Alain Resnais :
Les films "multiples";
les structures complexes.


Alain Resnais a abordé des styles très divers, historique ( Hiroshima) , documentaire (ses courts métrages) , politique (La guerre est finie, Stavisky), romanesque (La vie est un roman), métaphysique (L'amour à mort), burlesque, comédie musicale ( On connait la chanson).. etc..
Son style se compose de rares récits linéaires, mais surtout de récits avec retours en arrière très fréquents et courts et les films à structure complexe où les histoires s'entremêlent et entrent en résonance.
Pour beaucoup de ces films, la structure et le propos sont assez clairs, mais après une vision complète.
C'est pourquoi seule une deuxième ou même une troisième vision permettent d'apprécier les détails de la construction et la logique des films.
En voici quelques exemples:

* L'entrelacement du "récit de Nevers" dans "Hiroshima mon Amour"
* Le cas" Smoking ../.. No smoking"
* Les trois histoires de "la Vie est un Roman"
* La chronologie de "Stavisky"


L'entrelacement du "récit de Nevers" dans "Hiroshima mon Amour"

Dans ce film Alain Resnais trace un parallèle entre l'horreur collective des victimes de la bombe atomique d'Hiroshima et le sort tragique mais beaucoup plus individuel d'un soldat allemand et d'une française. Ce deuxième drame est évoqué à travers des scènes montrées dans un ordre étudié pour doser l'émotion.
De même le caractère de récit décalé des séquences de Nevers est marqué par la bande son. En effet plusieurs scènes de Nevers sont muettes, d'autres étant même couvertes par le bruit du café d'Hiroshima où la jeune femme se trouve.
Le tableau suivant décrit le découpage précis avec la place de chaque séquence souvenir dans le film et sa place reconstitué dans la chronologie des faits. Cette scène est centrale dans le film, mais elle n'est pas la seule à évoquer Nevers.
Auparavant, quelques séquences brèves et des allusions ont introduit ce drame. Ensuite, encore quelques images apparaissent, comme pour bien montrer la fin du travail de mémoire, de la souffrance et le début de la phase d'oubli salutaire.


Ordre des séquences
dans le film pour les souvenirs de Nevers
Description des scènes: en italique les scènes d'Hiroshima
Ordre chronologique réel pour les souvenirs de Nevers
1
Description de la Loire
1
 
Café de Hiroshima
 
2
Le Soldat allemand agonise
4
3
La cave sombre et le soupirail
9
 
Café de Hiroshima
 
4
La cave sombre et le soupirail, on voit des gens dans la rue
10
 
Café de Hiroshima: les mains des deux amants
 
5
La jeune fille tondue, ses mains grattent le mur.
11
 
Café, elle boit
 
6
Elle colle son visage au soupirail
12
 
Café: gros plan sur le visage du Japonais
 
7
Elle parle de son père sur une photographie fixe de lui
13
 
Café de Hiroshima
 
8
Dans sa chambre, elle crie à la fenêtre
7
9
On la descend à la cave
8
10
Murs et escaliers en travelling rapide; on la voit couchée sur son lit
19
11
Le japonais , voix off, la relance "Tu as peur".
Contre-plongée sur le plafond de sa chambre.
20
12
Contre-plongée sur le plafond de la cave
17
 
Café : étreinte, il la fait boire
 
13
Visage tondu contre le mur de la cave
14
 
Café de Hiroshima
 
14
Cave, gros plan sur son visage et sur un chat noir
15
 
Café: disque de valse, elle boit
 
15
Gros plan du soupirail
16
 
Café: il lui prend le visage dans les mains
 
16
Dans son lit, elle touche ses cheveux qui repoussent
21
 
Café: plan très rapide
 
17
Filles tondues ( elle est de dos)
5
 
Café: En gros plan elle raconte la libération de Nevers
 
18
Elle hurle dans le jardin, la nuit: sa mère vient
6
 
Café de Hiroshima
 
19
Dans sa chambre, elle est devant le miroir, elle dit entendre les cloches que l'on n'entend pas
22
20
Dans la cave, en manteau. Vue du soupirail
23
 
Café, elle se souvient moins bien,
elle boit et commence le récit de la mort
 
21
Sur le quai de la Loire, l'allemand agonise
3
22
Gros plan sur le jardin d'où l'on a tiré
2
 
Café: elle parle des cloches sonnant alors qu'il mourait
( on ne le voit pas mourir)
Elle crie, il la gifle pour l'arracher au souvenir
 
23
Dans la cave: une bille tombe, elle la suce
18
24
Sa première sortie dans Nevers, de nuit
24
25
Elle part pour Paris à vélo. Deux jours plus tard elle entendra parler de la bombe d'Hiroshima
25
 
Retour définitif au Café
 

On remarque dans cette structure complexe que les séquences qui sont "à leur place" sont la première, les deux dernières (24,25) et trois au milieu ( 14,15,16), comme pour ménager des repères fixes aux spectateurs.


