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François Truffaut et les femmesL'Homme qui aimait les femmes ;
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François Truffaut accorde la première place aux femmes dans pratiquement
tous ses films. Ce sont-elles qui décident aux moments forts, qui font
basculer le film, tantôt vers le bonheur, quelquefois vers
la mort.
Dès Jules et Jim, il insinue que loyauté
et intégrité peuvent aller de pair avec le partage de l'amour. Jusqu'au-boutiste
et assoiffée d'honnêteté intellectuelle, Catherine va se jeter dans la Seine
quand son amant lui tient des propos machistes sous prétexte de citer Baudelaire.
« C'est très rare qu'un caractère de femme soit décrit comme cela. Catherine,
c'est l'insoumission », résume aujourd'hui Jeanne Moreau, tout en ajoutant,
amère : « Cette légèreté pouvait passer pour du cynisme. C'est cruel, la liberté.
»
François Truffaut trouve aussi le moyen de glisser ses appels à la libération de la femme dans sa saga Doinel, jugée plus légère. Tourné en pleine révolution soixante-huitarde, Baisers volés a été accueilli par certains comme un film petit-bourgeois et anachronique. Pourtant, le personnage interprété par Delphine Seyrig a tout de la femme revendiquant une multitude de droits, notamment celui d'être à la fois inaccessible et quotidienne. Sa magnifique tirade déclamée à Antoine Doinel, son petit amant pétrifié d'un après-midi, ressemble à une charte de la femme moderne : « Je ne suis pas une apparition, je suis une femme... Ce qui est tout le contraire. Par exemple, ce matin, avant de venir ici, je me suis maquillée, je me suis mis de la poudre sur le nez... Vous dites que je suis exceptionnelle. C'est vrai : je suis exceptionnelle. Toutes les femmes sont exceptionnelles, chacune à leur tour. »
La passion, aveugle et absolue, guide tous ses personnages féminins, obéissant à la dictature des sentiments avec une rigueur bouillonnante. « J'ai la religion de l'amour », dit Isabelle Adjani dans L'Histoire d'Adèle H. Même au plus profond de sa passion monomaniaque pour un lieutenant qui l'ignore, Adèle se sent solidaire de toutes les femmes : « Je n'ai plus de jalousie, je n'ai plus d'orgueil, je pense à mes sœurs qui souffrent en mariage. Il faut leur donner la liberté. »
L'Homme qui aimait les femmes (1977)
Ce film a déchaîné les foudres féministes à sa sortie en 1977. Une critique
de Pariscope qualifia même le film d'« inventaire de pièces détachées exhibant
des veaux (les bonnes femmes) par pièces de quatorze » ! Et pourtant ce
film est un hommage à toutes les femmes, qu'elles soient blondes, brunes
ou rousses, jeunes ou vieilles, sages ou aventureuses.
Au générique de fin, des jambes de femmes déambulent devant une rangée de livres.
Ce plan résume ce film où Truffaut allie amour des mots et des femmes. Comme
dans Baisers volés ou L'Argent de poche, le cinéaste filme en séquences courtes
et énergiques.
Le héros Morane n'a rien d'un Dom Juan à l'ego surdéveloppé,
il aime les femmes pour ce qu'elles sont, non pour lui-même. Davantage
qu'un séducteur invétéré, c'est un grand enfant à la quête de l'éternel féminin,
et plus encore de l'"éternel maternel".
Chez Truffaut, l'amour des femmes fait toujours resurgir la figure originelle,
et cruellement absente, de la mère. Cette blessure donne une humanité à la fois
tragique et joyeuse à ce tourbillon de conquêtes. Les maîtresses de Morane qui
se rendent sur sa tombe n'ont rien de tristes veuves : ce sont des femmes à
qui l'amour d'un homme et le regard d'un cinéaste ont donné la grâce.
Le cinéaste confesse une profonde aversion pour les scènes d'amour : «
C'est quelque chose d'un peu pénible à faire, mais il faut le faire. Il faut
qu'elles soient sacrées sans être ridicules. On ne peut pas faire d'ellipses,
parce que je trouve que ce sont des moments importants. » Il s'en sort par
des plans en ombres chinoises, où les amants se touchent le visage du bout des
doigts, comme des aveugles grisés par leur cécité (Jules et Jim, La Peau
douce). Ou bien par des phrases fétiches simples et intenses (« Attends...
