Le vent se lève, film européen de Ken Loach

Le vent se lève est un film réalisé par Ken Loach, sorti le 18 mai 2006, en compétition officielle au Festival de Cannes. Il obtient la Palme d'Or.

Tout le cinéma
Ne pas confondre avec Le vent se lève (Kaze tachinu ), film d'animation (2013) de Hayao Miyazaki

En 1920, l'Armée républicaine irlandaise a pris les armes contre l'occupant britannique, dans l'espoir de mener l'ultime bataille d'une guerre qui a commencé au XIIe siècle. (voir le contexte historique) Pour garder l'Irlande dans le giron du royaume, Londres a envoyé des troupes dont l'armature est faite d'anciens combattants de la première guerre mondiale, et de volontaires protestants.

Ken Loach débute son film par une partie de hurling, dans la lande irlandaise, entre chien et loup. Ce jeu traditionnel irlandais, sorte de hockey, est méprisé par les Anglais. Les gars sur le terrain se connaissent tous, cela n'empêche pas le jeu d'être musclé, malgré la présence d'un arbitre. La partie terminée, tout le monde se réconcilie autour d'une cigarette.

Les battes sont à peine rangées qu'une brigade de soldats britanniques fait irruption, aboie ses ordres, contrôle les identités dans la ferme voisine : insultes racistes, brutalité, qui dissimulent à peine la panique latente de militaires en milieu hostile, et la conclusion logique de cette histoire que l'humanité aime à répéter : l'exécution d'un innocent, sommaire, ignoble mais presque fortuite, car son seul tort est de ne pas avoir prononcé son nom à l'anglaise.

Le jeune Damien O'Donovan y assiste. Il s'apprête à regagner l'Angleterre pour commencer sa carrière de médecin. Cette atrocité et la bêtise d'un militaire à la gare le font basculer : après un séjour en prison, Damien rejoint l'IRA, où il retrouve son frère Teddy, qui est en train de monter dans la hiérarchie de l'organisation. On retrouve toutes les étapes du film de résistance : l'initiation du jeune combattant à la cruauté, les choix difficiles entre la protection des populations et l'offensive contre l'ennemi.

Teddy et Damien sont les deux figures autour desquelles s'organise l'action du film, et que les événements vont peu à peu opposer. Au début, Damien fait tout pour être à la hauteur de son frère. Zélé, il tente même de se faire passer pour lui lorsqu'ils sont tous deux en prison, espérant épargner celui qui a plus de poids au sein de l'IRA. Teddy et Damien sont comme les deux doigts de la main.

Lorsque les Britanniques torturent le premier, le deuxième est là pour le soigner puis le remplacer dans ses responsabilités. Quitte à effectuer le sale boulot. Epreuve effrayante, qui le transforme à jamais : abattre à bout portant un traître fait prisonnier, un jeune paysan à peine sorti de l'adolescence. " J'ai franchi un cap. Je ne ressens plus rien ", dit-il peu après. Seuls comptent à présent l'intérêt général et l'honneur du devoir accompli.

La guerre qu'ils mènent est artisanale (et Loach, qui aime montrer les gens au travail, sait très bien mettre en scène les bricolages approximatifs qui font une guérilla), faite de longs moments d'ennui entrecoupés de paroxysme de violence. Les maximes de l'insurrection prennent ici une réalité amère : n'attaquer l'ennemi qu'en position de force signifie tirer un camion de Britanniques comme des lapins ; être comme un poisson dans l'eau veut dire que les populations seront soumises à de terribles représailles. Pire même, les familles ayant accueilli les insurgés feront les frais des divisions de ceux-ci dans la seconde partie, et subiront les mêmes vexations que de la part des Anglais.

Arrive le moment fatal où la guerre d'indépendance vire à la guerre civile, et fratricide au sens strict du mot. Les espoirs se brisent d'un coup, les compromissions stoppent l'élan, les conflits d'intérêts prennent le dessus. Dans le camp irlandais, les réunions sont houleuses, les partisans du traité de paix avec les Britanniques jurent que c'est un premier pas, les autres que c'est un recul. Chacun a ses raisons, mais Loach, en marxiste convaincu souligne que cette opposition se double d'un affrontement entre les libéraux et les possédants, soutenus par l'Église catholique d'un coté et les socialistes purs et durs de l'autre.

Même si on devine que Loach a choisi son camp, les deux adversaires sont traités avec la même compassion. C'est toute la force du film, modèle de construction, qui tend souterrainement mais sûrement vers la tragédie. De manière dense et concise, Loach parvient à combiner le général, l'histoire politique et militaire, et le particulier, le parcours des deux frères. Il reste toujours concret, direct et sec.