le cas Smoking ../.. No smoking

Ce film double a failli s'appeler "ou bien..ou bien" ou encore "C'est comme ça ou.. autrement" pour souligner le jeu du hasard sur le destin des personnages.
Il est inspiré par huit pièces d'Alan Ayckbourn, créées en 1982 et ayant chacune deux fins, ce qui fait seize possibilités. Chacun des deux films présente six fins, soit douze en tout. Resnais a allégé l'ensemble tout en introduisant une dissymétrie puisque certains " noeuds" du schéma ne se divisent pas en deux.
De plus le déroulement du film parcourt ce schéma dans un ordre fixé par le réalisateur et introduit une hiérachie dans les fins puisque les séquences situées à la fin de chaque film marquent plus le spectateur que les fins "intermédiaires"
Nous ne sommes pas en présence d'une arborescence que l'on parcourt au hasard et à sa guise, mais bien devant un choix délibéré de l'auteur du film.


Le schéma complet de Smoking ../.. No smoking


Les trois histoires deLa Vie est un Roman

Ce film présente un entrelacement de trois récits, d'importances inégales et qui ont chacun leur époque et leur style. Ces trois récits se passent dans le même lieu, mais celui-ci se présente sous trois aspects bien différents:

- L' époque pivot se situe au début du 20ème siècle. Le comte Forbek veut mettre en application ses théories sur l'architecture et la recherche du bonheur. Il fait réaliser au milieu de la campagne son chateau idéal. C'est une synthèse de tous les styles architecturaux. Une fois le chateau réalisé, il entraîne ensuite un groupe d'amis dans une renaissance complète mais dangereuse. Son expérience échoue pour diverses raisons, accident, refus de participer de certains.

- La période contemporaine du film voit se dérouler un congrès de pédagogie avec tous les types de chercheurs et d'enseignants. Ils occupent le même château, à peine modernisé et logent dans les mêmes chambres que celles qui servirent pour les expériences de Forbek. Ils élaborent des théories audacieuses, mais tournent en ridicule une des leurs qui montre une expérience concrète et dans leur vie privée ose à peine imaginer une aventure sentimentale.

- En même temps, autour du château, les enfants jouent et inventent un récit du moyen-âge, représenté dans un décor d'Enki Bilal. Quand les enfants, dans leur jeu, viennent perturber un repas du congrès, ils sont sèchement refoulé, alors qu'un des thèmes de réflexion abordé est justement " comment développer l'imagination des enfants"

Les séquences de ces trois récits alternent en permanence et soulignent les écarts entre utopie et réalité, entre théorie et mise en pratique.


La chronologie de "Stavisky"

Bien que d'une structure relativement simple, l'enchaînement du récit de "Stavisky" présente cependant des caractéristiques originales.

En effet, bien que des séquences se situent au Palais-Bourbon lors de la commission d'enquête d'avril 1934 ( donc après la mort de Stavisky en janvier 1934) le film n'est pas construit comme les classiques " films de tribunal" du cinéma américain.
En effet dans ceux-ci, le temps se déroule lors du procès avec des retours longs et fréquents sur les événements sous forme de "Flash-back" alors que là, le temps principal se situe dans l'action avec des "Flash-forward" au Palais-Bourbon quelques mois plus tard.

Bien sûr, comme toujours chez Resnais, la structure se complique de quelques vrais "Flash -back" antérieurs à 1933 et de quelques inversions de chronologie à la fin du film.
De plus l'évocation du passage en France de Trotski fournit des repères extérieurs. Liés un peu artificiellement à Stavisky par un personnage secondaire féminin, il réalise surtout le parallèle entre deux personnages célèbres à la fin de leur parcours.

Sans tenir compte de ces séquences incidentes sur Trotski, la structure du film s'établit ainsi:

  1. 24 juillet 1933 à Paris
  2. Retour 23 juillet 1933 à Biarritz
  3. Flash-back première arrestation en 1926
  4. Flash-forward le 17 avril 1934 Palais-Bourbon (inspecteur Boussaud)
  5. Suite du 24 juillet 1933
  6. Flash-back en 1902
  7. Suite du 24 juillet 1933
  8. Flash-forward le 17 avril 1934 Palais-Bourbon (Borelli)
  9. Long récit du 24 juillet à novembre 1933
  10. Flash-forward le 17 avril 1934 Palais-Bourbon (Dr Mézy)
  11. Novembre 1933
  12. Flash-forward le 17 avril 1934 Palais-Bourbon (Borelli)
  13. Novembre 1933
  14. Long flash-forward le 17 avril 1934 Palais-Bourbon (baron Raoul)
  15. Novembre et décembre 1933
  16. Enterrement de Stavisky le 10 janvier 1934
  17. Retour sur les derniers jours, du 24 décembre au 8 janvier
  18. Flash-forward le 19 avril 1934 Palais-Bourbon (Arlette)
  19. La mort de Stavisky le 8 janvier 1934
  20. Arlette en prison