Il s'amuse d'avance de la provocation que constitue ce projet : " Si j'écris, je le ferai en poussant du coude les politiciens, les militaires, les hommes d'affaires, les passionnés du sumô. "
Sôseki, affirme fermement sa combativité: " Je vais aborder des sujets si ténus que je dois bien être le seul à m'y intéresser".
Les visiteurs de l'homme seul et malade sont loin de susciter automatiquement sa reconnaissance, ou même son intérêt. Quelqu'un téléphone pour le prendre en photo. D'accord, répond l'écrivain, mais à la condition expresse de n'être pas obligé de sourire.
L'auteur s'émerveille que, même seul, malade et coupé du monde par une vitre, on continue à duper et être dupé. Et ce qui est réconfortant chez lui, ce vieux sage, c'est que, même faible, il riposte : il répond à son solliciteur agressif sans payer le port.
A une dame qui lui déclare: " Tout a l'air d'être tellement en ordre chez vous, dit-elle. Même vos viscères doivent être bien en place" Sôseki répond " Si c'était vrai, je ne serais pas si souvent malade. "
Quand il est seul, il joue avec ses souvenirs, les salons de thé, les promenades dans Tokyo, un vieux copain, une sortie au théâtre. Il le fait avec tendresse, à cause de sa délicatesse. Mais il n'oublie pas son ingratitude : " De cette bonne qui m'a rendu si heureux, j'ai oublié le nom et le visage. Je ne me souviens que de sa gentillesse"
Et il termine son livre apaisé, sur l'idée d'une sieste.


Les herbes du chemin (道草)
"Les herbes du chemin" est le dernier roman que Sôseki, malade, put achever en 1915, avant sa mort. Dans l'intimité du couple que forment Kenzô et sa femme, le quotidien scelle une entente faite de méprises et de malentendus. L'habitude ne devient rien d'autre que le témoin indifférent d'un être aux prises avec le monde.
Comme souvent chez Sôseki, une large part de ce roman est autobiographique. Sur Kenzô, pèse aussi la présence d'un père adoptif, une ombre que trouent de façon intermittente les souvenirs que l'auteur rappelle à lui. Il nous montre les incertitudes de la mémoire, ces lignes d'ombre où s'enchevêtrent les traces du passé et du présent, prenant leurs racines estompées dans l'enfance. Ainsi, peu à peu, sous les yeux du lecteur, se construit le roman d'une vie, avec le regard perçant d'un homme qui, à la fin d'une trop courte vie, pénètre dans un monde nouveau.


retour à la page d'accueil voyage au Japon . . . . . . . . . . Recherchez sur ce site

me joindre