Le vent se lève n'est pas un film de guerre, mais un film sur les déchirements d'un peuple. Les coups de feu n'y occultent pas les débats. Le désastre de ces affrontements y suscite une émotion tenue et inspire cette image finale : une femme à genoux, en pleurs, devant une maison brûlée.

Le grand talent de Ken Loach est de nous plonger au cœur de ces différences, de savoir si bien faire apparaître l’impact humain, la progression dans les vies personnelles de l’histoire commune, rendant ainsi émouvant et sensible chaque événement. Rien n’est simpliste, rien n’est d’une pièce et si l’expert en dramaturgie Ken Loach nous donne à voir des scènes collectives d’une grande force, chaque individu existe, capté au plus près de ses vibrations, de ses regards, de ses émotions.

Ce n'est pas la première fois que Ken Loach s'intéresse à la cause irlandaise. Au début des années 1970, le scénario de Wednesday Plays fut récusé par la BBC. En 1976, le cinéaste parvenait à évoquer le conflit dans une série télévisée, Days of Hope : il dénonça le rôle répressif de l'armée britannique sur le sol irlandais ainsi que les propriétaires anglais qui s'enrichissent aux dépens du peuple depuis des siècles.
En 1981, l'un des héros de Regards et sourires tentait de convaincre son copain de s'engager avec lui dans l'armée en Ulster. Puis ce fut Hidden Agenda, en 1990, thriller stigmatisant les méthodes de la police britannique en Irlande du Nord. Les autorités anglaises n'apprécièrent pas du tout la présence de ce film à Cannes. Et les tabloïds ironisèrent en déplorant la sélection d'un film plaidant la cause de l'IRA.

Au moment de la réalisation du film, le débat sur l'intervention britannique en Irak était à son apogée. A voir le comportement de ces uniformes qui injurient, éructent, humilient et exécutent de sang-froid, on peut y voir un régiment de marines en croisade contre un Mal fantasmatique. Comment, en voyant ces monstres hystériques s'acharner sur leurs proies désarmées, ne pas penser aux tortures exercées par des troupes anglo-saxonnes sur des prisonniers irakiens ?

Le titre original du film est celui d'une complainte irlandaise : The Wind that Shakes the Barley - le vent qui agite l'orge. Il convient mieux au film que l'épique Le vent se lève. Pour Loach, le vent de l'histoire souffle et agite les hommes sans plus d'égards qu'il n'en témoigne pour les épis. A chaque fois qu'il a mis en scène ce spectacle, Loach a pris parti. Il continue de le faire, mais il y met une sérénité, une compassion qui font du Vent se lève l'un de ses films les plus émouvants.

Compléments:


Ken Loach déclare:
"Je ne dirais pas de ce film qu'il est anti-britannique. J'ai envie que les spectateurs voient les personnages au-delà de leur nationalité. Ce n'est pas un film sur les Anglais qui tabassent les Irlandais... Les gens ont beaucoup plus de points communs avec des étrangers de la même condition sociale qu'avec, disons, ceux qui sont au sommet de leur échelle sociale. Vous pouvez arguer que nous avons tous le devoir de nous opposer aux erreurs et aux violences perpétrées par nos dirigeants, ceux d'hier comme ceux d'aujourd'hui. Loin d'être une démarche antipatriotique, bien au contraire, c'est une obligation à laquelle nous ne pouvons nous soustraire."

Ken Loach sur ses intentions : "La question irlandaise est un sujet guère attirant en Grande-Bretagne. Il faut croire que les gens n'ont pas envie d'en entendre parler. Pourtant, c'est une histoire exceptionnelle, dont on peut tirer des conclusions pour d'autres conflits. Je n'ai pas voulu faire un film anti-britannique mais un film critiquant la mauvaise gestion de la crise par le gouvernement de l'époque."

Ken Loach sur l'actualité des thèmes évoqués par le film : "La lutte pour l'indépendance d'un pays est devenu un thème récurrent du cinéma. C'est toujours le bon moment pour en parler, car il y a toujours des armées d'occupation quelque part, auxquelles des gens résistent. Et je n'ai pas besoin de préciser dans quel endroit la Grande-Bretagne a actuellement, et illégalement, une armée d'occupation."

Ken Loach sur la nature du film : "C'est une histoire de camaraderie et d'héroïsme dans un contexte tragique de guerre. Tout est à la fois très complexe et extrêmement simple. Il était important de revenir sur un aspect souvent méconnu de l'histoire de l'Irlande et les origines du conflit pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd'hui."

