Liens (edit)Articles générauxLes questions - réponsesLe siteDéveloppé grâce à pmwiki.org |
Main /
Haruki Murakami
Haruki Murakami est également traducteur en japonais de plusieurs écrivains anglo-saxons (parmi lesquels Scott Fitzgerald, John Irving ou encore Raymond Carver, à propos duquel il déclare, à sa mort survenue en 1987 : « Raymond Carver a été sans le moindre doute, le professeur le plus important de mon existence ainsi que mon plus grand ami en littérature »). Murakami est aussi un grand amateur de jazz auquel de nombreuses références sont faites dans ses romans. Ses écrits (romans ou nouvelles) sont fréquemment fantastiques, ancrés dans une quotidienneté qui, subtilement, sort des rails de la normalité. Ayant vécu dans le sud de l'Europe (Grèce, Italie) puis aux États-Unis, l'influence occidentale est assez perceptible dans ses œuvres. Cela fait de lui un écrivain plus international que d'autres avec des références de la culture populaire mondiale tout en gardant un vécu japonais contemporain à ses personnages. Il prétend que c'est en regardant un match de baseball (sport très populaire au Japon) qu'il a eu l'idée d'écrire son premier roman : Écoute la voix du vent, 1re partie de La Trilogie du rat. Les ouvrages de Murakami révèlent une forme de surréalisme très rafraichissante qui, en se fondant sur une mélancolique banalité quotidienne, arrivent à former des récits originaux. Il utilise cette idée du lien qui relie dans la pensée asiatique (bouddhisme, shintoïsme) tous les événements et les êtres. Une action provoque même de façon lointaine et indirecte une réaction dans l'instant, dans la réalité ou ailleurs, dans un autre monde que Murakami sait parfaitement rendre. Au fil de ses romans, on retrouve des personnages étonnants tels que l'Homme Mouton ou le Colonel Sanders. L'âme humaine y est décortiquée, dans ses recoins parfois les plus intimes, de façon à ce que le lecteur soit emporté pour un voyage en lui-même, mais dans un cadre parfois loufoque. La mélancolie lancinante de Murakami et ses analyses sociales en demi-teinte rappellent parfois un certain nombre de noms de la littérature nippone, tels que Sōseki. On y retrouve de longues pensées d'êtres tiraillés, à la recherche de leur identité et abordant l'existence avec parfois une certaine anxiété. A noter, la sortie en juillet 2006 d'un recueil de nouvelles anciennes et inédites sous le titre Blind Willow, Sleeping Woman, disponible dans sa traduction "Saules aveugles, Femme endormie" depuis novembre 2008 chez Belfond. Liste des œuvres(année de publication japonaise, titre français, titre japonais, premier éditeur francophone, date) Romans
Recueils de nouvelles (traduits en français)
Récit biographique
Prix
Inteview (février 2011)Votre livre, 1Q84, évoque les deux drames qui ont secoué le Japon en 1995 – le séisme de Kobe et l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo par la secte Aum. Comme dans vos œuvres précédentes, nous pénétrons dans un monde dont le sens se dérobe mais qui résonne des problèmes de la société contemporaine. Est-ce exact ? Haruki Murakami : A la suite de ces événements, puis de l'attentat du 11-Septembre, je suis devenu plus sensible aux problèmes de société. Le séisme de Kobe comme l'attentat d'Aum – des "bombes à retardement" que notre société a elle-même amorcées – marquent la fin d'une époque, celle d'un Japon au système social solide, rigide. Depuis, on ne peut plus penser le monde de la même manière et on doit être conscient du mal qui sommeille en chacun de nous. Ce qui m'intéressait, c'est l'instrumentalisation des aspirations de ses membres pour construire un empire souterrain à partir de chimères. A la suite de la "bulle spéculative", du séisme de Kobe et de l'attaque d'Aum, la quiétude qui régnait au Japon s'est évaporée. Le 11-Septembre n'a fait que confirmer la perte du socle sur lequel nous pensions nous tenir solidement. A cette impression de confiance s'est substituée celle du chaos. En même temps, le système de communication et d'information était bouleversé par Internet. Nous vivons aujourd'hui dans la civilisation numérique, un monde submergé par la mondialisation, gavé d'informations et de signes, et il est de plus en plus difficile de discerner ce qui est juste ou non. A la mort des grands récits s'est ajoutée la déréalisation des rapports sociaux. Et il est aussi plus facile d'être manipulé. D'où le clin d'œil du titre de votre livre à George Orwell : Q se prononce "kyu" en japonais, ce qui signifie aussi 9. 