Sandra

De Cinéann.

Sandra , film italien de Luchino Visconti, sorti en 1965

Analyse critique

Après des années d'absence, Sandra revient à Volterra, sa ville natale, pour assister à une cérémonie de donation du jardin familial à la municipalité en mémoire de son père. Elle est accompagnée de son mari Andrew, follement amoureux d'elle et désireux de connaître le lieu où son épouse a passé sa jeunesse.

Dans cette immense maison, Sandra est envahie par les souvenirs du passé. Elle retrouve surtout son frère Gianni, jeune écrivain avec lequel elle entretient une relation ambiguë et qui écrit un roman autobiographique Vaghe stelle dell'Orsa (« Pâles étoiles de la Grande Ourse »), titre emprunté au début du poème Le Ricordanze du recueil Canti de Giacomo Leopardi. Elle revoit également sa mère, pianiste, qui souffre de graves troubles psychiatriques.

Andrew découvre peu à peu que la famille est tourmentée par la mort du père, brillant intellectuel juif déporté par les nazis et mort à Auschwitz. Sandra et Andrew attribuent la responsabilité de cette mort à une dénonciation de leur mère et de son amant, devenu ensuite son second époux. Ébranlé par cette découverte, Andrew organise une réunion de famille en vue de clarifier la situation. Lors de ce repas, les doutes qu'il entretenait quant à la relation incestueuse de Sandra avec Gianni semblent confirmés. Après s'être battu avec Gianni, il quitte la maison et repart pour les États-Unis. Gianni menace Sandra de se suicider si elle le quitte. Entre son frère et son époux, Sandra choisit son époux et décide de rejoindre Andrew après la cérémonie. Fou de douleur, Gianni brûle son roman et se suicide.

Ce film est d'une sensibilité remarquable et admirablement interprété. À travers les personnages de Sandra et de Gianni, on voit apparaître une transposition moderne des figures d'Électre et d'Oreste. Comme Électre, Sandra est haïe par sa mère parce qu'« elle ne fait rien, elle ne dit rien mais elle est là ». Comme Oreste, Gianni revient pour venger la mémoire de son père mais aussi pour retrouver sa sœur. Le mythe d'Œdipe est également très présent, puisqu'on ne sait pas très bien si c'est la fascination qu'éprouvait Sandra pour son père qui la pousse vers son frère ou si c'est au contraire sa relation incestueuse avec son frère qui lui imprime sa fascination pour son père. Ce rapprochement avec des figures de la mythologie grecque est encore accentué par l'apparence physique de Sandra, dont la coiffure et le visage ne sont pas sans évoquer la statuaire grecque.

Vaghe Stelle dell'Orsa est aussi un film sur le temps et sur la mémoire. Le temps est comme resté figé dans la grande maison de Volterra. On pourrait croire que rien n'y a changé depuis le départ de Sandra et de Gianni, et on s'aperçoit que le temps ne peut plus passer depuis le souvenir traumatisant et non résolu de la mort du père. Gianni lui-même ne parvient pas à vivre en dehors du passé, et sa mort tragique achève de figer son destin dans un éternel présent. Sandra, au contraire, parvient à s'extraire de ce passé tourmenté et à choisir l'avenir, en décidant de rejoindre Andrew.

«Peut-être un grand film se reconnaît-il dès ses trois premiers plans. L’ouverture du film est admirable parce qu’elle est justement le contraire d’une ouverture. Elle expose une absence, elle fait le noir. Elle est cette petite larme, qui noie un instant le regard de Claudia Cardinale, et disparaît. C’est à la poursuite de cette petite larme qu’il nous faudra courir. Sandra est un film court, rapide. Le mouvement qui anime le film me fait songer à ces toiles d’araignée qui tremblent lorsqu’un insecte vient s’y emprisonner et frémit avec l’illusion de s’en libérer. » Jean Collet, Cahiers du cinéma, janvier  1966.

Visconti à propos de son film:

  • « Ce qui m'a toujours intéressé, ce sont les situations extrêmes, les moments où une tension anormale révèle la vérité des êtres humains. » (Sipario, juin 1965)
  • « J'ai choisi le thème de l'inceste, parce que l'inceste est le dernier tabou de la société contemporaine. » (Sipario, octobre 1965)
  • « Dans la famille demeurent sans doute les uniques tabous qui nous restent, les dernières interdictions sociales et morales, les ultimes amours impossibles. La famille représente une espèce de fatum, un destin qu'il est impossible d'éluder. » (cité par Anna Bosi pour Speciale sabato, 1981)
  • « (...) Ainsi, il y a dans mon film des morts et des présumés coupables, mais qui sont les vrais coupables et les vraies victimes, cela n'est pas dit. (...) L'ambiguïté est le véritable aspect de tous les personnages du film excepté un, celui d'Andrew, le mari de Sandra. (...) Enfin, ce film est un policier, en somme, où tout est clair au début et obscur à la fin, comme à chaque fois que chacun commence la difficile entreprise de lire en lui-même avec la sécurité fanfaronne de n'avoir rien à apprendre, et qu'il se retrouve ensuite avec l'angoissante problématique du non-être. » (Vaghe stelle dell'Orsa di Luchino Visconti, Pietro Bianchi éd., Bologna, 1965, p. 31-34)
  • « Claudia (Cardinale, interprète de Sandra) donne parfois une impression statique, mais c'est ce qui me permettra de tirer parti de son visage, de sa peau, de ses yeux, de son regard, de son sourire. Mieux, le personnage avait été écrit sur elle, et pas seulement pour ce que son apparente simplicité cache d'énigmatique, mais aussi pour l'adhérence somatique de sa figure (la tête en particulier) avec ce qui, des femmes étrusques, est parvenu jusqu'à nous. » (cité par Laurence Schifano, Visconti, une vie exposée, Éditions Gallimard)

Distribution

  • Claudia Cardinale : Sandra Dawdson :
  • Michael Craig : Andrew Dawdson :
  • Jean Sorel :Gianni Luzatti :
  • Marie Bell : Corinna Gilardini (la mère)
  • Renzo Ricci : Antonio Gilardini (le beau-père) :

Fiche technique

  • Titre original : Vaghe stelle dell'Orsa... Sandra
  • Réalisation : Luchino Visconti
  • Scénario : Suso Cecchi D'Amico, Enrico Medioli et Luchino Visconti
  • Montage : Mario Serandrei
  • Photographie : Armando Nannuzzi
  • Format: noir et blanc
  • Production : Franco Cristaldi pour la Vides Cinematografica
  • Durée : 105 minutes
  • Dates de sortie : 16 septembre 1965
    • France: 26 novembre 1965
  • Récompense : Lion d'or à la Mostra de Venise 1965
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