Djerba, parfois orthographiée Jerba (arabe : جربة), est
une île de 514 km2 (25 kilomètres sur 20 et 150 kilomètres de côtes) située
au sud-est du golfe de Gabès et barrant l’entrée du golfe de Boughrara,
au sud-est de la Tunisie.
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Dès l’Antiquité, les historiens mentionnent Djerba qu’ils identifient à la première île où, dans l’Odyssée, Homère fait échouer Ulysse et ses compagnons, égarés en mer de retour de la guerre de Troie (vers 1185 av. J.-C.) ; pour avoir goûté au lotus, « fruit doux comme le miel qui plonge tous ceux qui en dégustent dans les délices d’un bienheureux oubli qui efface tous les soucis de l’existence », Ulysse, « que ce fruit miraculeux aurait plongé dans une heureuse amnésie », a peine à quitter l’île des Lotophages (mangeurs de lotus). Ce lotus n'est pas le lotus d'eau (Nymphea lotus) que l'on désigne habituellement par ce terme. Les historiens proposent plusieurs alternatives, mais la plus probable est une plante endémique qui pousse sur la côte, depuis la Tunisie jusqu'au Maroc, sous le nom de lôtos ; elle était connue des « Éthiopiens Troglodytes » dont parle Hérodote ; c'est le jujubier sauvage, Zizyphus lotus, arbuste des pays arides dont le fruit ressemble à une baie au goût de datte : « Les Lotophages en font aussi du vin », écrit Hérodote. En Tunisie cette plante est connue aujourd'hui sous le nom de sedra. La pharmacologie moderne a défini comme principes actifs de ce « lotus » deux alcaloïdes, les lotusines A(1) et D(2)4 aux propriétés narcotiques. Il y 40 siècles, le territoire de l’actuelle Tunisie est peuplé de Berbères au mode de vie néolithique. Drs migrations entre la mer Égée et le golfe des Syrtes, où se trouve Djerba, ont lieu au cours du IIe millénaire av. J.-C.. Avant même la fondation de Carthage, au IXe siècle av. J.-C., des Phéniciens de Tyr auraient implanté plusieurs comptoirs le long de la côte de la Libye et de la Tunisie actuelles jusqu’à Utique. Djerba en fit sans doute partie. Le Périple du Pseudo-Scylax, qui remonte approximativement au milieu du IVe siècle av. J.-C., donne sur l’île les indications les plus anciennes, exception faite de celles d’Homère : « On y fait beaucoup d’huile, qu’on tire de l’olivier sauvage ; l’île produit d’ailleurs beaucoup de fruits, de blé, d’orge, la terre est fertile. » La tradition locale, dans sa version la plus courante, rapporte que les premiers Juifs se seraient installés à Djerba après la destruction par l’empereur Nabuchodonosor II, en 586 av. J.-C., du Temple de Salomon, dont une porte aurait été incorporée dans la synagogue de la Ghriba. Les Carthaginois fondent plusieurs comptoirs, le plus important étant Meninx, sur la côte sud-est de l’île, qu’ils transforment en haut lieu d’échanges du bassin méditerranéen, y aménageant des ports pour leurs embarcations et l’utilisant comme escale dans leurs parcours de la Méditerranée. Outre la culture de l’olivier, l’île carthaginoise abrite plusieurs ateliers de poterie, plusieurs pêcheries, et développe la teinture de pourpre à base de murex, qui fait la renommée de l’île. Les premiers contacts de l’île avec les Romains ont lieu lors de la Première Guerre punique, au cours d’opérations que ceux-ci mènent contre Carthage. La première, véritable expédition navale commandée par Cnaeus Servilius Caepio et Caius Sempronius Blaesus, est envoyée à Djerba en 253 av. J.-C.. Une deuxième, commandée par le consul Cnaeus Servilius Geminus, est lancée en 217 av. J.-C., durant la Deuxième Guerre punique. Cependant, ce n’est qu’en l’an 6 ap. J.