Les Éléphants de mer du sud




L' éléphant de mer du sud (Mirounga leonina), ou éléphant de mer austral, est le plus grand des phoques. Il fait partie des pinnipédes et plus généralement des carnivores (voir sa place dans la classification des mammifères)

Il fréquente les mers australes, depuis l'Antarctique jusqu'au sud des autres continents, et se reproduit à terre sur les plages des îles sub-antarctiques. Les études de suivi par satellite ont révélé ses compétences extraordinaires de voyageur océanique et de plongeur. Il fut chassé intensément au cours du XIXe siècle et dans une moindre mesure jusqu'au milieu du XXe siècle. Menacé alors d'extinction, les effectifs se sont aujourd'hui en partie reconstitués mais connaissent des fluctuations encore inexpliquées.

Description physique

Très proche parent de l'espèce nord-américaine (Mirounga angustirostris), l'éléphant de mer du sud s'en distingue par un corps en moyenne plus massif et par un museau plus large. Le dimorphisme sexuel est très marqué : les mâles adultes sont 3 à 4 fois plus gros que les femelles.
Les plus grands individus peuvent peser près de 4 tonnes et mesurer plus de 6 mètres, mais en général les mâles ont un poids moyen d'environ 2 tonnes et une longueur de 4 mètres, contre 500 kg et 2,70 m en moyenne pour les femelles.

Les narines se développant chez les mâles dominants en forme de trompe, cette particularité est à l'origine du nom d'éléphant de mer. Cette trompe (ou proboscis) est mise en évidence et se gonfle pour faire caisse de résonance lorsque l'animal éructe ou rugit afin d'affirmer son autorité. Les yeux sont grands, ronds et noirs.
Cette grosseur des yeux et le fait qu'ils possèdent une forte concentration en pigments adaptés à la vision en faible luminosité, sembleraient indiquer que la vue joue un rôle important dans la capture des proies en profondeur. Comme tous les phoques, les éléphants de mer ont des membres postérieurs atrophiés dont seules les extrémités se sont développées pour former avec la queue une nageoire caudale.
Chacun des “pieds” demeure cependant bien distinct et peut se déployer en éventail montrant ainsi les cinq longs doigts qui soutiennent la palmure. Cette double palme, très agile, sert à la propulsion aquatique. L'animal l'utilise généralement en position verticale à la manière des poissons. Les nageoires pectorales sont en revanche très peu employées lors de la nage.

Alors que les membres postérieurs sont devenus impropres à toute locomotion à terre, les éléphants de mer utilisent pour se déplacer sur les plages leurs membres antérieurs qui bien que transformés également en nageoires leur permettent de prendre appui au sol pour propulser leur corps, faisant suivre à la traîne le ventre et l'arrière-train. Ils sont capables d'effectuer de cette manière sur de courtes distances des déplacements rapides, afin de gagner la mer, de rattraper une femelle ou de chasser un intrus. La vitesse de déplacement à terre peut atteindre 8 km/h

Les petits naissent avec une fourrure, le “lumago”, entièrement noire, inadaptée à l'eau mais qui par sa densité protège les nourrissons de la fraîcheur de l'air ambiant. La première mue accompagne le sevrage. La couleur des pelages qui se suivent ensuite au cours de la vie et qui sont désormais très ras varie entre le gris et le brun, selon l'épaisseur et l'humidité des poils. Chez les vieux mâles, la peau prend l'aspect d'un cuir épais décoloré qui porte les nombreuses balafres laissées par les combats entre rivaux.

Les éléphants de mer possèdent sous la peau une épaisse couche de gras qui les isole du froid dans l'eau et qui constitue aussi une réserve énergétique pour les longues traversées océaniques ou pour les périodes de jeûne à terre. L'importance des réserves de graisse varie grandement selon la saison et l'état physiologique de l'animal. Elle peut servir à caractériser la suffisance des ressources alimentaires et influe sur la flottabilité d'un individu. C'est cette couche de gras, dont l'épaisseur peut dépasser dix centimètres, qui faisait la convoitise des chasseurs phoquiers. Ils la faisaient fondre et la transformaient en huile. Comme les autres phoques, les éléphants de mer ont une circulation sanguine adaptée au froid. Elle a la particularité (dite rete mirabile) d’être constituée (sous le derme) par un mélange de petites veines entourant les artères. Ces veines bénéficient ainsi de la chaleur dégagée par les artères, ce qui réduit les pertes de chaleur. Cette structure est particulièrement présente dans les zones les moins isolées, comme les pattes arrières.

