Les Amants diaboliques (Ossessione) , film italien de Luchino Visconti, sorti en 1943

Les Amants diaboliques (Ossessione) est un film italien réalisé par Luchino Visconti, sorti en 1943. Le roman de James Caïn a été transposé en Italie.

Sur la route nationale qui longe le Pô, vers Ferrare, un café-garage-station-essence. Arrive un jour Gino, chômeur et vagabond, que le patron, Bragana, d'abord méfiant, prend en amitié lorsqu'il constate que Gino est un excellent mécanicien. Très vite, ce dernier devient l'amant de la femme de Bragana, Giovanna, et lui propose de l'emmener avec lui. Une demi-heure après leur départ elle l'abandonne et revient tandis qu'il continue avec un forain, l'Espagnol. qui lui paie sa place de train.

Quelques semaines plus tard, lors d'une foire, ils se retrouvent tous les trois et le mari insiste pour que Gino revienne. Pendant le voyage, les amants tuent le mari et simulent un accident de voiture. Mais le meurtre les sépare; Gino voudrait quitter le pays, Gina refuse. Les scènes se succèdent : il comprend, à sa joie lorsqu'elle va toucher l'argent de l'assurance, qu'elle l'a manœuvré. Excédé, il part avec une fille. S'apercevant que la maison est surveillée, il réussit enfin à la décider à fuir, après avoir cru qu'elle l'avait dénoncé. Mais la voiture dérape, quitte la route et Giovanna est tuée.

A l'intérieur du mouvement néoréaliste, le film représente un début paradoxal et très insolite. En effet, il n'a rien en commun avec les autres films fondateurs du mouvement (Le voleur de bicyclette, Rome ville ouverte, Païsa) qui, en dépeignant des ruines et malgré leur fin tragique, sont animés par un esprit de renouveau moral. C'est en tant qu'œuvre de rupture qu'Ossessione inaugure le néoréalisme.

L'audace de son sujet, l'importance donnée au back-ground social des personnages mais aussi et surtout à leurs élans et à leurs frustrations physiques, le pessimisme, la noirceur et la froideur du ton sont en opposition radicale avec le cinéma environnant des années fascistes. Visconti s'est d'ailleurs étonné que le film ait pu franchir, pendant sa préparation et son tournage, les barrières de la pré-censure.
Une fois distribué, il connut une carrière erratique et limitée, à la merci des diverses censures locales.

Interdit par le régime, puis autorisé sur intervention personnelle de Mussolini, ce film fut mis au rancart à la Libération de l'Italie pour une affaire de droits car les Américains, de leur côté, venaient de porter le livre à l'écran: réalisation de Tay Garnett avec Barbara Stanwick (1946).

Son métrage de plus de deux heures se prêtait d'autant mieux à être amputé qu'il était très supérieur à la moyenne. Sur le plan esthétique, ce premier long métrage de Visconti est déjà une oeuvre accomplie et d'une grande maturité qui utilise largement et sans aucun formalisme la profondeur de champ, les plans longs, proches du plan séquence, les mouvements d'appareils savants et complexes.

Malgré sa longueur d'ensemble et celle de certaines séquences en particulier, le film laisse une impression globale de laconisme, de réserve, de sécheresse, qui l'a empêché de vieillir. Le film doit beaucoup à Toni et à La Bête humaine de Jean Renoir dont Visconti a été l'assistant pour le climat tragique et oppressant qui pèse sur les personnages, pour l'intégration des paysages à l'action, pour la sobre et efficace élégance des cadrages


Déclarations de Visconti à la sortie du film: (extraits)

" Qu'est-ce qui m'a amené à une activité créatrice au cinéma? (Activité créatrice: œuvre d'un homme vivant parmi les hommes.) Non pas l'appel impérieux d'une prétendue vocation, concept romantique éloigné de notre réalité actuelle, terme abstrait, forgé à l'usage des artistes pour opposer leur activité privilégiée à celle des autres hommes. Car la vocation n'existe pas, ce qui existe c'est la conscience de sa propre expérience, le déroulement dialectique de la vie d'un homme au contact des autres hommes.
Aussi, je pense que c'est seulement au travers d'une expérience vécue, stimulée quotidiennement par l'étude fervente et objective des faits humains, qu'on peut atteindre à la spécialisation. Mais y atteindre ne veut pas dire s'y enfermer, en rompant tout lien social concret, comme cela arrive à beaucoup d'artistes, au point que la spécialisation finit souvent par servir à de coupables évasions de la réalité et pour parler crûment: par se transformer en une lâche abstention. Je ne veux pas dire que tout travail est un travail particulier et dans un certain sens un "métier". Mais il ne sera valable que s'il est le produit de multiples témoignages de vie, s'il est une manifestation de vie.

