Historique des deux bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki

La capacité de produire la Bombe Atomique

Le projet Manhattan

1942, année charnière

Les décisions

Hiroshima, première victime

L'autre ville martyre: Nagasaki


La capacité de produire la Bombe Atomique:

En 1945, les Américains sont les seuls à avoir la capacité scientifique et industrielle nécessaire. Les bombes à l'uranium et au plutonium, développées en parallèle et en secret par les États-Unis, avec l'assistance du Royaume-Uni et du Canada et de nombreux savants européens, sous le nom de code projet Manhattan seront les premières et à ce jour les seules à être utilisées sur un théâtre d'opérations.
Les Allemands avaient lancé des recherche en ce sens , mais renoncé, compte tenu des délais trop longs et firent porter leurs efforts sur les fusées à longue portée ( V1,V2, projet V3)

Une longue série de découvertes occidentales est à l'origine de la Bombe:

en 1896, Henri Becquerel découvre la radioactivité naturelle.
Niels Bohr présente en 1913 la première théorie qui expliquait ce phénomène : la matière est constituée d'atomes, formés d'électrons tournant autour d'un noyau. Certains de ces atomes ne sont pas stables et se décomposent en émettant des rayonnements.
En 1905 Albert Einstein publie sa fameuse théorie de la relativité. Pour lui, la matière et l'énergie sont la même chose qui se présente sous forme différente. Il y a donc une équivalence entre matière et énergie, qu'il note E = mc². Cette équation permet d'affirmer qu'une petite quantité de matière peut donc devenir une énorme quantité d'énergie… ceci est le principe de la bombe atomique.
En 1934, Frédéric et Irène Joliot-Curie s'aperçoivent que l'on peut transformer un élément stable en un autre instable, plus lourd, en le bombardant de particules : c'est la radioactivité artificielle.
En décembre 1938, Otto Hahn et Fritz Strassman comprennent que le noyau d'uranium, bombardé de neutrons, se casse en deux en libérant deux neutrons et une énergie considérable : l'énergie nucléaire.
En 1939, Frédéric Joliot comprend que les neutrons libérés, peuvent fracasser à leur tour d'autres atomes d'uranium : c'est une réaction en chaîne. Celle-ci peut donner naissance soit à une grande source d'énergie si elle est contrôlée ( centrale nucléaire), soit à la bombe.
Ainsi, dès 1939, tous les éléments scientifiques préalables à la bombe sont découverts.


Albert Einstein

Le projet Manhattan

Le 16 janvier 1939, Niels Bohr arriva du Danemark aux États-Unis pour passer plusieurs mois à l’Université de Princeton. Juste avant son départ du Danemark, deux de ses collègues, réfugiés d’Allemagne, Lise Meitner et Otto Robert Frisch, lui avaient fait part de leur hypothèse selon laquelle l’absorption d’un neutron par un noyau d’uranium provoque parfois la séparation de celui-ci en deux parties approximativement égales et la libération d’une énorme quantité d’énergie, un phénomène qu’ils appelaient « fission nucléaire ».

Cette hypothèse se basait sur l’importante découverte de Otto Hahn et Fritz Strassmann, publiée dans Naturwissenschaften au début du mois de janvier 1939 et qui démontrait que le bombardement d’uranium par des neutrons produisait un isotope du baryum. Bohr avait promis de garder secrète l’interprétation de Meitner et Frisch jusqu’à ce qu’ils publient un article afin de leur assurer la priorité, mais à bord du bateau il en parla avec Léon Rosenfeld, en oubliant de lui demander de respecter le secret.
Dès son arrivée, Rosenfeld en parla à tous les physiciens de Princeton, et la nouvelle se répandit à d’autres comme le physicien d’origine italienne Enrico Fermi de l’Université de Columbia.

Les conversations entre Fermi, John R. Dunning et G. B. Pegram débouchèrent sur la recherche à Columbia des rayonnements ionisants produits par les fragments du noyau d’uranium. Le 26 janvier 1939, se réunit une conférence de physique théorique à Washington D.C., organisée conjointement par l’Université George Washington et la Carnegie Institution de Washington.

Fermi quitta New York pour participer à cette conférence avant le lancement des expériences de fission à Columbia. Bohr et Fermi discutèrent du problème de la fission, Fermi mentionnant en particulier la possibilité que des neutrons puissent être émis durant le processus. Bien que ce ne soit qu’une hypothèse, ses conséquences c’est-à-dire la possibilité d’une réaction en chaîne étaient évidentes.