Population

La population mondiale serait d'environ 650 000 animaux. Les études de suivi des populations et de marquage ont démontré l'existence de trois sous-populations géographiques propres à chacun des trois océans. Le pistage au moyen de balises Argos a permis de suivre les itinéraires parcourus par les éléphants de mer et ainsi de montrer que leur principale zone d'alimentation se situait en bordure du continent antarctique. Cependant, s'il arrive que les éléphants de mer accostent occasionnellement en Antarctique pour se reposer ou même parfois pour y muer, ils se rassemblent pour se reproduire en zone sub-antarctique.

La sous-population la plus importante est celle de l'Atlantique Sud avec plus de 400 000 individus dont environ 350 000 se reproduisent en Géorgie du Sud, les autres colonies de reproduction se situant aux îles Malouines, sur la Presqu'île de Valdès en Patagonie argentine, aux îles Sandwich, Orcades et Shetland du Sud, à l'île Bouvet et à l'île Gough.

La deuxième sous-population, du sud de l'Océan Indien, compterait au maximum 200 000 individus dont les trois-quarts aux îles Kerguelen et le reste aux îles Crozet, Marion et Prince-Édouard, et Heard.
La troisième sous-population, d'environ 75 000 individus, fréquente les îles sub-antarctiques de l'Océan Pacifique au sud de la Tasmanie et de la Nouvelle-Zélande, principalement l'île Macquarie.


Mirounga leonina à la péninsule de Valdès


Bébé à la tétée

Comportement

Les éléphants de mer passent la plus grande partie de leur existence sous l'eau. Grâce aux suivis satellitaires, on s'est aperçu que les animaux restent très peu de temps en surface, en général quelques minutes pour refaire le plein d'oxygène. Ils plongent sans cesse, à chaque fois pendant plus de vingt minutes, pour chasser leurs proies, calmars et poissons, entre 400 et 1000 m de profondeur. Les records de plongée ont été relevés à près de deux heures pour la durée et à plus de 1400 m pour la profondeur.
Ils se reposent également en apnée en se laissant flotter entre deux eaux. Par la durée, la profondeur et l'enchaînement des plongées, les éléphants de mer du sud sont les plus performants des phoques. A de nombreux points de vue, ils dépassent même la plupart des cétacés. Ces capacités hors normes résultent d'adaptations physiologiques, communes aux mammifères marins, mais particulièrement développées chez les éléphants de mer. La stratégie d'adaptation repose sur deux axes : augmenter le stockage d'oxygène, réduire sa consommation. Ce ne sont guère les poumons qui assurent les réserves d'oxygène.
De taille relativement modeste, ils sont d'ailleurs pendant les plongées vidés et comprimés, réduisant ainsi les effets nocifs des échanges gazeux sous pression notamment avec l'azote. L'oxygène est alors essentiellement stocké dans le sang où il est associé à l'hémoglobine des globules rouges, ainsi que de manière importante dans les muscles où il est retenu par la myoglobine. Les éléphants de mer ont un volume sanguin rapporté à la masse corporelle 2,5 fois supérieur à celui de l'homme, une plus grande concentration en hématies, une plus grande concentration en hémoglobine dans les hématies. Enfin leur rate joue aussi un rôle essentiel dans le stockage et la redistribution du sang.

La forme hydrodynamique du corps facilite la pénétration dans l'eau et pour plonger il suffit souvent de se laisser couler. Quant au flux sanguin, il se concentre sur les organes vitaux : cœur, système nerveux central tandis que la température corporelle chute de plus de 15 °C dans les parties périphériques du corps. Le ralentissement du rythme cardiaque, la bradycardie, est aussi particulièrement sensible. Dans l'océan, les éléphants de mer ont un comportement apparemment solitaire. Les mâles semblent préférer aller se nourrir en bordure du continent antarctique alors que les femelles circulent plus largement. Les individus retournent manifestement chaque année sur les mêmes zones de chasse. Les connaissances sur l'alimentation des éléphants de mer sont encore très partielles. On sait que leur régime est essentiellement composé de poissons et de calmars, capturés lors des plongées profondes. Mais les observations directes pendant ces longues et discrètes périodes de vie pélagique sont impossibles. Des lavages d'estomacs réalisés en 1992 et 1993 sur la péninsule antarctique sur un échantillon d'individus ont révélé grâce à l'identification des becs de céphalopodes retrouvés dans les contenus stomacaux la diversité des espèces avec une nette prédominance du calmar des glaces Psychroteuthis glacialis. Mais ces données localisées pourraient ne caractériser finalement que la composition de la ressource alimentaire du secteur.

