La Sirène du Mississippi , de François Truffaut

La Sirène du Mississippi , film français réalisé par François Truffaut, sorti le 18 juin 1969

Louis, riche industriel de La Réunion fiancé par correspondance, attend sa fiancée Julie à la descente du bateau, "Le Mississipi". Elle arrive, bien plus belle que la photo reçue. Elle prétend qu'elle a envoyé la photo d'une autre, par timidité.
Louis soupçonne alors sa femme d'être une aventurière et d'avoir supprimé la vraie Julie. Il charge un détective privé, Comolli, d'enquêter sur cette ténébreuse affaire.

De retour en France, Louis retrouve la trace de sa femme qui s'appelle en réalité Marion et qui travaille dans une boîte de nuit. Il n'a pas le courage de la tuer et Marion l'apitoie en lui parlant de son enfance malheureuse et en lui apprenant que c'est son amant Richard qui a tué Julie et l'a forcée à prendre sa place. Éperdument épris de Marion, Louis lui fait confiance et ils s'installent dans une petite maison près d'Aix-en-Provence. Mais Comolli a retrouvé lui aussi la trace de Marion et pour l'empêcher de livrer à la police celle qu'il aime, Louis le tue. Marion et Louis s'enfuient à Lyon où ils se cachent, puis dans un chalet de montagne. Louis empêche Marion de partir et elle tente de l'empoisonner avec de la mort-aux-rats. Il lui avoue alors qu'il est prêt à mourir tant il est éperdu d'amour pour elle. La fin laisse planer un doute, sont-ils réconciliés?sont-ils prêts à affronter leur destin?

Deuxième adaptation d'un roman noir de W. Irish avec J.P. Belmondo dans un rôle plutôt inhabituel de victime devenant consentante et presque complice de sa propre fin. Les frontières sont floues entre escroquerie et amour, douleur et plaisir, tu et vous, distance et intimité.

Dans le rôle de la femme pernicieuse et prompte à tuer, Catherine Deneuve livre une grande performance, n'éprouvant que peu de scrupules face au cadavre de Comoli. Alors, est-elle une véritable meurtrière qui se joue de son mari jusqu'à l'empoisonner sans manifester une quelconque émotion? Le film ne nous livre que peu d'indices mais l'absence filmée du premier meurtre semble l'accuser. Belmondo, quant à lui, livre une composition loin de ses rôles lisses de héros. Son personnage est celui d'un homme fade, prisonnier de ses principes et de son envie d'être amoureux, allant juqu'à accepter d'être trompé, dominé et finalement assassiné.

Beaucoup de passages sont révélateurs de son conformisme bourgeois: lorsque sa femme est à ses côtés dans la rue, il faut qu'elle lui donne le bras ; quand il va vendre ses parts à son associé, il commente son malheur en lui déclarant : « Vous n'êtes pas de cette race », comme s'il croyait appartenir à une élite, alors qu'il n'a plus rien.

Tout porte à croire que l'enchaînement des événements se calque sur le déroulement d'une tragédie grecque comme si « ce qui devait arriver arrive ». Au final, c'est la question principale de savoir si Marion Bergamo est une meurtrière où une pousse au crime qui ressurgit, avec le passage central du seul meurtre filmé. Michel Bouquet, lui aussi d'une régularité parfaite dans son interprétation, met la pression sur un Belmondo acculé, muré dans son silence et ses principes néfastes et contradictoires. Toute la cruauté du film tient dans cette exposition de deux personnages qui, livrés à eux-mêmes, font ce qu'ils peuvent malgré leur amour, ou en fonction de leur amour. C'est un enchaînement d'actions qui, en fonction de leur caractère, va donner son épaisseur à l'histoire.

A la fin du film, quand malgré leur amour, presque partagé, elle tente de l'empoisonner, il lui déclare "Ta beauté est une souffrance - Hier tu disais que c'était une joie" réplique-t-elle. "-C'est une joie et une souffrance" conclut-il.
Truffaut reprendra le même dialogue dans le Dernier Métro, toujours avec Deneuve-Marion mais c'est Depardieu qui est alors l'amoureux.

