Broken Flowers, film américain de Jim Jarmusch

Broken Flowers est un film américain réalisé par Jim Jarmusch, sorti le 17 mai 2005.

Célibataire endurci, Don Johnston (allusion claire à Don Juan) vient d'être quitté par sa dernière conquête, Sherry . Il se résigne une fois de plus à vivre seul. Ce départ est somme toute logique. Rien ne sert de vouloir la retenir. L'envie même en fait défaut, comme celle de la remplacer. « There is an end », dit la chanson inaugurale. Le film s'ouvre sur la possibilité d'un vide abyssal, d'un calme effrayant, d'un silence de plomb. Plus aucun souffle ne semble parcourir le vaste salon de Don , le quinquagénaire abandonné en survêtement de marque. Voilà une face cachée du rêve américain plutôt rare à l'écran : la prostration du nouveau retraité de l'informatique, très riche, célibataire et sans enfants, avec encore quelques décennies d'espérance de vie.

Mais l'arrivée d'une mystérieuse lettre rose et anonyme le contraint à revenir sur son passé. Une de ses anciennes amantes l'informe qu'il a un fils de dix-neuf ans, et que celui-ci est peut-être parti à sa recherche.

Le meilleur ami de Don, Winston , père de famille et détective amateur, le pousse à enquêter sur ce "mystère". Malgré son peu de goût pour les voyages, Don s'embarque dans un périple à la recherche de preuves, retrouvant quatre de ses anciennes amours, et la tombe d'une cinquième, décédée.
Mais les indices sont minces car on sait juste que la rédactrice de la lettre possède une vieille machine à écrire et aime le rose.

Ses visites surprises à ces femmes uniques le confrontent à son passé, et, du même coup, à son présent.

Après l'allégorie, l'abstraction (Dead Man), mais aussi les dispositifs formels (Mystery Train), les coups de feu, les vies extrêmes et sublimées, hors la loi (Ghost Dog), Jim Jarmusch nous parle aujourd'hui de l'existence telle qu'elle s'écoule et s'étire sur le sofa d'un pavillon de banlieue, et il y a quelque chose de touchant dans cette reconfiguration du monde aux proportions du quotidien. Comme un aveu de simple mortalité, une épreuve de vérité.

La tournée des ex- nous donne le spectacle rare de voir, sans aucune complaisance, des actrices emblématiques, chacune porteuse d'images, d'histoires, de mémoire cinéphile : Jessica Lange, star des années 80, Sharon Stone, star de la décennie suivante, Frances Conroy, vedette de la série culte Six feet under, l'Anglaise Tilda Swinton, discrète égérie du cinéma indépendant de part et d'autre de l'Atlantique.

Bill Murray est aujourd'hui un soliste tellement au point qu'il faut au moins une femme en face de lui pour le soustraire à son one-man-show minimaliste et dépressif, rodé dans Lost in translation. Dans sa confrontation avec les figures féminines, il se transforme miraculeusement à vue, et peut alors refléter l'expression de telle interlocutrice sur son propre visage, y compris le sourire d'une fleuriste en fleur ou celui d'une Lolita dévêtue, tout juste en âge de lui faire ressentir le poids du sien.

Parmi les anciennes amantes de Don, seule Sharon Stone joue sur l'émotion et la profondeur, en « organisatrice d'armoires » radieuse dans son malheur et avide de tendresse.
Mais avec Frances Conroy, femme d'affaires pétrifiée dans le confort de sa maison nouveau riche et dans ses habitudes conjugales, puis Jessica Lange, éminent docteur en communication avec les animaux et un peu lesbienne, ce qui est perdu en épaisseur humaine est gagné en burlesque.
Une drôlerie souvent irrésistible s'insinue dans ces retrouvailles-là, née d'un décalage provoqué par l'évolution imprévisible de chacune, et du non-dit qui embrume la conversation car Don ne dit pas explicitement qu'il cherche son fils, sauf avec Penny et encore cela provoque un drame.

Cette drôlerie tient aussi à une science du détail efficace, à l'observation minitieuse des travars de la Upper-middle-class américaine et à la méticulosité du découpage et des cadrages. Broken Flowers est un film charmeur mais précis, charmeur parce que très précis.
Sans l'humour, le voyage de Don serait probablement d'une amertume effrayante.