En 1939, les États-Unis commencent par fixer un programme nucléaire visant à coordonner les recherches jusqu'alors dispersées.
Roosevelt créa le Comité Uranium présidé par le chef du National Bureau of Standards Lyman Briggs. Le Comité lança des petits programmes de recherche en 1939 au Naval Research Laboratory à Washington, où le physicien Philip Abelson travailla à la séparation isotopique de l’uranium. À l’Université de Columbia, Fermi construisit un prototype de réacteur nucléaire aussi appelé « pile atomique » en testant diverses configurations de graphite et d’uranium. Ces empilements de plusieurs tonnes de minerai et de matériel permettait de faire des tests de réactions en chaîne et de vérifier les premières hypothèses concernant les phénomènes physiques en jeu.

Vannevar Bush, directeur de la Carnegie Institution de Washington, organisa le National Defense Research Committee (NDRC) en 1940 pour mobiliser les ressources scientifiques américaines au service de l’effort de guerre. Outre les recherches sur le radar et le sonar, le NDRC pris en charge le « projet uranium », comme on appelait alors le programme de recherche dirigé par Brigg. En 1940, Bush et Roosevelt créèrent le Office of Scientific Research and Development (OSRD) pour amplifier ces efforts. Ce bureau allait innover dans un vaste panel de domaines technologiques et militaires : bombes plus légères, véhicules militaires, matériel médical, etc. Certaines recherches allaient s'avérer utiles pour les bombes atomiques, en particulier pour améliorer les détonateurs et les explosifs nécessaires au déclenchement de la réaction en chaîne.

Au début de 1942, le prix Nobel de physique Arthur Holly Compton organisa le Metallurgical Laboratory de l’Université de Chicago afin d’étudier le plutonium et les piles à fission. Il chargea Oppenheimer des calculs sur les neutrons rapides. John Manley devait aider le théoricien Oppenheimer à trouver une solution en contactant et coordonnant plusieurs groupes de physique expérimentale dispersés à travers le pays. La mesure et le calcul des interactions des neutrons rapides avec les matériaux de la bombe sont essentiels pour la réussite de l’arme atomique parce que le nombre de neutrons produits lors de la fission de l’uranium ou du plutonium doit être connu.


Enrico Fermi

 


Franklin D. Roosevelt

De plus, la substance entourant l’uranium ou le plutonium doit pouvoir refléter les neutrons vers la réaction en chaîne avant qu’elle ne se disperse. Cette couche externe, le réflecteur, est conçue de manière à augmenter l’énergie produite. L’estimation de la puissance explosive nécessitait de connaître d’autres propriétés nucléaires, comme la section efficace de la réaction des neutrons avec les noyaux d’uranium et d’autres éléments. Les neutrons rapides ne pouvaient être produits que dans des accélérateurs de particules, des instruments peu courants dans les départements de physique en 1942.

1942 , année charnière

Les étapes ultérieures de ce programme sont très claires : juillet 1942, assurance d'une possibilité de réaction en chaîne ; janvier 1943, première réaction en chaîne ; janvier 1945, bombe atomique. A six mois près pour la dernière étape, ce programme fut respecté.
A la mi-septembre 1942, les recherches de base et leur développement sont faits ; il n'y a plus qu'à établir un plan pour créer une force opérationnelle. Le général Groves est alors placé à la tête d'un groupe de techniciens et de savants qui compte plusieurs prix Nobel.
Tous les participants à ce qui porte à présent le nom de code " Projet Manhattan " sont réunis.
D'énormes crédits sont engagés, on recrute des milliers d'ingénieurs et de techniciens, parmi lesquels de nombreux émigrés d'Europe.

Il s'agit alors de trouver un élément qui soit capable de servir à la création d'une arme qui utiliserait l'énergie libérée par la fission nucléaire. Celui-ci doit répondre à deux critères : la facilité de production et la quantité de production.
Deux voies se dessinent pour l'obtention d'un tel élément :
Celle de l'uranium : Niels Bohr a calculé qu'une seule variété (isotope) de l'uranium peut " fissionner ", l'uranium 235. Mais celui-ci est rare : il faut le séparer du reste de l'uranium. L'obstacle paraît alors infranchissable.
Celle du plutonium : élément récemment découvert (inexistant dans la nature), il vient d'être obtenu en bombardant de l'uranium. Mais le problème à celui-ci est aussi sa rareté : il faudrait le produire en quantité suffisante. Toutefois, tous les éléments théoriques pour l'affirmation d'une réaction en chaîne sont trouvés.