–C., que débute la colonisation directe dans la zone syrtique . On sait que l’île compte alors deux villes : Meninx et Thoar. L'lle abrite par la suite trois centres urbains principaux. L’un d’entre eux, dont le nom moderne est Henchir Bourgou, a été découvert à proximité de Midoun, au centre de l’île. Un deuxième centre, sur la côte sud-est, est un site de production de colorants à base de murex, cité par Pline l’Ancien comme occupant le second rang dans ce domaine derrière la cité de Tyr : de substantielles quantités de marbre coloré découvertes sur place témoignent de sa richesse. Le troisième centre important, probablement l’ancienne Haribus, se trouve sur la côte méridionale à proximité du village de Guellala. Deux empereurs romains, Trébonien Galle et son fils Volusien, sont natifs de Djerba. Au milieu du IIIe siècle, une basilique est construite dans ce qui est alors l’évêché de Girba. Après les Romains, Djerba est envahie par les Vandales, puis par les Byzantins. C’est en 665 qu’elle tombe aux mains des Arabes dirigés par Ruwayfa ibn Thâbit Al Ansari, un compagnon du prophète Mahomet, pendant la campagne de Byzacène commandée par Muawiya Ben Hudaydj. L’île est alors le témoin de luttes entre factions musulmanes et se rallie finalement au parti des kharidjites. Au XIe siècle, l’île devient indépendante à la suite de l’invasion de l’Ifriqiya par les Hilaliens venus d’Égypte et se spécialise dans la piraterie. C’est à la même époque que la présence d’une communauté juive y est historiquement attestée pour la première fois par une lettre de commerce provenant de la Guenizah du Caire. Djerba a vu ensuite se succéder Normands de Sicile, Aragonais, Espagnols et Ottomans durant quatre siècles. Pendant le Moyen Âge, ce sont d’abord les chrétiens de Sicile et d’Aragon qui disputent à plusieurs reprises leur possession aux kharidjites ibadites djerbiens. De cette période subsistent de nombreuses petites mosquées (certaines souterraines) dont les premières datent du XIIe siècle, ainsi que deux forts imposants. En 1480, les Djerbiens se révoltent contre le sultan hafside Abû `Umar `Uthmân et prennent le contrôle de la chaussée romaine qui relie l’île au continent. Les luttes internes entre Wahbiya et Nakkara, deux factions des ibadites, qui dominent respectivement le Nord-Ouest et le Sud-Est de Djerba, n’arrêtent cependant pas le progrès économique de l’île. Les habitants paient alors un tribut au souverain mais restent indépendants. Pendant l’époque ziride, des tribus arabes nomades envahissent la Tunisie mais Djerba échappe à leur contrôle. Vers 1500, Djerba passe sous influence ottomane : le corsaire ottoman Arudj Barberousse obtient du souverain hafside le contrôle de l’île, qui devient la base de la dizaine de navires de son escadre. Djerba est finalement placée sous souveraineté espagnole, de 1520 à 1524 et de 1551 à 1560, mais sans occupation durable. Elle redevient une base temporaire pour Khayr ad-Din Barberousse et, de 1524 à 1551, l’une des principales bases des corsaires ottomans et nord-africains conduits par l’amiral Dragut. Une flotte européenne, principalement composée de navires espagnols, napolitains, siciliens et maltais, sous la direction de Juan Luis de la Cerda, duc de Medinaceli, occupe à son tour l’île en 1560 pour l’aménager en base d’opération contre Tripoli. C’est dans ce contexte de rivalité pour le contrôle de la Méditerranée qu’une bataille navale oppose au large de l’île, du 9 au 14 mai 1560, cette flotte à la flotte ottomane menée par Piyale Pacha et Dragut. Les Ottomans coulent trente navires chrétiens et font 5 000 prisonniers le 15 mai ; la petite garnison chrétienne de Djerba est exterminée après une farouche défense et ses ossements amoncelés en une pyramide, la Tour des crânes, qui subsiste jusqu’en 1846. Pendant le XVIe siècle et le début du XVIIe siècle, elle dépend alternativement des gouverneurs d’Alger, de Tripoli ou de Tunis. Son annexion à la Tunisie se concrétise par un accord conclu en 1614. À partir de 1705 et l’établissement de la dynastie des Husseinites, le bey de Tunis y est représenté par un cheikh et des caïds recrutés au sein des familles locales les plus influentes. Après les Senumeni, au XVIe siècle, la plus importante d’entre elles est celle des Bel Djelloud. De la seconde moitié du XVIIe siècle aux XVIIIe et XIXe siècles, la famille dominante est celle des Ben Ayed. À partir du XVIIIe siècle, le malékisme se répand sur l’île aux côtés de l’ibadisme tandis que la langue berbère perd peu à peu du terrain face à l’arabe. Durant ce même