Jarmusch filme une Amérique cloisonnée, où chacun et chacune s'isolent en sa bulle (activité, maison, croyances) dans l'ignorance du monde alentour. Des liens qui ont pu exister entre Don et ses femmes, rien ne semble subsister. C'est chaque fois la découverte d'une distance incommensurable, le sentiment de ne retrouver l'autre que sous une forme dévoyée ou caricaturale, le temps d'un échange dont même la nostalgie est bannie. Il n'y a guère qu'au cimetière, où est enterrée la cinquième maîtresse « retrouvée », que Don semble reconnaître le visage du passé.

Entre l'invitation à en rire et la possibilité de s'en affliger, Jarmusch ne choisit pas à notre place. C'est un talent qu'il a toujours eu : ne jamais imposer un sens.Les plans de coupe sont particulièrement beaux, ni tristes ni gais, où l'on voit Bill Murray seul au volant dans un paysage lui aussi intermédiaire, presque abstrait, entre banlieue désertique et nid à autoroutes ainsi que les scènes d'aéroport ou d'avion, où le temps d'un rève, il fait le bilan de ses rencontres.
Ou encore les scènes où il se réveille hagard, dans une chambre de motel, à l'aube d'une nouvelle visite, toute l'absurdité de son programme paraissant alors lui éclater à la conscience. On a dit qu'il cherchait la trace d'un éventuel enfant de lui. Sa quête pouvait ressembler à un prétexte. Mais non, et le film finit par s'attacher vraiment à cette question sans doute chère à Jarmusch.

D'une certaine façon, Broken Flowers ne raconte que ceci : comment un homme fait le deuil d'une obsession, à la fois dérisoire et vitale, au profit d'une autre. Et comment, de celui qui voyait tout le temps des amantes potentielles, il devient celui qui voit partout des fils en puissance.


Le film est dédié à Jean Eustache, Jim Jarmush déclare:

J'ai plusieurs raisons pour cette dédicace. A un certain point, Eustache a été une influence, même si elle n'a pas été directe.
D'abord, "La Maman et la Putain
" est un des plus beaux films sur l'incompréhension entre les hommes et les femmes, et il est question de cela dans notre film. Mais au niveau du scénario, le lien reste relativement éloigné.
Et au niveau du style, notre film n'est pas du tout comme ceux d'Eustache. Eustache a été une inspiration dans la mesure où j'écris dans la région des monts Catskill, en pleine forêt, et dans la petite pièce où je travaille, j'ai une photo juste à côté de ma table. C'est une photo de Jean Eustache sur le tournage de "La Maman et la Putain", la photo publiée dans le New York Times avec sa nécrologie, en 1981.
Il veillait donc toujours un peu sur moi.

J'ai écrit ce scénario très vite, et il était toujours là quand j'étais bloqué ou quand je perdais courage. C'était important pour moi, cette photo de lui toujours présente. L'autre raison, c'est que l'esprit dans lequel il faisait des films était absolument sincère et honnête vis-à-vis de sa conception du cinéma. "La Maman et la Putain" dure trois heures et demie, c'est un grand film français.
Il y a quelque chose chez lui que j'aimerais garder : faire un film comme on l'a choisi, en accord avec soi-même, sans se préoccuper du marché ou des attentes de qui que ce soit, dans la volonté toute simple d'exprimer quelque chose avec ses moyens propres. C'est très important pour moi. Je me suis d'abord dit, bon, c'est peut-être prétentieux de lui dédier mon film…
Mais vous savez, je crois que si trois jeunes spectateurs quelque part au Japon, ou en Hongrie, ou dans le Kansas, n'importe où, voyaient le film sans jamais avoir entendu parler de Jean Eustache et que cela pouvait leur faire connaître son oeuvre (il a fait très peu de films, quatre seulement), alors je me dirais, OK, ça valait le coup. Ça me suffirait pour me rendre heureux.


Sharon Stone


Frances Conroy



Jessica Lange


Tilda Swinton

Crédit photo David Lee@ 2004 Dead Flowers Inc.


Le film suggère que toute rencontre avec telle ou telle personne peut, éventuellement, devenir capitale. Des gens se croisent, et c'est tout un monde de pistes possibles qui s'ouvre à eux. Particulièrement dans ce film, où Don part à la recherche de toutes ces femmes. Jim Jarmush déclare:

Si on retrouve cette idée dans mes autres films, j'imagine que c'est parce que c'est un aspect particulièrement précieux de l'existence. Ce sont le hasard, la chance, les coïncidences qui guident notre vie. On peut toujours vouloir organiser les choses autant que l'on veut, ce qu'il y a de plus beau et de plus profond dans la vie n'est pas rationnel mais émotionnel, ce sont les rencontres que l'on fait. Et ces choses-là sont très mystérieuses. Elles ajoutent selon moi à la trame de la vie.

