Avalon (·····) film japonais (et polonais) réalisé par Mamoru Oshii, sorti en 2001.
Cette ambiance est accompagnée par la musique, alternativement symphonique et électronique. L'utilisation de chœurs et d'une cantatrice donne une belle puissance, d'un lyrisme un peu appuyé, au combat mené par les acteurs dans le film. Le reste de la musique originale est en parfaite symbiose avec l'ambiance assez désincarnée d'une partie du film, quelquefois presque arythmique de lenteur, sèche et métallique. L'héroïne est une guerrière sans émotion mais non sans sensibilité, comme le montre son seul échange avec un autre être vivant, la confection de la pâtée de son chien : elle lui cuisine un ragoût à base de viande, de légumes frais et de riz (aliments de luxe par rapport au niveau de vie) alors qu'elle même ne se nourrit que de céréales. Le Basset artésien normand apparaissait déjà dans le film d'animation Ghost in the Shell et était également associé à un personnage célibataire. Ce chien au regard triste, personnage récurrent des films de l'auteur, représente probablement ici la solitude urbaine mais aussi le contact avec le « réel », lien fragile qui finit par se briser lorsque le chien disparaît sans explication. La plupart des gens restent figés, immobiles, lorsqu'ils n'ont pas une tâche spécifique à accomplir. L'ambiance sépia accentue le sentiment de voyage dans un monde étrange. Dans le domaine du cyberpunk, ce film minimaliste (avec peu d'effets spéciaux) est plutôt à classer du côté de films comme eXistenZ de David Cronenberg ou d'Eraserhead (1977) de David Lynch un film suscitant une réflexion sur l'évolution de la société plus qu'un film à grand spectacle. Le thème de ce film serait la perception de la réalité, la frontière avec le virtuel. En effet, tel un joueur de jeu vidéo (parfaitement capable de distinguer le réel du virtuel), il arrive que le spectateur ressente plus de sentiments de vie à l'intérieur du mode virtuel (passage en mode couleur dans le film, avec des personnages plus vivants que ce qui est ressentis dans la réalité, c'est-à-dire la première partie) L'univers du film d'Oshii est un univers crépusculaire, qui, d'un point de vue strictement esthétique, évoque une combinaison de Jean-Pierre Jeunet, Terry Gilliam et Enki Bilal, avec lesquels il partage cette approche toute en froideur d'un monde à la fois vieillot et post-apocalyptique. C'est dans ce monde en suspend, sombre, sans espoirs et surtout, ce qui est le plus frappant, totalement inerte, qu'une partie de la population cherche le mouvement, l'action dans un wargame virtuel interdit nommé Avalon. La plupart des joueurs ne sortent pas indemnes de ce jeu et des images inquiétantes nous montrent les "non-revenus", ces malheureux, dont les corps ne sont plus que des enveloppes vides, privées de leur esprit qui est resté prisonnier du jeu. Ce n'est pas le cas d'Ash, l'héroïne, joueuse implacable, admirée et crainte, pour qui dextérité au jeu est source de revenus. Ancienne équipière d'un groupe de joueurs réputé invincible, les Wizards, elle a préféré continuer en solo, et part en quête d'un mystérieux niveau caché, promesse de puissance, de maîtrise, et surtout d'horizons moins médiocres que son environnement figé. Ce film, s'il n'apparaît pas comme une révolution, constitue cependant une innovation certaine en matière de films d'anticipation et il est indéniable que la qualité des effets spéciaux et les choix esthétiques de Mamoru Oshii y sont pour beaucoup. Bilal est décidément très présent à l'esprit, et ce n'est pas anodin, pour deux bonnes raisons : Oshii est un dessinateur comme Bilal et l'univers d'Avalon, même s'il nous est présenté avec de vrais acteurs, semble toujours porter la marque d'un graphiste. Enfin, le film a été entièrement tourné en Pologne avec des acteurs slaves, et le film est décidément, comme une B.D. de Bilal (originaire de l'Europe de l'Est) traversé de désillusion, empesé de totalitarisme post-apocalyptique (typiquement slave ?). Alors, que reste-t-il de japonais dans ce film tourné et joué en polonais ? De Yasujiro-Ozu à Takeshi Kitano, on sait que la société japonaise a mal vécu l'individualisme, valeur occidentale brutalement importée avec la tutelle américaine après la seconde guerre mondiale. Il est frappant ici encore de voir à quel point le japonais oscille entre approbation de la prise de liberté individuelle (Ash est une joueuse hors pair depuis qu'elle s'est affranchie) et constat alarmiste et désespéré de la solitude noire à laquelle mène cet individualisme. Une pléthore de films japonais nous ont déjà dépeint cette solitude étouffante de manière remarquable, Kaïro de Kiyoshi Kurosawa en est un exemple fabuleux, Oshii nous en apporte ici le constat le plus désespéré, renforcé par un choix esthétique qui ne laisse entrevoir aucune éclaircie possible, aucun espoir. Ainsi Ash est affranchie, libre jusqu'à un certain point, mais un passage presque sirupeux du film nous la montre en train de cuisiner un plat gastronomique pour son chien qui finalement n'est plus là. Voudrait-elle trouver une présence dans les livres ? Les pages sont blanches. Triste constat d'une solitude implacable. Dans le même temps, Stunner, ancien équipier d'Ash, entretient une nostalgie de l'âge d'or des Wizards, et introduit par là même le regret d'une époque ou l'individu pouvait se rattacher à un groupe, y trouver une raison de vivre, de mourir, une éthique. L'individualisme a-t-il tué l'Humanité ? C'est vraiment la question de fond que semble poser ce film et il n'est donc pas anodin que le thème principal soit le jeu vidéo, tant il symbolise l'enfermement (les cabines de jeu) et le repli sur soi-même. Enfin, et c'est une des séquences les plus frappantes du film, les personnages secondaires ne sont jamais aussi vivants que dans le mode "réel" de jeu, filmé, paradoxalement, de façon plus réaliste que ce qui est la vraie vie du film. Dans ce mode "réel", les personnages ont "leurs propres réactions, un comportement autonome" prévient Bishop, mais on ne les voit qu'en groupes, se rendant à l'opéra, discutant en assemblées dans le hall, formant la masse du public, pourtant chacun a un visage que l'on peut scruter, et qui est traversé d'expressions. Tandis que dans la vraie vie du film, les personnages secondaires ne sont qu'ombres figées ( notamment dans le tramway, et dans l'embrasure d'une fenêtre chez Ash), jamais on ne discerne leurs visages. C'est là toute la force du film : parvenir à faire passer, non pas ce message ( car cela impliquerait qu'Oshii dénonce consciemment l'individualisme), mais plutôt cette angoisse toute japonaise, à la seule force d'une esthétique novatrice. À cet égard Avalon est un poème désespéré en forme de réflexion métaphysique sur la liberté individuelle et sur le nihilisme qui guette toute quête de liberté qui oublierait d'avoir un but. Par là même, le film est une preuve que le cinéma japonais n'est plus identifiable seulement par une esthétique mais aussi par des thèmes profonds qui le parcourent de Akira Kurosawa à Kitano en passant par Tsukamoto (Bullet Ballet) et Oshii. | |||
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Fiche technique
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