siècle on assiste à des incursions de la part des nomades Ouerghemma et Accaras provenant de la région de la Djeffara. En 1846, Ahmed Ier Bey interdit l’esclavage : l’acte affecte l’économie de l’île qui est alors, avec Gabès, l’un des principaux centres tunisiens du commerce des esclaves alimenté par les caravanes venues des oasis de Ghadamès et de Ghat. Ce trafic se déplace par la suite vers Tripoli. Djerba reste sous domination ottomane jusqu’en 1881, date à laquelle la Tunisie passe sous protectorat français à la suite du bombardement de l’île et de son occupation militaire . En 1956, la Tunisie accède à l’indépendance et Djerba devient une délégation dépendant du gouvernorat de Médenine. Djerba a beaucoup changé depuis les années 1960 : zone hôtelière, extension de l’aéroport et des zones urbanisées, élargissement des routes ou encore installation de pylônes électriques. Seules certaines portions de l’intérieur de l’île sont restées presque intactes, de même qu’une partie de la côte méridionale. Le 11 avril 2002, un attentat est commis contre la synagogue de la Ghriba. Un camion bourré d’explosifs saute à proximité de cette dernière : 21 personnes sont tuées, dont quatorze Allemands, cinq Tunisiens et deux Français, et d’autres blessées. Le gouvernement tunisien parle d’un accident mais les experts suggèrent rapidement un attentat, revendiqué par la suite par Al-Qaida. La communauté juive de l’île compte alors environ 700 personnes, alors qu’elle se chiffrait à 4 300 en 1946. |
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Le menzel (arabe : منزل signifiant « demeure ») , est un type d’exploitation agricole et d’habitation typique de Djerba. L’ensemble de l’entité spatiale est traditionnellement la propriété d’une famille élargie. Il se compose généralement d’une parcelle agricole de deux à cinq hectares environ plantée de palmiers, d’oliviers, d’arbres fruitiers, de sorgho, de céréales ou de cultures maraîchères. Le menzel est pourvu de un ou de plusieurs puits ou citernes destinés à l’irrigation des champs. Le puits est juché sur un monticule afin d’assurer une irrigation de la totalité des champs par simple gravité. Une ou plusieurs unités d’habitation, les houch, s’organisent autour d’un patio central et comprennent des pièces couvertes de toits plats ou voûtés en forme de coupole. On peut trouver aussi atelier de tissage, greniers ou huilerie, souvent souterraine. Entouré de hautes levées de terre (tabia), il est organisé selon un principe défensif. Il prend une forme carrée ou rectangulaire et ne comporte pas de fenêtres sur l’extérieur, celles-ci ouvrant normalement sur la cour intérieure. Autour de la cour, s’articulent deux à quatre pièces plus ou moins grandes qui peuvent se diviser au moyen de cloisons internes, de portes ou de simples rideaux (kella) et comprendre des sedda ou doukkana (alcôves en général surélevées utilisées comme chambre à coucher), des magsoura (petites chambres) et des mesthan (petites salles d’eau sans WC). Autrefois, les garçons qui se mariaient obtenaient leur propre pièce dans le houch parental. La skifa, située à l’entrée, est la pièce qui réunit les habitants et sert à recevoir les voisins et les visiteurs les moins importants. Pour les visiteurs de marque, les familles aisées disposent en général d’un makhzin dhiafa indépendant ou rattaché au houch et donnant souvent sur l’extérieur. L’utilisation de voûtes et de coupoles est très courante et permettrait de lutter contre la chaleur. L’ameublement est en général simple et austère : des matelas souvent posés directement sur des nattes (h'sira) ou sur des estrades ou banquettes en maçonnerie (sedda ou doukkana), des coffres ou de grosses jarres pour ranger le linge, des marfaa (sorte de portemanteaux), des sofra ou mida, sorte de tables à manger basses où l’on mangeait assis, les jambes croisées, sur des nattes ou des matelas bas appelés gaada. Les réserves alimentaires étaient conservées dans de grosses jarres en terre cuite (khabia, tass ou zir) fabriquées depuis des siècles dans le village de Guellala.