J'ai toujours essayé de faire des films qui ne se cantonnent pas à la structure ou à l'organisation d'un genre. Dead Man utilisait le western comme toile de fond, Ghost Dog évoque plusieurs genres cinématographiques mais j'espère qu'il ne dépend d'aucun. Tout comme ce film qui n'est, pour moi, ni une comédie romantique, ni une histoire tragique ou déprimante. J'espère qu'il n'appartient à aucune catégorie.
J'aime tourner des scènes où l'on ne peut pas savoir ce qui va arriver, où rien n'obéit à une formule. C'est un peu comme la théorie du chaos : rien n'arrive de manière rationnelle, tout est beaucoup plus une question d'émotion, de hasard, ou de molécules qui se déplacent dans l'univers bien au-delà de notre volont.
Vous pouvez croiser n'importe qui à n'importe quel moment de votre vie et vous ne saurez pas précisément ce qui va se produire.
Si vous savez exactement ce qui va se passer, ce n'est pas très intéressant.Vous passez votre chemin sans que cela vous touche vraiment.

Ça ne m'intéresse pas de faire la morale ou la leçon à qui que ce soit.
Je ne veux pas tirer le rideau à la fin du film et que tout se retrouve bien en place. Je souhaite que le personnage de Don reste à l'esprit des spectateurs pendant le générique de fin, je veux qu'il reste bien vivant dans leur mémoire. Les récits de fiction sont une distraction pour le public. C'est un moyen pour lui d'entrer dans un autre monde et d'observer des personnages se débattre dans ce monde et dans leurs relations entre eux.

Quand quelqu'un demande à Don : "Tu aurais un conseil d'ordre philosophique", sa première réaction est de répondre : "C'est à moi que tu demandes ça ?"
Et puis il va dire la seule chose qu'il a apprise, qui est je crois la seule chose qu'on puisse apprendre en termes de philosophie : "Le passé est révolu, l'avenir n'est pas encore là, d'ailleurs je n'ai aucune influence sur lui, alors j'imagine que tout ce qui compte est juste là."
Pour moi, si vous arrivez à vivre selon ça, alors vous êtes un putain de maître zen !
La chose la plus élevée à laquelle je puisse aspirer c'est, à n'importe quel moment donné, d'être présent, dans l'instant. Super facile à dire ; super difficile à faire.

J'ai le sentiment que, d'une certaine manière, le film parle de désir, d'attente. Je ne sais pas d'où cela est venu. D'attendre qu'advienne quelque chose qui vous manque, sans pour autant être capable de nommer ce qui vous manque tant.
Je ne veux pas que le public se sente déprimé ou malheureux à la fin. Je ne veux pas non plus qu'il trouve que c'est juste un petit truc romantique à consommer avant d'aller commander une pizza. J'aimerais que les spectateurs trimballent ce moment-là pendant un petit bout de temps.


 

Distribution

  • Bill Murray : Don Johnston
  • Jeffrey Wright : Winston
  • Sharon Stone : Laura Miller
  • Frances Conroy : Dora
  • Jessica Lange : Carmen
  • Tilda Swinton : Penny
  • Julie Delpy : Sherry
  • Chloë Sevigny : l'assistante de Carmen
  • Chris Bauer : Dan
  • Alexis Dziena : Lolita
  • Christopher McDonald : Ron
  • Larry Fessenden : Will
  • Pell James : Sun Green
  • Heather Simms : Mona
  • Brea Frazier : Rita
  • Suzanne Hevner : Mme Dorston

Fiche technique

  • Titre : Broken Flowers
  • Réalisation : Jim Jarmusch
  • Scénario : Jim Jarmusch ; d'après une idée originale de Bill Raden et Sara Driver
  • Production : Jim Jarmusch, Jon Kilik et Stacey E. Smith
  • Musique : Mulatu Astatke
  • Photographie : Frederick Elmes
  • Montage : Jay Rabinowitz
  • Pays d'origine : États-Unis
  • Genre : Comédie nostalgique
  • Durée : 106 minutes
  • Dates de sortie : 17 mai 2005 (festival de Cannes 2005
    5 août 2005 (États-Unis),
    7 septembre 2005 (France)

Récompense : Grand Prix du Jury du festival de Cannes 2005.


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