On connaît la chanson, d'Alain Resnais

 

On connaît la chanson, film français (aussi britannique et suisse) d'Alain Resnais, scénario d' Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, sorti en 1997

 

 

Le ton est donné par un préambule représentant le général allemand Dietrich von Choltitz en 1944, auquel Hitler demande de détruire la capitale française, et qui, ouvrant la bouche, se met à pousser la chansonnette avec la voix de Joséphine Baker: «J'ai deux amours, mon pays et Paris ».

Odile et Claude forment un couple routinier. Claude voit d'un mauvais œil le retour à Paris de Nicolas , un ancien amant d'Odile. Odile projette, quant à elle, d'acheter un grand appartement. Elle s'adresse à Marc , agent immobilier dont Camille , la sœur d'Odile, guide et étudiante en histoire, s'éprend lors d'une visite des lieux. Mais Camille est sans le savoir convoitée par Simon, employé du tyrannique Marc, et qui partage avec elle la passion de l'histoire. Simon pratique sans conviction son métier d'agent immobilier, en faisant notamment visiter à Nicolas une trentaine d'appartements.

Quand Camille passe avec brio sa thèse sur « Les chevaliers paysans de l'an mil du lac Paladru », sa sœur Odile la félicite (« Donne-moi ta main, et prends la mienne, mais oui mais oui, l'école est finie », Sheila).
Odile se sent coupable d'avoir refusé d'engager un chômeur en prétextant une restructuration. (C'est dégoûtant mais nécessaire, Koval), mais elle est emballée par l'appartement que lui a vendu Marc sans lui dire que la vue allait y être bouchée par l'édification d'un immeuble neuf. En préparation de la pendaison de crémaillère de l'appartement d'Odile, tous les invités sont désireux d'être « la plus belle pour aller danser » (Sylvie Vartan), hormis Claude qui s'est promis d'annoncer à son épouse qu'il la quittait («Je suis venu ce dire que je m'en vais », Serge Gainsbourg).
Mais il ne s'y résout pas : la voyant en larmes d'avoir été trompée par son agent immobilier, il préfère la consoler («T'en fais pas, mon p'tit loup », Pierre Perret). Marc n'a « pas un caractère à [se] faire du tracas » (Maurice Chevalier) mais son imposture démasquée, il est honni par toute l'assistance («Mal aimé, je suis le mal aimé», Claude François). Dévisagé toute la soirée par Marc qui est à la fois son rival en amour et son odieux patron, Simon a les nerfs (« Quoi, ma gueule ? Qu'est-ce qu'elle a ma gueule ? », Johnny Hallyday). À force de tergiverser sur son installation à Paris et le choix de son appartement, Nicolas finit par être quitté par une épouse aux abois (« Y'a quelque chose qui cloche d'accord, J'veux pas qu'tu t'en ailles », Michel Jonasz).

À partir du thème des apparences, Resnais s'inspire cette fois de l'auteur anglais Dennis Potter, qui avait l'habitude d'intégrer des chansons complètes dans le corps de ses fictions pour mieux fustiger la société britannique.Des bribes de chansons interprétées en play-back (procédé déjà esquissé dans La vie est un roman) interviennent, par association libre, dans les chassés-croisés des six personnages principaux.

Cette fausse mélodie du bonheur, sarabande d'amours ratées sur fond de rengaines, valse de malentendus et de fausses coïncidences, se déroule au gré de visites d'appartements (Marc et Simon font visiter, Camille, Odile et Nicolas visitent), de sites touristiques (des Buttes-Chaumont au Père-Lachaise) et de rendez-vous chez des médecins (incurable hypocondriaque, Nicolas en sort chaque fois moins rassuré). Collection de touchants indécis, On connaît la chanson est aussi un inventaire de mensonges (Claude ment à sa femme, Nicolas ment à sa femme et à ses amis, Marc ment à sa cliente et à ses conquêtes, Simon ment à son patron et à sa bien-aimée...).
Tous se mentent à eux-mêmes, veulent donner l'impression qu'ils maîtrisent leur vie. Les chansons trahissent leur incapacité à se faire comprendre, un désir fou de s'exprimer sans être muselé par les convenances sociales. Elles traduisent aussi leurs besoins de cacher leur misère affective, le besoin de recourir à un jeu de rôles, la nécessité de se fabriquer une image flatteuse d'eux-mêmes.

Dans la scène finale, où Agnès Jaoui et André Dussolier sont sur le balcon et admirent la vue, l'ultime dialogue entre eux fait directement référence au roman Zazie dans le métro de l'oulipien Raymond Queneau, ami de Resnais. À la question de l'une : Ce n'est pas la Sainte Chapelle ?, le second répond : Non, c'est la Bourse du Commerce, allusion à l'une des scènes culte du roman de Queneau.

Le principe ludique de ce que Resnais nomme ici film-vaudeville (au sens des pièces théâtrales à chansons de la fin du dix-neuvième siècle) plutôt que comédie musicale est de truffer le récit d'apartés musicaux. Les pensées des personnages y sont traduites par des bribes de chansons puisées dans le répertoire de la variété, le cinéaste pratiquant une sorte de doublage de ses comédiens par la voix des interprètes originaux des tubes glanés au fil du siècle, avec d'épisodiques permutations de sexe (un personnage féminin chante avec la voix d'un interprète masculin/ ou l'inverse).