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Les habitants de Djerba, les Djerbiens, sont un peu moins de 150 000, répartis sur trois délégations qui correspondent à trois municipalités aux fonctions très différentes : Djerba-Houmt Souk, la ville de Houmt Souk étant considérée comme la « capitale » de l’île avec 50 000 habitants (65 000 habitants pour l’ensemble de la municipalité) ; Djerba-Midoun, la ville de Midoun qui constitue le centre le plus proche des activités touristiques comptant 35 000 habitants (55 000 pour l’ensemble de la municipalité) ; Djerba-Ajim, la ville d’Ajim, plus en retrait par rapport à la dynamique insulaire, comptant 14 000 habitants (27 000 habitants pour l’ensemble de la municipalité). Les habitants de l’île, principalement arabophones, comptent aussi une importante composante berbérophone (Kutamas, Nefzas, Hawwaras, etc.). La plus grande partie de l’île est occupée par des populations villageoises d’origine berbère comme à Mezraya, Ghizen, Tezdaine, Wersighen, Sedouikech, Ajim et Guellala où le parler traditionnel est le tamazight, également appelé ici chelha, langue aux consonances explosives où la lettre « t » revient presque à chaque mot. La tradition berbérophone est maintenue surtout par les femmes. L’île abrite également une petite et très ancienne communauté juive, qui comptait autrefois plusieurs dizaines de milliers d’individus, spécialisés en majorité dans des métiers artisanaux (bijouterie, cordonnerie, couture etc.) mais pratiquant également le commerce. Elle y vit depuis des siècles en bonne entente avec la majorité musulmane malgré le déclin démographique engendré par l’émigration vers Israël dès 1948 et vers la France après 1956. Une communauté d’origine arabe se serait installée à Djerba lors de l’invasion des Hilaliens. La population arabophone et musulmane de l’île compte aussi une importante composante noire (environ 10 % des Djerbiens), d’origine principalement soudanaise, installée surtout à Arkou, non loin de Midoun. Une communauté originaire du sud de la Tunisie (région de Beni Khedache) vit dans son propre quartier à Houmt Souk, Houmet Ejjoumaâ ou Chouarikh, et s’habille différemment des autres Djerbiens (en particulier les femmes). C’est l’islam sunnite de rite malékite qui prédomine en Tunisie, bien qu’il existe une petite communauté pratiquant le rite sunnite hanéfite. Tel n’est guère le cas à Djerba où une grande partie de la population berbère se rattache à l’ibadisme, une branche du kharidjisme. L’islam kharidjite refuse aux hommes, même au calife, le droit d’interpréter les textes sacrés et préconise, outre un strict respect de ceux-ci, une vie sobre et une égalité parfaite entre tous les musulmans. L’économie de Djerba était traditionnellement mixte, fondée sur la complémentarité des ressources du sol, de la mer et de l’artisanat.Le Djerbien est avant tout un commerçant prêt à quitter son île natale pour mener son activité commerciale. En 1961, on a estimé que l’apport des Djerbiens vivant hors de l’île, atteignait 42 % de l’ensemble de la valeur des productions et services djerbiens, l’agriculture en représentant 17 %. En 2012, les ressources dérivées de l’agriculture ne représentent plus qu’entre 2 % des ressources globales de l’île, celles des activités touristiques se montant à environ 80%. Djerba dispose d’une vingtaine de kilomètres de plages sablonneuses, situées surtout à l’extrémité orientale de l’île. Jusqu’au début des années 1950, elles ne sont fréquentées que durant les visites (ziara) que les habitants rendent aux marabouts. Toutefois, avec l’arrivée du Club Méditerranée en 1954 et le développement du tourisme dès les années 1960 (construction du premier hôtel important en 1961), ces plages sont de plus en plus fréquentées. L’État tunisien est alors l’acteur principal par ses investissements comme par les avantages fiscaux et financiers consentis aux établissements touristiques qui sont pour la plupart construits sur la côte orientale de l’île. En 2012, le parc hôtelier offre plus de 50 000 lits pour neuf millions de