Il faut maintenant produire une réaction en chaîne: L'expérience décisive intervient le 2 décembre 1942, au-dessous des gradins de Stagg Field à l’Université de Chicago, où une équipe menée par Fermi initia la première réaction en chaîne nucléaire auto-entretenue. Un coup de téléphone chiffré de Compton disant : « Le navigateur italien (c’est-à-dire Fermi) a débarqué sur le nouveau monde, les indigènes sont amicaux » à Conant à Washington, DC, annonça le succès de l’expérience.

Celle-ci a permis la production d'un demi-watt d'énergie, ce qui est très peu, mais démontre les capacités du processus.


Reste toujours le problème de la production en masse de matériau fissile. A cet effet, il faut construire des usines permettant, d'une part, la séparation de l'uranium 235 du reste de l'uranium ; et, d'autre part, la " création " de plutonium à partir de ce même uranium. Il fallait réussir à produire une quantité suffisante d'uranium et de plutonium.
On construit donc deux énormes complexes industriels : L'un à Oak Ridge, dans le Tennessee, pour la production d'uranium 235. L'autre à Hanford, près d'un petit village sur les bords de Columbia, dans l'Etat de Washington pour le plutonium.

Parallèlement, depuis mars 1943, une équipe de savants sous la direction de Robert Oppenheimer se livre, à Los Alamos (dans le désert du Nouveau-Mexique, près de Santa Fé), à l'étude de l'architecture de la bombe elle-même.
L'Allemagne capitule le 8 mai 1945 mais le projet Manhattan arrive à son terme en juillet 1945.
Son succès confirme les deux filières (uranium 235 et plutonium).
Les savants se trouvent donc en possession de deux types de bombe: l'une fonctionnant grâce à l'uranium (celle qui sera larguée sur Hiroshima), l'autre grâce au plutonium (produite en deux exemplaires: celle de l'essai "Trinity" et celle de Nagasaki)


Robert Oppenheimer (1904-1967)

en 1944, l'État-major avait porté son choix en ce qui concernait une zone de test de la nouvelle arme sur Alamagordo dans le désert du Nouveau-Mexique (Au sud des Etats-Unis), à 350 km de Los Alamos et à 35 km de l'agglomération la plus proche. Dans l'urgence, ce territoire aride est devenu un centre d'observation en vue de la première explosion atomique de l'histoire, l'opération "Trinity".

Le 15 juillet 1945, alors que les bombes Little Boy et Fat Man, destinées au Japon sont en route vers l'île de Tiniam pour y être entreposées, on met en place au sommet d'une tour, dans le désert de Jornado del Muerto, dans l’État du Nouveau-Mexique, un des trois engins déjà fabriqués. L'explosion a lieu le lendemain à 5 heures du matin : un éclair aveuglant, encore insoutenable à 35 km, suivi d'une énorme détonation.

L’explosion dégagea une force équivalente à 21 000 tonnes de TNT. En constatant la puissance phénoménale engendrée par la bombe (Jumbo resta intact mais Trinity fut rasée), Oppenheimer se rappela l'un de ses passages préférés d'un texte Sanskrit : Maintenant je suis Shiva, le destructeur de mondes.
Plus prosaïquement, son adjoint Kenneth Bainbridge, responsable des essais répondra : À partir de maintenant, nous sommes tous des fils de pute

Le projet Manhattan avait ainsi atteint son objectif dans le temps record de 2 ans, 3 mois, et 16 jours. Aujourd'hui, le site de l'explosion expérimentale est marqué par un monolithe conique noir de silice, résultat de la fusion du sable sous l'effet de la chaleur provoquée par l'explosion.

