Patrice Chéreau

Cinéaste français; (biographie) (filmographie)

Lezigné (Maine et Loire) 2/11/1944 - 7/10/2013 Paris


Patrice Chéreau est né à Lezigné, dans le Maine et Loire, le 2 novembre 1944. Il est le fils cadet d'un couple de peintres.
Installés à Paris, ses parents l'initient au monde des arts en l'emmenant régulièrement visiter des expositions, ce qui développe en lui, très jeune, un profond sens artistique. Il se déguise parfois en prêtre, non pas par vocation religieuse, mais parce qu'il est fasciné par le costume et la mise en scène liturgique.

Il entre au Lycée Louis-le-Grand et rejoint la troupe de théâtre de son établissement. Être acteur ne lui suffit pas : il met en scène et se lance dans la conception des décors et des costumes.

Les débuts au théâtre

En 1966, à 22 ans, dans la France bouillonnante d'avant mai-1968, il prend la direction du théâtre de Sartrouville. Comme la plupart de ses compagnons, il s'engage dans un théâtre politique où il affiche des positions affirmées.

La faillite, en 1969, du théâtre de Sartrouville, pousse Patrice Chéreau vers l'Italie, où il intègre le Piccolo Teatro de Milan. Il travaille en même temps en France, où il se met en scène, à Marseille, dans Richard II de William Shakespeare. Puis de 1971 à 1977, il dirige avec Roger Planchon et Robert Gilbert le Théâtre National Populaire de Lyon-Villeurbanne.

Ses premiers films

Pour Chéreau, le cinéma garde en commun avec le théâtre l'unité de lieu et de temps; les scènes deviennent à l'écran des séquences. Mais pour lui le cinéma permet de mieux mettre en valeur les émotions picturales de son enfance.
La première réalisation de Patrice Chéreau, La Chair de l'orchidée, adapte avec liberté, en 1974, le roman homonyme de James Adley Chase.

En 1976, Patrice Chéreau vit une expérience exceptionnelle : la mise en scène de la Tétralogie de Richard Wagner, à la demande de Pierre Boulez, pour le centenaire de l'Opéra de Bayreuth, sanctuaire du compositeur allemand.

Son deuxième film, en 1978, Judith Therpauve avec Simone Signoret dans le rôle-titre, bien que très dense ,semble pourtant le moins abouti du metteur en scène.

Les amandiers

De 1982 à 1990, Chéreau dirige la maison de la culture de Nanterre, devenue théâtre des Amandiers. En 1983, après Combat de nègre et de chiens, de son ami Bernard-Marie Koltès, il y monte les Paravents de Genet en farce sulfureuse. Il alterne avec bonheur le classique ( Marivaux, Mozart) et le contemporain.
Le théâtre des Amandiers, est une pépinière qui va révéler une nouvelle école de comédiens. Certains resteront au théâtre, mais beaucoup passeront aussi par le cinéma. Parmi eux : Valéria Bruni-Tedeschi, Vincent Perez, Agnès Jaoui, Pascal Greggory.

Pendant cette période il réalise son film le plus personnel, l'Homme blessé (1983), histoire d'une passion homosexuelle, qui trouble le Festival de Cannes mais remporte le César du meilleur scénario.
Dans la continuité de son travail pour le théâtre, il tourne avec ses élèves comédiens, Hôtel de France (1987), dont le sujet évoque une réunion familiale des plus chaotiques.

La maturité

À la fin de la saison 1989-1990, Chéreau quitte le théâtre des Amandiers. Il se consacre à l'opéra (Wozzeck, de Berg, 1993; Don Giovanni, de Mozart, 1994) et à la préparation d'une grande fresque cinématographique, la Reine Margot.
Le film, d'après Alexandre Dumas, est écrit sur quatre ans en collaboration avec Danièle Thompson. Il met en scène les corps comme rarement au cinéma.
Chéreau s'étend de plus sur la fameuse nuit de la Saint-Barthélemy, un épisode traumatisant de l'Histoire de France, jamais mis en scène avec un tel réalisme. La reine Margot est récompensé du Prix du jury à Cannes en 1994 et Virna Lisi remportera le Prix d'interprétation féminine.

En parallèle, il met en scène à l'Odéon, "Le temps et la chambre" de Botho Strauss (1991) puis une nouvelle version de "Dans la solitude des champs de coton", de Koltès, en 1995.

Chéreau nous invite à le suivre à Limoges quatre ans plus tard pour "Ceux qui m'aiment prendront le train". Le scénario, co-écrit une nouvelle fois avec Danièle Thompson, est une invitation à de curieuses funérailles.