En proie au mal-être, Camille/Agnès Jaoui somatise et s'évanouit lors de sa soutenance de thèse après avoir été prise de spasmophilie dans un restaurant. Symptômes de dépression qui n'altèrent pas le ton d'une comédie peuplée de stressés, névrosés ou schizophrènes. Et hantée par un hypocondriaque. Nicolas court d'un médecin à l'autre en se croyant atteint de tous les maux du monde: «Je suis malaaaaade», scande-t-il en écho à Serge Lama et en alternance avec le «J'ai la rate qui s'dilate» d'Ouvrard. La déprime guette aussi Odile/Sabine Azéma, trompée par son mari et abusée par un agent immobilier sans scrupules. Elle terrasse Simon depuis quatre ans.

Ces langueurs, désolations qui se traduisent par une prostration, une instabilité, une nervosité, parfois une surexcitation, s'accompagnent chez Resnais d'une pluie de particules.Semblables à des atomes (dans L'Amour à mort), ces molécules blanches se font nuages de neige dans I Want io Go Home (neige artificielle en confettis tombant du premier étage dans le salon pendant le bal masqué) et dans Cœurs (où les épaules des personnages en plein cafard se recouvrent de ce blanc céleste des boules à neige. La neige est rêve et mort, elle recouvre en partie la pelouse du château de Forbek dans La vie est un roman, par plaques, prête à fondre comme illusions au soleil.

 

Alain Resnais déclare:

 

Nous voulions que la plupart des personnages dissimulent quelque chose. Souvent, dans la vie, on fait des choses en fonction de ce que l'on anticipe des interprétations qu'en feront les autres. On fait ça ou ça par rapport à ce que les autres vont en penser.

J'aime beaucoup la plaisanterie du psychiatre Louis Bertagna (1920-2006), spécialiste de la dépression, de la neurasthénie : on ne devrait jamais dire que les héros sont fatigués, mais que les fatigués sont des héros. Parce que la volonté que doit déployer un dépressif pour continuer à mener une vie normale est fabuleuse. Il ne faut pas oublier que le suicide est une action. Ce qui soigne le mieux l'angoissé c'est d'agir, même traverser Paris à pied apporte des modifications chimiques dans le cerveau qui sont équivalentes à des tranquillisants.

 

Distribution

Fiche technique

  • Réalisateur: Alain Resnais
  • Scénario : Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri
  • Direction artistique : Jacques Saulnier
  • Montage : Hervé de Luze
  • Photographie :Renato Berta
  • Arrangements et musique originale : Bruno Fontaine
  • Affiche de film : Floc'h
  • Production : Bruno Pésery, Richard Hawley (producteur délégué), Michel Seydoux, Ruth Waldburger (coproducteurs)
  • Sociétés de production : Arena Films, Caméra One, France 2 Cinéma, Greenpoint Films, Vega Films
  • Durée : 120 minutes
  • Dates de sortie : 12 novembre 1997
  • Distinctions :
  • Berlinale 1998 : Ours d'argent (meilleure contribution artistique) décerné à Alain Resnais pour ce film, et l'ensemble de sa carrière
  • César 1998 : César du meilleur film
    • César du meilleur scénario original ou adaptation pour Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri
    • César du meilleur acteur pour André Dussollier
    • César du meilleur acteur dans un second rôle pour Jean-Pierre Bacri
    • César de la meilleure actrice dans un second rôle pour Agnès Jaoui
    • César du meilleur son pour Pierre Lenoir, Jean-Pierre Laforce et Michel Klochendler
    • César du meilleur montage pour Hervé de Luze
  • Prix Louis-Delluc 1997 (ex-æquo avec Marius et Jeannette )
  • Prix Méliès 1997

 

Les chansons du film
  • Joséphine Baker : J'ai deux amours
  • Dalida et Alain Delon : Parole parole
  • Charles Aznavour : Et moi dans mon coin
  • René Koval : C'est dégoûtant mais nécessaire
  • Simone Simon : Afin de plaire à son papa
  • Gaston Ouvrard : Je n'suis pas bien portant
  • Albert Préjean : Je m'donne
  • Jacques Dutronc : J'aime les filles
  • Michel Sardou : Déjà vu
  • Gilbert Bécaud : Nathalie
  • Maurice Chevalier : Dans la vie faut pas s'en faire
  • Arletty et Jean Aquistapace : Et le reste
  • Édith Piaf : J'm'en fous pas mal
  • Alain Bashung : Vertige de l'amour
  • Sheila : L'école est finie
  • Serge Lama : Je suis malade
  • Léo Ferré : Avec le temps
  • Henry Garat : Avoir un bon copain
  • Jane Birkin : Quoi
  • France Gall : Résiste
  • Henry Garat : Amusez-vous
  • Henry Garat : La tête qu'il faut faire
  • Alain Souchon : Sous les jupes des filles
  • Eddy Mitchell : La Dernière Séance
  • Sylvie Vartan : La plus belle pour aller danser
  • Serge Gainsbourg : Je suis venu te dire que je m'en vais
  • Eddy Mitchell : Je vous dérange
  • Téléphone : Ça (c'est vraiment toi)
  • Dranem : Quand on perd la tête
  • Johnny Hallyday : Ma gueule
  • Pierre Perret : Mon p'tit loup
  • Claude François : Le Mal-aimé
  • Michel Jonasz : J'veux pas qu'tu t'en ailles
  • Julien Clerc : Ce n'est rien
  • Claude François : Chanson populaire
  • Eddy Mitchell : Le Blues du blanc