Pierrot le fou , de Jean-Luc Godard

Pierrot le fou , film franco-italien réalisé par Jean-Luc Godard, sorti le 29 août 1965,
en compétition officielle au Festival de Venise 1965 .

Ferdinand Griffon, ex professeur d'Espagnol, ex stagiaire à la télévision, marié à une richissime italienne, lit à sa petite fille des pages d'Elie Faure consacrées à Velazquez. Une jeune fille, Marianne, vient garder les enfants.
Les Griffon se rendent à une réception bourgeoise chez des amis, où chacun débite des slogans publicitaires, exception faite de Samuel Fuller qui parle de cinéma. Ferdinand jette un gâteau au visage des invités et, retrouvant Marianne qu'il a jadis aimée chez lui, part à l'aventure.
Mais Marianne déclare qu'il faut d'abord se débarrasser d'un cadavre et lui confie que son frère Fred l'a placée dans une bande rivale de la sienne pour l'espionner. Le couple est poursuivi par la police. Ils vivent quelques jours comme des naufragés sur une île déserte.

Un nain, membre de la bande, emmène Marianne. Ferdinand le découvre assassiné et se fait matraquer par deux complices. Ferdinand retrouve enfin Marianne. Elle le présente à Fred qui lui propose de participer à un hold-up.
Le coup réussit mais Ferdinand comprend qu'on l'a joué lorsqu'il voit Marianne embrasser l'homme qu'elle prétendait être son frère. Il abat son rival puis la jeune femme et téléphone ensuite à la police. Puis, le visage peint en bleu, il se barde d'explosifs auxquels il met le feu.

La trame policière initiale du récit de Lionel White (lui-même très librement inspiré du personnage de Pierre Loutrel, le Pierrot le fou historique des années 1950) est totalement recouverte par une recherche désespérée et très rimbaldienne de l'amour fou et de l'aventure pos-tromantique. On retrouve la réflexion sur le couple menée par Godard : tout oppose l'impulsive Marianne, qui préfère les disques et la danse à l'intellectuel Ferdinand qui préfère la lecture et l'écriture. Cette opposition était déjà celle de Camille et de Paul dans Le Mépris alors que, dans A bout de souffle, Patricia était l'intellectuelle et Michel l'impulsif. Les références à l'art sont nombreuses : la poésie moderne, la peinture de Velazquez à Picasso, le cinéma avec Samuel Fuller.

Sur le thème éternel de l'amour et de la mort, Jean-Luc Godard signe un film éclatant, coloré et poétique. Le rejet de la société de consommation, le droit au bonheur et au rêve sont rendus à travers une cavale de Paris vers la Méditerranée.
Les références à la peinture, la littérature et la bande dessinées sont nombreuses.
La surprise est au bout de chaque séquence et la fin est radicale...

On peut parler de souffle libertaire voire d’existentialisme à propos de Pierrot le fou. Le souffle est à la fois dans sa conception comme dans son fond. Les deux étant liés en une symbiose rarement atteinte par un projet cinématographique. on est en 1965 et Jean-Luc Godard expérimente des cadrages alambiqués, des plans-séquences de transition.

Un cinéma inesthétique en soi, pour qui ne se prête pas au jeu de la bienséance historique du 7ème Art. Aujourd’hui, en effet, ce genre de technique, de conception, passe presque inaperçu. D’extravagances en extravagances, Godard joue avec le spectateur, en complétant son fond d’intrigue par la forme, qui elle-même est sublimée par le contenu. Souvent subversif, ce cinéma là est typiqueement sartrien, composé d’existence plutôt que d’essence, puisque ayant pour but de filmer l’homme par des moyens techniques surréalistes par rapport aux codes du 7ème Art de l’époque.

Les interprétations de Belmondo et Anna Karina comptant davantage que la destinée et le cheminement tortueux de leur personnage. Si la marginalité est filmée, elle est aussi intellectualisée, dans une démarche assez existentialiste. Godard met en situation deux marginaux qui se complaisent à vivre au jour le jour, sans un réel autre poids moral et moralisateur que l’amour qui les unit. Jean-Paul Belmondo et Anna Karina. qu’ils restent tous deux conscient et responsables de leur passion amoureuse mutuelle et qu’ils prennent leur distance et liberté l’un vis-à-vis de l’autre.

Concevant à deux une morale qui semble leur sied à merveille, ils parviennent à assumer leurs actes. Un existentialisme détourné , une puissante apologie douce-amère de l’amour, de la libération sexuelle et de l’affranchissement collectif vis-à-vis des mœurs pré-soixante-huitardes. Quelque soit leur fin, Pierrot et Marianne ont été responsables de leurs actes, de leurs paroles, de leur passion amoureuse et de leurs choix. Ce fond existentialiste confère à Pierrot le fou une authenticité artistique rare