nuitées. Le secteur emploie 80 000 personnes, soit trois fois plus qu’en 1987, même si le nombre d’emplois directs ne correspond qu’à 15 000 postes de travail souvent précaires car saisonniers. L’économie de l’île repose également sur l’agriculture et son climat permet la culture de nombreux oliviers, dont les familles d’agriculteurs récoltent les fruits en automne, de grenadiers, de palmiers-dattiers, de figuiers, de pommiers, d’amandiers, de figuiers de Barbarie aux fruits épineux, qui bordent routes et champs, de la vigne, de légumes et de certaines céréales. L’artisanat a pris des formes diverses et a connu un essor considérable avec le développement du tourisme, en particulier dans la fabrication des tapis. Le travail de la laine, du lavage au cardage en passant par le filage et le tissage, a depuis des générations joué un rôle primordial dans la vie économique et sociale de l’île. L’architecture des ateliers de tissage est typique de Djerba : semi-enterrés afin de préserver l’humidité ainsi qu’une certaine température, ils se signalent par leur fronton triangulaire. La couverture djerbienne appelée farracha ou farrachia était célèbre et recherchée. L’activité de tissage des houlis en coton, laine ou soie naturelle ainsi que des kadrouns, k'baia, kachabia, wazras et burnous joue également un rôle important. La poterie de Guellala remonte quant à elle au moins à l’époque romaine. Ses productions sont principalement utilitaires mais peuvent aussi être décoratives. Les potiers de Djerba n’ont de nos jours plus le droit de vernir leur poterie à leur gré, une décision étatique les obligeant à la garder brute. Les bijoutiers de Houmt Souk excellent ainsi dans la production de bijoux en argent émaillé ou à filigrane d’or. |
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La superstition et ses mystères, comme les méfaits de l’envie et le mauvais œil d’origine berbère font l’objet d’un grand nombre de croyances populaires longtemps répandues sur l’île. Certaines portent sur les jours et les nombres : ainsi les Djerbiens ont longtemps considéré le mercredi comme une journée néfaste pendant laquelle il ne fallait rien entreprendre, pas même un mariage ou la visite d’un malade. Le chiffre cinq et ses multiples sont prononcés pour éloigner le mauvais sort ou les influences négatives, d’où la popularité de la khamsa ou main de Fatima. Le septième jour est quant à lui un jour faste célébré après une naissance ou un mariage, de même que le quarantième jour après une naissance ou un décès. D’autres croyances sont bien vivaces : il se dit toujours que cela porte malheur de compter les gens et que superposer ses chaussures en les enlevant ou en les rangeant est un signe précurseur de voyage ; si en revanche, les chaussures se renversent, il faut tout de suite les retourner sinon Satan (echitan) fait sa prière dessus. De nombreuses croyances sont liées à la nourriture. Le poisson est considéré comme un porte-bonheur et une protection contre le mauvais œil : de même que la khamsa il est représenté sur les bijoux et utilisé couramment dans la décoration des intérieurs ; un petit bijou représentant un poisson est accroché presque systématiquement aux habits des nouveau-nés. Certaines traditions ont pratiquement disparu, comme celle des moussem, journées qui revenaient plusieurs fois par an et au cours desquelles on se devait de porter un repas de viande ou de poisson aux mosquées ou aux voisins les plus pauvres. D’autres se maintiennent, parmi lesquelles la plus connue est le mariage traditionnel. Le mariage traditionnel se célèbre sur plusieurs jours et compte plusieurs cérémonies. Dans la ville de Houmt Souk, la hejba est la première d’entre elles : c'est alors que la dot est remise au père de la mariée ; à Djerba, elle sert pour préparer le trousseau de la mariée (vêtements et linge, couvertures de laine et matelas notamment). Elle est d’autant plus élevée que la jeune fille est jolie et issue d’une famille importante. Après l’indépendance de la Tunisie en 1956, une grande campagne a été menée pour réduire la dot à