Déclarations de François Truffaut

Le cinéaste confesse une profonde aversion pour les scènes d'amour : « C'est quelque chose d'un peu pénible à faire, mais il faut le faire. Il faut qu'elles soient sacrées sans être ridicules. On ne peut pas faire d'ellipses, parce que je trouve que ce sont des moments importants. » Il s'en sort par des plans en ombres chinoises, où les amants se touchent le visage du bout des doigts, ou bien par des phrases fétiches simples et intenses (« Attends... », « J'attends... »), qui symbolisent l'imminence d'un rapport sexuel .
Il aime aussi l'immobilité façon Belle au bois dormant, caressant de sa caméra le corps de femmes endormies ou feignant de l'être. Avant le tournage de La Sirène, il prévient d'ailleurs Catherine Deneuve par lettre : « Je ne vous demanderai de jouer aucune scène explicitement sexuelle, mais il faudra que la sexualité soit toujours présente, sous-jacente. »

 


Distribution

  • Jean-Paul Belmondo : Louis Mahé
  • Catherine Deneuve : Marion Bergamo
  • Michel Bouquet: Comoli, le détective privé
  • Marcel Berbert : Jardine
  • Nelly Borgeaud: Berthe Roussel / Julie Roussel en photo
  • Martine Ferrière : Mme Travers, la dame de l'agence immobilière
  • Yves Drouet : M. Oharo
  • Roland Thénot : Richard
  • Delphine Seyrig : voix off petites annonces

Fiche technique

  • Réalisation : François Truffaut
  • Scénario : François Truffaut d'après le roman de William Irish, Waltz into Darkness, publié en 1947
  • Production : Marcel Berbert et François Truffaut
  • Directeur de la photographie : Denys Clerval
  • Musique : Antoine Duhamel
  • Montage : Agnès Guillemot
  • Script : Suzanne Schiffman
  • Durée : 123 minutes
  • Date de sortie France : 18 juin 1969

Cornell Woolrich et ses romans policiers

Cornell Woolrich, écrivain américain adoptant parfois le pseudonyme de William Irish, né le 4 décembre 1903 à New York, où il meurt le 25 septembre 1968.

Né dans un milieu aisé, il suit son père, ingénieur des travaux publics, au Mexique, à Cuba et aux Bahamas. Après le divorce de ses parents, à l'âge de 15 ans, il rentre à New York à pour vivre auprès de sa mère, pianiste, et termine ses études en 1925 à l'université de Columbia. Il écrit son premier roman, Chef d'accusation en 1935, influencé par l'œuvre de Francis Scott Fitzgerald. Il pense très tôt au cinéma et est engagé comme scénariste à Hollywood pour travailler sur l'adaptation de Les enfants du Ritz, paru en 1927.

Jusqu'en 1940, les éditeurs refusent de publier ses livres, il publie dans des "pulps" près de trois cent cinquante nouvelles sous trois noms différents : William Irish, Georges Hopley et son vrai nom . Il connaît le succès à partir de 1940, avec La mariée était en noir. En 1954, il reçoit le Grand prix de littérature policière en France pour Un pied dans la tombe. Sa mère meurt en 1957, il s'isole de plus en plus, sombre dans l'alcoolisme.

De nombreux metteurs en scène ont porté les œuvres à l'écran de ce maître du suspense, notamment Alfred Hitchcock pour Fenêtre sur cour, d'après une nouvelle, et François Truffaut pour La mariée était en noir et le présent film La Sirène du Mississippi.

Il faut remarquer que le titre français du roman, sans aucun rapport avec le titre original Waltz into Darkness, a été donné d'après le titre de Truffaut, et non l'inverse.

Autres œuvres notables:

  • Manhattan love song (1932)
  • La mariée était en noir (1940), adapté au cinéma par François Truffaut
  • J'ai épousé une ombre (1948) adapté plusieurs fois à l'écran
  • J'ai vu rouge (1950)
  • Le Diamant orphelin
  • L'Heure blafarde
  • Rendez-vous en noir
  • Lady Fantôme (Phantom Lady), adapté au cinéma par Robert Siodmak
  • Les Yeux de la nuit
  • Alibi noir
  • Du crépuscule à l'aube
  • Fenêtre sur cour (It Had to Be Murder - 1942) et autres histoires