Les décisions

Le choix des villes cibles:

Le 12 mai 1945, une délibération importante étudie le choix des villes et les impacts du lancement. Le 1er juin des propositions sont faites au président Harry Truman, successeur de Roosevelt. Parmi ces propositions, on y retrouvait celle d'utiliser la bombe nucléaire contre le Japon, le plus tôt possible, sans avertissement, sur une cible peuplée et d'importance militaire.
Cinq villes sont alors désignées: Kyoto (industries diverses), Hiroshima (grand port militaire et ville industrielle), Yokohama (grand port), Kokura (le principal arsenal), Niigata (port, aciéries et raffineries).
Kyoto, bien que présentant techniquement un site idéal, est rejetée par quelques conseillers dont l'orientaliste français Serge Elisseeff (1889-1975) qui connaissent la richesse culturelle de la ville et pensent que cette destruction serait un obstacle grave à une réconciliation ultérieure avec le Japon.
La liste devient Hiroshima, Kokura, Niigata et Nagasaki ( port et base militaire)
Ces villes avaient été relativement épargnées par les bombardements classiques et le furent plus encore après le choix, afin de bien mesurer les effets de la Bombe. Les cibles définitives allaient dépendre des conditions météorologiques...


Harry Truman (1884-1972)
Président des USA 1945-1953

La décision de lancement

La capitulation allemande signée, aucun doute n'était possible sur l'issue de la guerre. Mais la question du prix humain est posée. Peu de temps auparavant, 12 500 alliés et plus de 200 000 japonais avaient laissé la vie pour la seule conquête d'Okinawa (voir la bataille d'Okinawa et ses lieux de mémoires actuels).
Les estimations officielles de l'époque estimaient que les pertes s'élèveraient au minimum à 500 000 tués, là où la victoire sur l'Allemagne avait entraîné 200 000 morts. Mais il semble qu'un rapport secret rendu à Truman (et rendu public en 1985) comportait une estimation de 46 000 morts et non pas de 500 000.
Le 17 juillet 1945 la conférence de Potsdam s'ouvre : il s'agit de définir les conditions de survie de l'Allemagne vaincue. Le jour même Truman reçoit un message codé l'informant du succès de l'essai Trinity.
Truman et Churchill se mettent d'accord pour porter discrètement à la connaissance de Staline l'existence de la bombe : ils le font le 24 juillet, mais Truman ne mentionne ni le mot " nucléaire ", ni le mot " atomique ". Staline n'y prête que peu d'attention …
Plus question d'hésiter : le succès de l'expérience atomique exige une décision immédiate. Truman rédige une demande de reddition inconditionnelle du japon intégrant la menace de l'utilisation d'armes terribles. Elle sera signée également par Churchill. Le 26 juillet, un ultimatum est adressé au Japon. Cet ultimatum laissa dans le flou la question de l’Empereur, mais il paraissait clair que l’ambiguïté de l’expression « sans conditions » pouvait laisser penser que l’intégrité de l’Empereur n’était pas garantie. Il paraît clair aussi, que les Américains ne pouvaient pas ne pas imaginer que cette petite phrase serait interprétée de cette façon par les Japonais. Il semblerait qu’à l’origine, un article 12 de la déclaration assurait le maintien de l’Empereur, mais que cet article ait été supprimé, le 15 juillet, sur suggestion du Secrétaire d’État américain James Byrnes.

Le Quartier-général impérial (Daihonei) du Japon discuta sur le sens à donner à ce « sans condition » et sur la décision à prendre. La discussion déboucha sur l’éternelle scission entre deux clans. Le premier ministre Kantaro Suzuki, le ministre des affaires étrangères Shigenori Togo et le ministre de la marine Mitsumasa Yonai formaient le camp favorable à l'acceptation de l'ultimatum, et Yoshijiro Umezu, chef d'état major de l'armée, le ministre de l'Armée Korechika Anami et le chef d'état-major de la marine Soemu Toyoda, plus durs, ne voulaient aucune capitulation.
Ils finirent par arriver au consensus de ne rien dire ni faire, mais un mot de trop du Premier ministre Suzuki à la presse fit comprendre aux Américains que l’ultimatum de Potsdam n’était pas accepté.
Le 28 juillet, l'ordre d'utiliser la bombe est aussitôt lancé.

Une autre raison probable de la décision d'utiliser l'arme atomique tient dans la montée des tensions entre Américains et Soviétiques après la chute de l'Allemagne nazie. Que ferait Staline de l'arsenal accumulé pour venir à bout du IIIème Reich? Truman a pu y voir l'occasion de lancer un avertissement aux soviétiques. Qui plus est, l'URSS allait entrer en guerre contre le Japon. Les américains ont pu être tentés de hâter la chute de l'Empire du Soleil Levant avant que les soviétiques ne l'envahissent, ce qui aurait établi une partition de fait du Japon similaire à ce qui fut établi en Allemagne ou dans la péninsule coréenne.