En 2000, il réalise, pour la première fois à l'étranger et en anglais, un film sombre, impudique et légèrement scandaleux, "Intimité". Il rencontre le succès auprès du public. Absent de Cannes, il remporte l'Ours d'Or à Berlin et Kerry Fox, dans le rôle principal, le Prix d'interprétation masculine.

En 2003, avec la sortie de "Son Frère", il replonge dans le drame d'une famille divisée, à mi-chemin de "La Reine Margot" et de "Ceux qui m'aiment.." avec un rôle symbolique fort du sang.

Le style de Chéreau

Il se confirme que Patrice Chéreau sait toucher à tout avec génie. Metteur en scène, il maîtrise les décors, les costumes, la lumière, la direction d'acteurs. A cet art s'ajoutent ceux de scénariste et d'acteur.
Tous ces talents trouvent leur expression au théâtre, à l'opéra et au cinéma, la fusion entre l'artiste et son art est totale.
Patrice Chéreau à travers la diversité de ses sujets montre une parfaite cohérence.

Certains ont pu reprocher à Chéreau un certain statisme de ses films et l'attribuer à un manque d'adaptation du metteur en scène de théâtre au langage cinématographique. Cela serait ignorer le travail sur le temps, à l'instar de celui sur les couleurs, et avant tout, sur les corps, qui dans tous ses films, sont modelés par la lumière, poussés aux limites de l'impudeur et à la fois magnifiés et torturés.

Son engagement

Patrice Chéreau a vécu un engagement politique constant. Participant à la manifestation organisée par la gauche et réprimée à la station Charonne en 1962 , il soutient François Mitterrand en 1981 et 1988 puis Lionel Jospin en 1995 et 2002. Fidèle au camp socialiste, il appelle à voter Ségolène Royal en 2007 . Lors de la primaire de 2011, en vue de la désignation d'un candidat socialiste à l'élection présidentielle, il apporte son soutien à Martine Aubry.

Patrice Chéreau décède le 7 octobre 2013 à Paris.


Filmographie (réalisateur):

Filmographie (acteur):

Quelques films

* La Chair de l'orchidée, de Patrice Chéreau, sorti en 1974, scénario adapté d'un roman noir de James Adley Chase, durée 115mn, avec Charlotte Rampling, Bruno Cremer, Hughes Quester, François Simon, Hans Christian Blech, Roland Bertin, Marcel Imhoff.

Claire hérite d'une immense fortune, aussitôt, Madame Bastier Wegener, sa tante, la fait interner dans un hôpital psychiatrique afin de récupérer ses biens. Claire réussit à s'évader et rencontre Louis Delage, un éleveur de chevaux, dont elle s'éprend. Mais tous deux sont bientôt poursuivis par des tueurs.

Ce premier film, tiré d'un roman noir recèle déjà toutes les qualités du cinéma de Chéreau. Un rythme étiré, des harmonies de couleurs (ou de non-couleurs) et une direction d'acteurs exigeante.
Ce dernier point fera dire à Charlotte Rampling, son actrice principale : ses « personnages vivent à l'extrême de leur vie émotionnelle ».


* Judith Therpauve, de Patrice Chéreau, sorti en 1978, durée 125 mn, avec Simone Signoret (Judith Therpauve), Marcel Imhoff (Damien), Philippe Léotard (Maurier), Robert Manuel, Daniel Lecourtois , Laszlo Szabo , Jean Rougeul , François Simon

La veuve d'un héros de la Résistance accepte de sortir de sa solitude pour reprendre la direction d'un quotidien régional qu'elle a co-fondé au lendemain de la Libération, pour éviter qu'il ne tombe aux mains d'un trust concurrent.

Ce deuxième film de Chéreau, qui resta assez confidentiel aborde la dichotomie entre les valeurs du passé et celles du présent. Mais c'est aussi un portrait de femme en fin de vie et une approche des métiers de la presse. Cette multiplicité des angles de vue, quelque fois seulement esquissé, donna une impression d'inachevé au film.


* L'Homme blessé, de Patrice Chéreau, sorti en 1983, durée 109mn,
avec Jean-Hugues Anglade (Henri), Vittorio Mezzogiorno (Jean), Roland Bertin, Lisa Kreuzer, Hammou Graïa

Henri, adolescent, s'ennuie. Accompagnant sa sœur à la gare il rencontre Jean, homosexuel qui le pousse à commettre un acte de violence sur un inconnu. Immédiatement, Henri éprouve une immense passion pour Jean et décide de le suivre dans son univers interlope. La passion naïve d'Henri vient butter contre le cynisme de Jean.

Ce film initiatique sur un jeune homme de 18 ans qui découvre un monde trouble et sans pitié, en même temps que son homosexualité, provoqua quelques émois à Cannes. Le scénario (récompensé par un César en 1984) est le fruit d'une collaboration étendue sur six années avec Hervé Guibert.
Chéreau y a projeté, dit-il, le sentiment d'une homosexualité non réalisée qui lui est très proche.


