La Route des Indes

De Cinéann.

La Route des Indes (A Passage to India) film britannique et américain réalisé par David Lean, sorti en 1984.

Analyse critique

Accompagnée de Mrs Moore, sa future belle-mère, Miss Quested est venue épouser le jeune magistrat Ronny Heaslop et côtoyer un décor et une société proches de la vieille Angleterre et bien éloignés des réalités et des intérêts de la population locale. Elles viennent d'effectuer les 15 000 kilomètres qui séparent Londres de cette vaste possession de l'empire britannique. Elles arrivent dans la petite ville de Chandrapore, dans l'Inde des années 20.

Cet autre monde, Adela le découvre pourtant, malgré les réticences de Ronny, grâce à Mr Fielding, l'instituteur aux idées libérales, et à l'attachante Mrs Moore qui s'est liée d'amitié avec un jeune médecin indien, le docteur Aziz et avec Godbole, un vieux Brahmane. Une découverte qui perturbe Adela et qui lui fait prendre quelques distances vis-à-vis de Ronny.

Le docteur Aziz se fait une joie d'emmener ses deux amies aux prestigieuses grottes de Marabar. Sur place, Mrs Moore, prise d'un léger malaise, laisse Miss Quested et Aziz explorer les grottes. Soudain, Adela disparaît dans l'une d'elle. Aziz part à sa recherche. Peu après, Adela en sort terrorisée et ensanglantée; elle trouve refuge auprès d'une amie venue à sa rencontre. Surpris, le docteur Aziz bredouille une explication confuse à Mrs Moore qui essaie de le comprendre. A son retour à Chandrapore, il est arrêté, Adela Quested l'a accusé de viol. Ses amis et l'instituteur Fielding doutent de sa culpabilité; mais où trouver les preuves contraires, surtout que l'un de ses plus sûrs soutiens, Mrs Moore, est repartie pour Londres ?

Le meilleur avocat, leader indépendantiste réputé, assure sa défense; mais c'est de Miss Quested elle-même que vient le coup de théâtre, en pleine audience, elle se rétracte. Aziz est devenu un véritable héros pour la population qui souhaite prendre en main ses propres destinées. Quelques années plus tard, Aziz accepte de revoir Mr Fielding qui lui présente celle qui est devenue sa femme, la fille de sa grande amie Mrs Moore.

Ce dernier film de David Lean est troublant et enchanteur à plus d'un titre, de part la beauté des paysages et des prises de vue, mais aussi par la diversité des thèmes abordés et la relative ambiguïté de leur traitement. C’est pour Lean l’occasion de mettre en scène l’opposition entre deux mondes qui ne parviennent pas à communiquer, ce face à face n’étant pas à l’avantage des Anglais qui sont montrés sous leur jour le plus colonialiste qui soit. Les images sont somptueuses et David Lean imprime volontairement un rythme assez lent comme pour mieux les imprimer dans nos esprits et nous plonger dans l’atmosphère de l’Inde.

Le film oppose la rigide moralité anglo-saxonne, qui s’inspire de la pratique du self-contrôle des pulsions et des passions, à la fascination sensuelle qui émane du paysage indien et de sa culture millénaire. Le monde britannique des colonisateurs, ancré à un idéal fait de rationalité disciplinée, décorum et pudeur qui devraient caractériser le rôle des dominateurs porteurs d’une civilisation supérieure, se confronte avec le message du naturel libératoire provenant du monde indien.

L'événement dramatique, le nœud du film, reste une énigme jusqu'à la fin. Adela a-t-elle été violée par le Dr Aziz un Indien, ou bien le viol n'est-il que le fruit de son imagination après le choc de l'écho, ou bien est-ce elle qui a encouragé Aziz à un acte que, prise de remords, elle a ensuite dénoncé comme un viol ? C'est au spectateur, et initialement au lecteur du livre, d'apporter sa propre réponse, sans perdre de vue qu'à ce viol entre individus, fait écho le viol collectif des Indes par les Anglais.

Chaque personnage y joue un rôle symbolique : Mrs. Moore celui d’une vieille dame assez âgée, assez intelligente et assez sensible pour aller au-delà des préjudices de la société à laquelle elle appartient; Miss Quested, celle d’une jeune fille mise brusquement en contact avec une dimension terriblement distante de sa chaste éducation victorienne, qui commence par le bouleversement qu’elle éprouve face aux sculptures érotiques sur lesquelles elle tombe par hasard dans la forêt et arrive à son apogée au moment où elle pose quelques questions personnelles à Aziz. Mr. Heaslop est le parfait gentleman borné qui, sans jamais être effleuré par le moindre doute, joue le rôle que l’Empire britannique lui a assigné. Le Dr. Aziz personnifie l'aspiration d’une partie de la bourgeoisie indienne qui accepte et estime l’occupant britannique, mais son obséquiosité pleine d’une grande gentillesse tombe quand il se retrouve face à la réalité d'une intégration illusoire qui le conduit à une reprise de conscience de son identité indienne.

Dans le camp anglais, seul un célibataire marginal, Fielding, prend ouvertement la défense d'Aziz, s'excluant lui-même de la colonie anglaise. Ce personnage de Fielding est extrêmement intéressant : sans doute y-a-t-il en lui beaucoup de Forster, qui était tombé amoureux d'un étudiant indien au tout début du siècle. Le comportement de Fielding est très subtilement joué par James Fox, et c'est sûrement son homosexualité qui, le plaçant déjà dans une position de différence, lui permet de devenir le héraut de la justice contre l'arbitraire. Bien sûr, à la fin il se marie, mais ça ne change rien au propos.

"La Route des Indes" s'inscrit dans cette grande lignée de films de confection classique dont on peut gratter sans crainte le vernis : derrière la beauté des décors, la magnificence des costumes et l'abondance de figuration, derrière cette façade luisante se trament les combats et les ambiguïtés du cœur.

Distribution

  • Judy Davis : Adela Quested
  • Victor Banerjee : Dr. Aziz H. Ahmed
  • Peggy Ashcroft : Mrs. Moore
  • James Fox : Richard Fielding
  • Alec Guinness : Professor Godbole
  • Nigel Havers : Ronny Heaslop
  • Richard Wilson : Turton
  • Roshan Seth : Amritrao

Fiche technique

  • Titre : La Route des Indes
  • Titre original : A Passage to India
  • Réalisation : David Lean
  • Scénario : David Lean, d'après la Route des Indes, roman de E.M. Forster et la pièce de Santha Rama Rau
  • Production : John Brabourne, Richard B. Goodwin, John Heyman et Edward Sands
  • Musique : Maurice Jarre
  • Photographie : Ernest Day
  • Montage : David Lean
  • Pays d'origine : Royaume-Uni, États-Unis
  • Durée : 163 minutes
  • Date de sortie : 14 décembre 1984
  • Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour Peggy Ashcroft
  • Oscar de la meilleure musique de film pour Maurice Jarre ; pour la troisième fois de sa carrière, Maurice Jarre fut récompensé par l'Oscar de la meilleure musique de film, après Lawrence d'Arabie et Le Docteur Jivago du même David Lean.


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