Citations du film

  • "Ferdinand : - Un poète qui s'appelle revolver...
    Marianne : - Robert Browning
    Ferdinand : - Pour échapper
    Marianne : - Jamais
    Ferdinand : - Bien aimé
    Marianne : - Tant que je serais moi
    Ferdinand : - Et que tu seras toi
    Marianne : - Aussi longtemps que nous vivrons tous les deux
    Ferdinand : - Moi qui t'aime
    Marianne : - Et toi qui me repousses
    Ferdinand : - Tant que l'un voudra fuir
    Marianne : - Cela ressemble trop à la fatalité"
  • Marianne faisant les cent pas sur la plage : " Qu'est ce que je peux faire ? J'sais pas quoi faire ! Qu'est ce que je peux faire ? J'sais pas quoi faire ! Qu'est ce que je peux faire ? J'sais pas quoi faire ! "
  • Ferdinand : « on a eu la civilisation Romaine, la Renaissance…on est désormais dans la civilisation du Q »

Déclarations de Jean-Luc Godard

"Pierrot le Fou c'est un petit soldat qui découvre avec mépris qu'il faut vivre sa vie, qu'une femme est une femme, et que dans un monde nouveau, il faut faire bande à part pour ne pas se retrouver à bout de souffle." (allusion bien sûr à ses films précédents)

À la sortie de Pierrot le Fou Godard disait : "Je ne peux pas dire que je ne l’ai pas travaillé, mais je ne l’ai pas pré-pensé. Tout est venu en même temps : c’est un film où il n’y a pas eu d’écriture, ni de montage, ni de mixage, enfin, un jour!"
L’idée est trompeuse : elle correspond davantage à un mythe de la création qu’à la réalité journalière du travail. Cependant, comme tout mythe, elle comporte une part de vérité : celle de l’intensité du tournage lorsque la tension entre ce qui est prévu, recherché et trouvé se met en place ; quand le film est encore ouvert à tous les possibles, alors qu’il reste à faire, qu’il est en train de se faire, et qu’à la fois il est déjà un peu fait.

Louis Aragon parle du film


Distribution

  • Jean-Paul Belmondo : Ferdinand-Pierrot
  • Anna Karina : Marianne
  • Graziella Galvani : Maria, la femme de Ferdinand
  • Dirk Sanders : Fred
  • Jimmy Karoubi : le chef des gangsters
  • Roger Dutoit et Hans Meyer : les gangsters
  • Samuel Fuller : lui-même
  • Princesse Aïcha Abadie : elle-même
  • Alexis Poliakoff : le marin
  • Raymond Devos : l'homme du port
  • Lazlo Szabo : Lazlo Kovacs
  • Jean-Pierre Léaud : un spectateur
  • Georges Staquet : Staquet
  • Henri Attal : Le pompiste #1
  • Dominique Zardi : Le pompiste #2

Fiche technique

  • Réalisation : Jean-Luc Godard, assistants : Jean-Pierre Léaud et Philippe Fourastié
  • Scénario : Jean-Luc Godard, d'après Obsession, de Lionel White
  • Production : Georges de Beauregard
  • Musique : Antoine Duhamel et Cyrus Bassiak (Serge Rezvani)
  • Photographie : Raoul Coutard
  • Montage : Françoise Collin
  • Décors : Pierre Guffroy
  • Pays d'origine : France, Italie
  • Durée : 115 minutes
  • Dates de sortie : 29 août 1965 (Mostra de Venise),
    5 novembre 1965 (France)
  • Prix de la critique lors de la Mostra de Venise 1965.

Dans Pierrot le fou, Anna Karina interprète deux chansons de Serge Rezvani « Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerai toujours, oh mon amour » et « Ma ligne de chance »

Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerai toujours ô mon amour ( paroles et musique de Serge Rezvani sous le pseudonyme de Cyrus Bassiak)

Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerai toujours ô mon amour
jamais tu ne m'as promis de m'adorer toute la vie
jamais nous n'avons échangé de tels serments me connaissant te connaissant
jamais nous n'aurions cru être à jamais pris par l'amour
nous qui étions si inconstants

Pourtant pourtant tout doucement sans qu'entre nous rien ne soit dit petit à petit
des sentiments se sont glissés entre nos corps qui se plaisaient à se mêler
et puis des mots d'amour sont venus sur nos lèvres nues petit à petit
des tas de mots d'amour se sont mêlés tout doucement à nos baisers
combien de mots d'amour

Jamais je n'aurais cru que tu me plairais toujours ô mon amour
jamais nous n'aurions pensé vivre ensemble sans nous lasser
nous réveiller tous les matins aussi surpris de nous trouver si bien dans le même lit
et ne désirer rien de plus que ce si quotidien plaisir d'être ensemble aussi bien

Pourtant pourtant tout doucement sans qu'entre nous rien ne soit dit petit à petit
nos sentiments nous ont liés bien malgré nous sans y penser à tout jamais
des sentiments plus forts que tous les mots d'amour connus et inconnus
des sentiments si fous et si violents des sentiments auxquels avant nous n'aurions jamais cru

Jamais ne dis jamais que tu m'aimeras toujours ô mon amour
jamais ne me promets de m'adorer toute la vie
n'échangeons surtout pas de tels serments me connaissant te connaissant
gardons le sentiment que notre amour au jour le jour
que notre amour est un amour sans lendemain


Voir les extraits sur Youtube (sous-titré en anglais, of course)

Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerai toujours, oh mon amour

Ma ligne de chance