une somme symbolique et, au début des années 1960, des Djerbiennes se marient avec une dot symbolique d’un dinar. À partir de la hejba, la future mariée cesse de sortir de chez elle pendant un certain temps (une semaine à un mois, voire plus), en grande partie pour se protéger du soleil, la peau blanche étant l’un des principaux critères de beauté à Djerba. Par ailleurs, plusieurs zaouïas sont visitées, où des bougies sont allumées. Mais c’est durant la semaine même du mariage que cérémonies et festivités se multiplient. Les familles des futurs époux organisent des festivités séparées et ce n’est qu’à l’aube de la septième journée qu’elles se rencontrent pour fêter ensemble le dernier jour, traditionnellement un vendredi. Les cérémonies pour femmes sont animées par des musiciennes et, en général, les hommes n’y accèdent pas. En revanche, les femmes, autrefois majoritairement voilées, peuvent accéder aux soirées musicales organisées pour les hommes. Les invités apportent en cadeau des œufs frais et de l’argent aux mères des futurs époux. Note est prise de ces cadeaux, que l’on appelle hourem ou haouram, afin qu’au moins l’équivalent soit offert en retour. À Houmt Souk, à l’occasion du premier des sept jours du mariage, les invitations (tahdhir) sont lancées par l’intermédiaire de « dames de compagnie » (haddharat) habillées, maquillées et parées de bijoux ; les familles visitées leur offrent à manger ainsi que de l’argent. Ce même jour, la zammita du mariage est préparée au son de chants traditionnels et de youyous. Une cérémonie particulière à l’île et qui aurait des origines païennes, la berboura, a alors lieu : le futur époux, abrité par un beskri et accompagné de ses proches parentes et de ses amis, rend une visite rituelle à un olivier d’où il détache un rameau avec lequel il frappe symboliquement les célibataires présents. Le jour suivant, le contrat de mariage est signé et une cérémonie de coiffure, le bambar, a lieu chez la mariée. Par le passé, sur ses cheveux coiffés en fines tresses rassemblées en deux tresses principales tombant le long du visage, des pièces d’or rondes appelées mahboub étaient appliquées. Les deux époux se partagent un œuf dur et une jarre est brisée quand ils s’isolent. Dans certains villages ce moment est précédé du rituel du derdek : la mariée entrée dans la chambre à coucher pousse la porte pour empêcher le marié de l’y rejoindre. La musique djerbienne traditionnelle se fonde essentiellement sur les percussions avec la darbouka (petit instrument utilisé par les hommes et les femmes) et le tabl (grand tambour cylindrique lourd à porter, utilisé exclusivement par les hommes) ainsi qu’un instrument à vent autrefois nommé ghita et de plus en plus appelé zoukra ou zurna, utilisé uniquement par les hommes. Les rythmes sont généralement lents et mélodieux ; l’un d’entre eux, la chala, est spécifique à l’île. Le chant à thème occupe une place de choix : les chansons racontent généralement une histoire romantique, le plus souvent triste et nostalgique ; les paroles sont parfois osées, surtout lorsqu’il s’agit d’histoires d’amour. Beaucoup de paroliers sont des femmes, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que traditionnellement, alors que l’homme s’expatriait pour faire du commerce, la femme restait sur l’île, loin de son conjoint, pour s’occuper de la terre, des enfants et des personnes âgées. Le rythme de la danse folklorique djerbienne est différent de celui de la plupart des autres danses folkloriques tunisiennes ; il est plutôt lent et se danse généralement les pieds à plat sur le sol alors qu’ailleurs en Tunisie le rythme est souvent rapide et se danse en demi-pointes. Le gougou, danse folklorique de la communauté d’origine subsaharienne présente dans l’île depuis plusieurs générations et qui dispose de son propre patron (Sidi Sâad), s’effectue quant à lui avec des bâtons et accompagné de chants et de tabl, commençant par un rythme lent qui s’accélère progressivement pour finir par des mouvements endiablés. |
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