* Son Frère , de Patrice Chéreau, sorti en 2003, scénario de Patrice Chéreau et Philippe Besson, durée 95 mn, Ours d'argent - meilleur réalisateur - Berlin 2003, avec : Bruno Todeschini, Eric Caravaca, Maurice Garrel, Antoinette Moya

Thomas risque à chaque instant de succomber à une hémorragie. Il n'a pas vu son frère, Luc, depuis des années mais, c'est vers lui qu'il se tourne pour affronter la rechute de sa maladie.
Luc soutient Thomas parce que ce dernier le lui a demandé, par devoir. Cependant, peu à peu, un lien se tisse, se renoue entre les deux frères. Ce lien devient exclusif et les parents, les conjoints, les autres disparaissent pour laisser place à une fraternité retrouvée.

L'utilisation d'une caméra à l'épaule et l'absence de maquillage témoignent d'une volonté de filmer le réel. Les corps apparaissent à l'écran dévoilés au plus profond de leur intimité. Malades, les corps deviennent des objets plus que des sujets.
Bruno Todeschini a perdu douze kilos pour les besoins du tournage.
Pour rendre plus supportables les détails sordides du traitement, le montage alterne intérieurs et extérieurs. L'agonie de Thomas se découpe en flash-back. La côte bretonne contrebalance l'hôpital et Chéreau sait éviter les pièges de la seule compassion, car la mort de l'un sert aussi à la reconstruction de l'autre.


* Persécution , de Patrice Chéreau, sorti en 2009, scénario de Patrice Chéreau et Anne-Louise Trividic, durée 100 mn, Montage de François Gédigier , Musique d' Éric Neveux, avec : Romain Duris ( Daniel ) Charlotte Gainsbourg (Sonia) Jean-Hugues Anglade (l'inconnu) Alex Descas (Thomas) Gilles Cohen (Michel) Michel Duchaussoy (le vieil homme) Tsilla Chelton

Un inconnu s'introduit régulièrement chez lui et déclare être l'homme de sa vie. Mais d'où vient cet homme ? Comment est-il entré dans son existence ? Daniel ne s'en souvient guère. Il habite seul, va deux fois par semaine chez Sonia, une femme qu'il aime, qu'il idéalise et qu'il persécute à la fois. Sonia souhaite vivre avec Daniel un amour apaisé, mais celui-ci s'acharne à lui réclamer toujours plus. Balloté entre Sonia et ce mystérieux quidam qui le harcèle, Daniel perd pied. Autour de lui, c'est l'incompréhension la plus totale, ce qui ne l'aide guère à faire le point sur ses projets et sur ses désirs...

Daniel, 35 ans, fuit. Il croit qu'il reste, mais il fuit. Il croit qu'il donne, mais il prend. Il croit qu'il aide, mais il tape. Daniel marche, parle, court, râle, toujours en mouvement, toujours en absence. Et voilà qu'un homme se met à le suivre, le traquer, le harceler. Un demi-­clochard, un cinglé qui se dit fou d'amour. Un inconnu s'introduit régulièrement chez lui et déclare être l'homme de sa vie. Mais d'où vient cet homme ? Comment est-il entré dans son existence ? Daniel ne s'en souvient guère. Il habite seul, va deux fois par semaine chez Sonia, une femme qu'il aime, qu'il idéalise et qu'il persécute à la fois. Sonia souhaite vivre avec Daniel un amour apaisé, mais celui-ci s'acharne à lui réclamer toujours plus. Balloté entre Sonia et ce mystérieux quidam qui le harcèle, Daniel perd pied. Autour de lui, c'est l'incompréhension la plus totale, ce qui ne l'aide guère à faire le point sur ses projets et sur ses désirs.

Tendu comme ses personnages, Patrice Chéreau montre, en plans secs, courts et vibrants comme du free jazz, qu'évoque, d'ailleurs, l'ambiance musicale d'Eric Neveux, des êtres qui, pour éviter la chute, tentent de se raccrocher les uns aux autres, mais en vain. Patrice Chéreau happe un drôle de monde à cran, où chacun cherche en l'autre à la fois sa copie conforme et son double inversé.

Il y a dans ce film des lueurs et des abîmes dostoïevskiens chez les personnages, qui, tous, foncent dans la nuit pour trouver une possible lumière. Quand le persécuteur de Daniel se mue, lors d'une scène magnifique, en confesseur, on devine alors, parce que c'est le seul à savoir aimer vraiment, qu'il continuera, en dépit des tortures et des rebuf­fades, à veiller de loin sur son amour, telle une sentinelle.


Plus de cinema