1Q84 se lit donc 1984 La grande différence entre mon roman et l'œuvre d'Orwell tient au fait qu'il écrivait une histoire qui se déroulait dans le futur alors que moi, je recrée des événements passés qui marquent notre présent. En 1949, Orwell décrivait un système totalitaire. De nos jours, il n'y a plus de système à proprement parler, mais des situations qui évoluent d'un moment ou d'un lieu à un autre, s'enchaînent en un mouvement incessant dans lequel vacillent les repères. L'instabilité et la fluidité nous emportent. En outre, de nos jours, contrairement au monde d'Orwell, le mal totalitaire avance masqué : il est plus insidieux, plus souriant, la morgue plus anonyme. Mais notre époque est aussi plus chaotique et, personnellement, je crois que l'on peut chercher une vérité dans ce chaos : rien n'est jamais blanc ou noir… Les situations s'enchaînent sans logique apparente. Coïncidences, réalités et irréalités interagissent, se chevauchent et se confondent sans que la limite entre les deux soit claire : on ne sait jamais quand on la franchit. Il y a vingt ans, on me critiquait pour ce brouillage des repères entre réalité et irréalité. Mais beaucoup partagent désormais ce sentiment. Ce qui est réel me semble parfois irréel, et inversement. Quand j'écris, j'écris ce qui me paraît réel, mais en fait, ce n'est pas forcément le cas. Lorsque j'ai vu les avions percuter les tours du World Trade Center, cela m'a semblé irréel : c'était une sorte d'hyperréalité, issue d'un travail infographique… Il n'y a pas de définition du réel. Ce que l'on prend pour tel est toujours faussement lisse. D'une situation anodine est toujours prêt à surgir l'irrationnel, l'absurde. Perpétuellement, quelque chose nous échappe. Lorsque vous commencez un roman, avez-vous en tête le déroulement de l'intrigue ? Non. Quand je commence à écrire, je n'ai aucun plan. Ma tête est vide. J'avance à l'aveuglette dans mes propres ténèbres. Pour 1Q84, j'avais la première scène : dans un taxi pris dans les embouteillages à Tokyo en écoutant de la musique classique. Je ne sais pas ce qui va se passer dans mon roman. J'ai simplement confiance dans le fait que je pourrai le finir. J'ai confiance mais je n'ai pas encore d'histoire ! Aujourd'hui, j'ai écrit trois pages, je ne sais pas encore ce que ce sera. C'est excitant de ne pas savoir ce qui va se passer dans la fiction que vous êtes en train d'écrire. Je m'endors le soir avec les personnages en tête et, le lendemain matin, soudainement, ils sont prêts à s'animer. Je ne sais comment font les autres romanciers mais, pour moi, c'est ainsi. Quel est, selon vous, le rôle d'un écrivain aujourd'hui ? Ecrire de bons livres. Cela fait des milliers d'années que des conteurs ou des romanciers racontent des histoires. Elles ont pour but d'aider les gens à trouver un sens, à structurer leur esprit. On vit dans un monde chaotique, violent. Pour survivre, il faut essayer de se donner des valeurs repères. Autrefois, à l'âge des cavernes, il y avait un conteur qui racontait des histoires et l'auditoire était emporté ailleurs et peut-être amené à réfléchir, à conserver l'espoir que le jour allait bientôt venir. Je pense toujours aux profondes ténèbres qui nous entourent quand j'écris un roman. Bref, je crois au pouvoir des bonnes histoires. Une fiction peut aider à révéler une parcelle de vérité. Vos romans sont lus à travers le monde. Mais, à part le plaisir qu'ils procurent au lecteur, qu'est-ce qu'ils apportent de plus ? Difficile à dire. Mes personnages sont des gens ordinaires, mes lecteurs le sont aussi et je le suis également. C'est sans doute cette connivence qui explique que je sois lu. Ce que j'apporte ? Quelque chose en partage. Par exemple, mon dernier roman a été lu par un million de Chinois alors que Pékin et Tokyo s'affrontent pour des questions territoriales. Cela veut dire que des millions de Chinois et de Japonais partagent quelque chose par l'entremise de ce livre. Beaucoup d'écrivains japonais, en tout cas de la génération précédente, ont insisté sur les traits particuliers de leur culture. Ce n'est pas votre cas. En quoi vous sentez-vous japonais ? Etre japonais, je ne sais pas ce que cela signifie. Je suis japonais de nationalité. Mes parents sont japonais. Je suis né ici. J'écris en japonais. J'aime les sushis… A part cela, je ne sais pas. J'ai découvert que j'étais japonais lorsque je vivais aux Etats-Unis où l'on me renvoyait sans cesse une image : celle d'"écrivain japonais". Est-ce si important ? Sans doute la manière de penser, de regarder un paysage sont-elles marquées par une culture. Mais je ne pense pas que clarifier la différence soit si essentiel. C'est le message qui l'est – au-delà des particularités réelles ou supposées d'une appartenance culturelle. |