Le cinéma m'a attiré parce qu'en lui se rejoignent et se coordonnent les élans et les exigences de beaucoup, tendus vers un meilleur travail d'ensemble. Il est clair que la responsabilité humaine du metteur en scène en est rendue extraordinairement intense mais, à condition qu'il ne soit pas corrompu par une vision décadente du monde, c'est cette responsabilité même qui l'orientera sur la voie la plus juste.
Ce qui m'a surtout conduit au cinéma, c'est le devoir de raconter des histoires d'hommes vivants: des hommes qui vivent parmi les choses et non pas les choses pour elles-mêmes. Le cinéma qui m'intéresse est un cinéma anthropomorphique.
De toutes les tâches qui m'incombent en tant que réalisateur celle qui me passionne le plus est donc le travail sur les acteurs; matériel humain avec lequel on construit ces hommes nouveaux qui engendrent la nouvelle réalité qu'ils sont appelés à vivre, la réalité de l'art. Parce que l'acteur est avant tout un homme. Il possède les qualités humaines clefs.

Jusqu'à aujourd'hui le cinéma italien a plutôt subi les acteurs, en les laissant libres de pousser à l'excès leurs défauts et leur vanité: alors que le vrai problème est de se servir de ce que leur nature recèle de concret et d'original. C'est pourquoi il est dans une certaine mesure important que les acteurs dits professionnels se présentent au metteur en scène avec la déformation que leur a value une expérience personnelle plus ou moins longue, qui les classe en types schématiques engendrés plus, en général, par des superpositions artificielles que par leur nature intime.
Même si très souvent c'est une pénible tâche que de retrouver le nœud d'une personnalité dénaturée, c'est une tâche qui vaut du moins la peine d'être entreprise: simplement parce qu'au fond un être humain est toujours libérable et rééducable. En s'écartant fermement des schémas antérieurs, de tout souvenir de méthode et d'école, on cherche à amener l'acteur à parler finalement un langage instinctif .

L'expérience m'a surtout appris que le poids de l'être humain, sa "présence", est la seule "chose" qui remplisse vraiment l'écran, que l'ambiance est créée par lui, par sa vivante présence, et que c'est par les passions qui l'agitent qu'elle acquiert vérité et relief . Au point même que son absence momentanée du rectangle lumineux ramènera tout à une apparence de nature morte.
Le geste le plus humble de l'homme, son pas, ses hésitations et ses impulsions, donnent à eux seuls poésie et vibration aux choses qui l'entourent et au milieu desquelles ils se situent. Toute autre solution du problème me paraîtra toujours un attentat à la réalité telle qu'elle s'offre à nos yeux: faite par les hommes et continuellement modifiée par eux. Le propos est à peine esquissé, mais fixant mon attitude sans équivoque, je voudrais conclure en disant (comme j'aime souvent à le répéter): je pourrais faire un film devant un mur si je savais retrouver les données de la véritable humanité des hommes placés devant un élément de décor nu: les retrouver et les raconter."

Le roman Le Facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain (1892-1977), célèbre auteur américain, reconnu comme un des maîtres du roman noir a inspiré de nombreuses adaptations au cinéma. En raison du Code Hays, de censure états-unienne, les deux premières adaptations ont été tournées en Europe.

Ce premier film de Luchino Visconti est communément considéré comme le premier film du courant néoréaliste.
C'est la deuxième adaptation du roman de James Cain : Le facteur sonne toujours deux fois, mais Visconti, qui n'en possédait pas les droits d'adaptation a dû changer le titre et ne l'a pas mentionné au générique.
Le film fut censuré par les autorités fascistes qui exigèrent la destruction des négatifs, mais Visconti réussit à en sauvegarder un exemplaire.

  • Le Dernier tournant (1939), de Pierre Chenal, avec notamment Michel Simon (dans le rôle de Nick).
  • Ossessione (Les Amants diaboliques, 1943), de Luchino Visconti; le présent film
  • The Postman always rings twice, de Tay Garnett en 1946.
  • The Postman always rings twice ( 1981), de Bob Rafelson
  • Szenvedély (Passion, 1998), de György Fehér, film hongrois de 155 min en noir et blanc.

Distribution

  • Clara Calamai : Giovanna Bragana
  • Massimo Girotti : Gino Costa
  • Dhia Cristiani : Anita
  • Elio Marcuzzo : l'Espagnol
  • Vittorio Duse : le policier
  • Michele Riccardini : Don Remigio
  • Juan de Landa : Giuseppe Bragana

Fiche technique

  • Titre : Les Amants diaboliques
  • Titre original : Ossessione (littéralement : Obsessions)
  • Réalisation : Luchino Visconti, assisté de Giuseppe De Santis et Antonio Pietrangeli
  • Scénario : Luchino Visconti, Mario Alicata, Giuseppe De Santis, d'après le roman de James M. Cain : Le facteur sonne toujours deux fois
  • Production : Industrie Cinematografiche Italiane
  • Musique originale: Giuseppe Rosati
  • Musique additionnelle: Georges Bizet (Carmen), et Giuseppe Verdi (la Traviata et Rigoletto)
  • Photographie : Domenico Scala, Aldo Tonti
  • Montage : Mario Serandrei
  • Pays d'origine : Italie
  • Format : Noir et blanc
  • Durée : 140 minutes (2 h 20)
  • Date de sortie : 16 mai 1943 (première à Rome)