», « J'attends... »), qui symbolisent l'imminence d'un rapport sexuel (Le
Dernier Métro, La Femme d'à côté).
Il aime aussi l'immobilité façon Belle au bois dormant, caressant de sa caméra
le corps de femmes endormies ou feignant de l'être (La
Peau douce, La Sirène du Mississippi).
Avant le tournage de ce dernier, il prévient d'ailleurs Catherine Deneuve par
lettre : « Je ne vous demanderai de jouer aucune scène explicitement sexuelle,
mais il faudra que la sexualité soit toujours présente, sous-jacente. »
Moqué pour son puritanisme, Les Deux Anglaises
et le Continent ne raconte rien d'autre que l'émancipation sexuelle
de deux sœurs, qui découvrent que leur corps leur appartient et qu'elles ont
le droit de s'en servir. Ce film très réservé contient
en effet un des passages les plus crus du cinéaste quand il filme une
scène de défloraison. Inondant le drap comme un soleil rougeoyant qui se reflète
dans la mer, une tache démesurée du sang de Muriel envahit l'écran. L'image
a tout d'une métaphore.
En réalité, le réalisme vient plutôt du texte d'Henri-Pierre Roché que François
Truffaut donne à entendre de sa propre voix et derrière lequel il se réfugie
pudiquement : « Le ruban éclata après une résistance bien plus vive que chez
Ann [...]. Il y avait du rouge sur son or. » Malgré la pression des distributeurs,
François Truffaut avait refusé de couper le plan montrant la tache de sang sur
le drap. En pleine révolution sexuelle des années 70, il détonne par ses motivations
: « Je n'ai pas voulu faire un film sur l'amour physique, mais un film physique
sur l'amour », dit-il à sa sortie.
« Penser à vous fait battre mon cœur plus vite, et c'est la seule chose qui compte pour moi », avoue Catherine Deneuve à Gérard Depardieu dans Le Dernier Métro. « Inventer l'amour », telle est la mission que Jeanne Moreau s'est fixée dans Jules et Jim... Ni fleur bleue ni eau de rose, ni romantique ni dandy, ni pervers ni amer, ou peut-être tout cela en même temps, « François a su parler légèrement des choses graves », résume aujourd'hui l'actrice, qui ne peut pas revoir Jules et Jim sans « une sorte de nostalgie de l'état dans lequel on appréhendait la vie à ce moment-là. Comment vivre, comment s'aimer ? C'était une préoccupation importante... ».
Catherine Deneuve déclare: « Il a toujours fait des films d'amour, mais la sexualité est très présente. Elle est toujours assez nimbée, la pudeur l'emporte sur la violence du fond, mais si on regardait ses films sous cet angle précis, on verrait combien ils sont violents. »
François Truffaut ne se cachait pas d'être à chaque
nouveau film au seuil d'une relation spéciale avec son actrice principale.
Il écrit lui-même: " Quand je travaille, je deviens séduisant
et séducteur. Ce travail, qui est le plus beau du monde, me place dans un état
émotionnel favorable au départ d'une " love story ". En face de moi, il y a
généralement une jeune fille ou femme, émotionnée, craintive et obéissante,
qui fait confiance et se trouve prête à l'abandon. Ce qui arrive alors, c'est
toujours la même chose "... - écrit-il à son amie Liliane Dreyfus avant
le tournage des Deux Anglaises et le Continent.
Chaque film de Truffaut peut donc se lire comme une déclaration d'amour
à la femme qui apparaît à l'écran. Ce n'est pas totalement original. Mais pour
Truffaut c'est un mode de fonctionnement obligé et souvent, dans ses
films c'est l'héroïne qui dirige l'action.
De plus il porte sur sa propre attitude un regard ironique comme en témoigne
cette réplique tirée de La
Nuit américaine:
"Qu'est-ce que c'est que ce cinéma ? Qu'est-ce que c'est que ce métier
où tout le monde couche avec tout le monde. Vous trouvez ça normal ? Mais votre
cinéma, votre cinéma, moi je trouve ça irrespirable !" , s'indigne,
tout en tricotant, l'épouse du régisseur.
Que cette relation débouche ou non sur une liaison ou même sur un mariage, comme avec Fanny Ardant importe peu, car pour lui le cinéma était plus important que la vie.