Bien que chassant dans l'obscurité des profondeurs, c'est en partie grâce à la vue que les éléphants de mer semblent repérer leurs proies, la bioluminescence de certaines d'entre elles pouvant faciliter leur capture. Les éléphants de mer n'ont pas développé de système d'écholocation à la manière des cétacés, mais on suppose que leurs vibrisses qui sont sensibles aux vibrations jouent cependant un rôle dans la recherche de nourriture. Lorsqu'ils fréquentent les côtes sub-antarctiques ou antarctiques, les éléphants de mer peuvent aussi consommer des crustacés isopodes, des ascidies, du krill, des mollusques bivalves ou même quelques algues. Les éléphants de mer ont peu de prédateurs. Ils peuvent être attaqués par les léopards des mers, les requins blancs ou par les orques. Ces dernières guettent en particulier les jeunes de l'année lors de leurs premiers bains de mer.

Véritables sous-marins des mers australes, les éléphants de mer comptent aussi parmi les phoques les plus « terrestres » puisqu'ils séjournent chaque année plusieurs semaines consécutives au sec. Les femelles gagnent les plages sub-antarctiques dès le début du printemps austral, à partir du mois de septembre, pour mettre bas un seul petit. L'allaitement dure en moyenne 23 jours. Pendant toute cette période, la femelle jeûne. Les nouveaux-nés qui pèsent environ 40 kg à la naissance atteignent 120 à 130 kg lorsqu'ils sont sevrés. La mère a pendant cette période considérablement maigri. Avant même que toutes les naissances et les sevrages soient terminés, les mâles ont également rejoint les colonies. Les plus costauds, appelés pachas, ont constitué leurs harems de plusieurs dizaines de femelles. Ceux qui veulent les leur disputer les affrontent en combats singuliers. Les deux adversaires se cambrent et se laissent retomber de tout leur poids, canines en avant, l'un sur l'autre. L'issue est rarement fatale et le vaincu n'a plus qu'à s'enfuir. Les harems sont ainsi entourés de groupes de jeunes mâles ou de mâles dépités, qui à l'occasion tentent leur chance auprès des femelles les plus excentrées. Les pachas veillent en permanence à leur privilège sexuel et rappellent à l'ordre les resquilleurs éventuels par des éructations menaçantes ou si besoin par une poursuite.

Bien qu'ils soient théoriquement mâtures dès l'âge de 4 ou 5 ans, les mâles peuvent en fait rarement s'accoupler avant 9 ou 10 ans. Autour des colonies, des oiseaux de mer tels les skuas, les pétrels subantarctiques, les becs-en-fourreau circulent aussi en permanence à l'affût d'un bon repas fait d'un placenta, du cadavre d'un mâle blessé à mort, d'un petit malencontreusement écrasé par la charge d'un pacha ou même de quelques gouttes de lait. Les femelles sont saillies dès la fin de l'allaitement. Les jeunes femelles ayant atteint l'âge de 3 ans sont également fécondées. Le développement de l'embryon ne commence pas immédiatement (l'ovocyte reste en dormance quelque temps). La gestation dure en effet 9 mois, mais il faut néanmoins que les naissances n'interviennent qu'environ un an plus tard, à la bonne saison. Les jeunes qui sont sevrés se regroupent en pouponnières en attendant de perdre leur pelage de naissance, puis se mettent timidement à l'eau en commençant généralement leur apprentissage en eau douce dans les estuaires ou les mares d'arrière plage. En été, les éléphants de mer viennent aussi à terre pour changer de pelage : c'est le temps de la mue. Celle-ci s'engage parfois directement après la reproduction. Certains mâles peuvent ainsi rester à terre plus de 3 mois sans se nourrir. Les éléphants de mer affectionnent particulièrement les bains de boue, souvent collectifs. Leurs passages répétés dans les souilles peuvent y creuser de véritables baignoires dans lesquelles plus d'un est resté piégé à mort. La mue semble occasionner une réelle fatigue et s'accompagne fréquemment d'écoulements nasaux purulents.

L'éléphant de mer du sud est inscrit depuis 1996 sur la liste rouge de l'IUCN en tant qu'espèce à faible risque (LR) et faiblement concernée (lc). La plupart des législations nationales assurent néanmoins sa protection intégrale, notamment pour la France l'arrêté interministériel du 27 juillet 1995 sur la protection des mammifères marins.