Paul Laverty (scénariste) sur l'histoire coloniale de la Grande-Bretagne : "C'est tout à fait fascinant de voir comment les empires réécrivent l'histoire. On oublie par exemple que Christophe Colomb, qui était un homme de grande ambition, a kidnappé et mutilé des milliers d'Indiens d'Amérique. Gordon Brown (le ministre britannique des Finances et dauphin annoncé de Tony Blair comme Premier ministre) a dit qu'il fallait cesser de présenter des excuses pour l'Empire. Mais nous devrions avoir pour objectif de revoir l'histoire coloniale britannique, de mettre en lumière ce qui a été commis comme atrocités en Inde ou au Kenya au nom de l'idée civilisatrice d'un empire."

Sur la violence présente dans le film : Ken Loach : "Lorsque vous poursuivez des idéaux de justice, de liberté, d'indépendance, et qu'en face de vous, il se trouve une force armée pour s'y opposer, vous ne pouvez avoir d'autre solution que la violence. Pour parvenir à un objectif de justice et d'équité, les personnages de Damien et Teddy sont contraints de passer par des phases de violence."

Paul Laverty : "Nous avons fait le choix de ne pas présenter la violence de manière romantique. Il fallait montrer la violence telle qu'elle a affecté la psychologie des gens."

Paul Laverty sur le rôle des femmes dans le film : "Ce qui est fantastique, c'est le rôle essentiel joué par les femmes. Elles soutenaient les volontaires, les aidaient à communiquer et à collecter des fonds. Après la ratification du traité de paix en 1921, elles ont vu leur rôle marginalisé."

Cillian Murphy (Damien O'Donovan ) déclare: "Je savais que c'était un film sur la guerre civile irlandaise, et le fait qu'il porte sur une période si passionnante à explorer comptait pour moi. Même si c'est une fiction, il s'agit d'événements qui ont vraiment eu lieu. Mon grand-père a été mêlé à l'histoire dont il est question dans le film. Un de ses cousins était un "flying column" et a été tué pendant cette guerre.
Ken Loach ne donne pas le scénario à ses acteurs, si bien que je ne savais rien des détails. Que vous adhériez ou non à ses convictions politiques, du seul point de vue de la performance, jouer pour Ken Loach est une expérience éminemment désirable.

Avec Ken Loach, tout est beaucoup plus petit. Il travaille toujours avec la même équipe, autour de laquelle il crée tout un environnement sécurisant. Même dans un film d'époque, il parvient à rendre les choses aussi proches que possible de la vraie vie. Rien ne vient vous perturber, vous jouissez d'un sentiment de grande sécurité.
Les tournages se font toujours de manière chronologique, ce qui suscite une grande sincérité de jeu. Le fait de ne pas avoir le scénario, par ailleurs, vous incite à réagir instinctivement. Les choses ne se diluent pas. Vous n'avez pas le loisir de les intellectualiser. Ça fait un peu peur, vous ne savez pas où
vous allez. Peut-être ne serez-vous pas sexy, mais vous serez vrai."

Distribution

  • Cillian Murphy : Damien O'Donovan
  • Padraic Delaney : Teddy O'Donovan
  • Liam Cunningham : Dan
  • Gerard Kearney : Donnacha
  • William Ruane : Gogan
  • Roger Allam : Sir John Hamilton
  • Frank Bourke : Leo
  • Fergus Burke : Theatre Goer
  • Antony Byrne : The Interrogator
  • John Crean : Chris
  • Máirtín de Cógáin : Sean
  • Orla Fitzgerald : Sinead
  • Myles Horgan : Rory
  • Bill Hurst : Major britannique
  • Damien Kearney : Finbar
  • Martin Lucey : Congo
  • Niall McCarthy : Extra
  • Sean McGinley : Prêtre
  • Seamus Moynihan : Policeman
  • Shane Nott : Ned
  • Aidan O'Hare : Steady Boy
  • Siobhan Mc Sweeney : Julia

Fiche technique

  • Titre original : The Wind that Shakes the Barley
  • Réalisateur : Ken Loach
  • Scénario : Paul Laverty
  • Producteurs : Ulrich Felsberg et Andrew Lowe
  • Production: Allemagne / Italie /Espagne / France / Irlande / GB
  • Musique originale : George Fenton
  • Image : Barry Ackroyd
  • Durée: 127 minutes
  • Dates de sortie : 18 Mai 2006 (France Cannes);
    23 juin 2006 (Royaume-uni);
    23 août 2006 (France, public)

Récompense : Palme d'Or du Festival de Cannes 2006.