Yasuzo Masumura est né le 25 août 1924 à Kôfu sur l'île de Honshû.
Il suit les cours de droit de l'université de Tokyo, qu'il abandonne pour travailler
comme assistant directeur aux studios Daiei Motion Picture. Il choisit ensuite
de retourner à la même université, cette fois-ci pour étudier la philosophie.
Il en sort diplômé en 1949. Il obtient ensuite une bourse d'étude qu'il utilise
pour apprendre la réalisation au Centro Sperimentale di Cinematographia, en
Italie, sous la tutelle de Michelangelo Antonioni, Federico Fellini et Luchino
Visconti.
Il revient au Japon en 1953, et à partir de 55, il devient assistant-réalisateur
sur des films réalisés par Kenji Mizoguchi et Kon Ichikawa. Il réalise enfin
son premier film en 1957 : Les Baisers.
Yasuzo Masumura se fait remarquer à la fin des années cinquante, en publiant
des textes dans la revue "Higa Hyôron" ("Critique de cinéma"), ou il exprimait
sa volonté de peindre des personnages assumant dynamiquement leur ego et leurs
désirs ce qui était alors proprement révolutionnaire au Japon. II affirmait
aussi I'existence physique de la femme japonaise, en contraste avec un homme
"dévalorisé" : "Contrairement à l'homme, qui n'est qu'une ombre, la femme
est un être qui existe réellement, c'est un être extrêmement libre. Voila l'érotisme
tel que je le vois", déclarait-il alors au critique Koichi Yamada.
Sa première égérie fut Hitomi Nozoe, interprète de nombre de ses premiers,
films (1957/1959), mais il put totalement concrétiser ses théories avec Ayako
Wakao. Apparue dès 1957 dans "Une fille sous le ciel bleu (Aozora musume), et
dans plusieurs films du cinéaste en 1958/1959, elle connut son premier grand
rôle dans "Confessions d'une épouse " (Tsuma wa kokuharu suru, 1960) la même
année que le fameux "Un gars dans la bourrasque" (Karakazze yaro) dont Ie protagoniste
principal n'était autre que Yukio Mishima en Yakuza fataliste et que "Le faux
universitaire" (Nise dai gakusei). Masumura y peaufine déjà une écriture très
calligraphique, qu'il perfectionnera et apurera dans ses films suivants.
Ayako Wakao y devient son modèle de femme "moderne" et libérée, dont la beauté
est alors un piège pour les hommes qui se perdent dans son regard, ou dans son
corps. Mais le point culminant de la double carrière Masumura/Wakao est peut-être
le fameux "L'Ange rouge" (Akai tellshi, 1966) où, dans le rôle de l'infirmière
Sakura elle exerce un rapport de domination absolue avec l'homme (Ie Dr Okabe)
jusqu'à lui rendre sa virilité perdue en endossant son uniforme, dans une scène
érotique jugée très osée à l'époque. Film fascinant et ambigu, souvent aux limites
du supportable, l'Ange Rouge" résume toute la thématique de Masumura, selon
laquelle la femme moderne japonaise est plus énergique que l'homme, au-delà
des apparences.
Même dans un film plus académique comme "La femme de Seishu Hanaoka" (Hanaoka
Seishu no tsuma, d'après le roman de Sawako Ariyoski, 1967), c'est grâce à son
épouse Kae que le Dr Hanoka peut mener à bien ses recherches sur l'anesthésie,
quitte à la rendre aveugle.
Masumura alterne, suivant les sujets, les films en couleurs (dès 1958,
les Géants et les Jouets ) et le noir et blanc ( jusqu'en 1965
)
Sur les 30 années de sa carrière, il dirige plus de 60 films, dont les
plus célèbres : L'Ange rouge, Tatouage, La bête aveugle, La Femme de Seisaku
ou encore Hoodlum Soldier.
1972 : Le retour du Soldat yakuza (Shin heitai yakuza kasen)
La Musique (Ongaku)
1973 : Les Tortures de l'Enfer (Goyôkiba-kamisori hanzô jigokuzeme)
1974 : Les Mauvais/Attaque du territoire réservé (Akumyô / Nawabari
arashi)
1975 : L'Archipel des artères (Dômyaku rettô)
1976 : La Berceuse de la grande terre (Daichi no kômori uta)
1978 : Double suicide à Sonezaki (Sonezaki shinjû)
1980 : Le jardin d'Eden (Eden no sono )
1982 : Pour les sept ans de cet enfant (Konoko no nanatsu no oiwai
ni)
*La Bête aveugle (盲獣 Môjû) de Yasuzo
Masumura, sorti le 25 janvier 1969, durée 84 min, scénario de
Yoshio Shirasaka, d'après le livre de Edogawa Rampo, photographie de Kazumasa
Nakano, montage deTatsuji Nakashizu; avec : Eiji Funakoshi (Michio), Midori
Mako (Aki), Noriko Sengoku (la mère)
Aki Shima, jeune cover-girl au corps sublime, est un modèle convoité par
bien des artistes. Michio, un sculpteur aveugle enlève avec l’aide de sa mère
et séquestre dans son atelier Aki Shima pour la soumettre à l'empire des sens
afin qu'elle devienne une statue idéale.
Comprenant après plusieurs vaines tentatives qu'elle ne pourra
fuir ce cauchemar, la victime est peu à peu attendrie et envoûtée par son
bourreau. Puis, au fur et à mesure son aversion pour l’artiste va se transformer
en une sorte d’attirance. Elle finira par l'accompagner dans la mort après
un ultime rituel sadomasochiste.
Masumura montre un véritable don pour créer un univers envoûtant, ainsi
qu’un sens inné de la claustrophobie visuelle. Môju est une sorte de rêve
éveillé, un voyage dans un endroit hors du temps où règne une atmosphère
lourde et tendue. Michio, homme-enfant à la merci d’une mère castratrice
et psychologiquement incestueuse, n’a jamais connu d’autre femme que sa
possessive mère.
Facilement manipulable, il va peu à peu se laisser séduire par Aki. Mais
le jeu auquel joue la jeune femme est à double tranchant. Môju est une
double exploration. Une exploration des sens, au même titre qu’une exploration
des tréfonds de l’âme humaine. Un conte sexuel métaphysique, une représentation
violente de l’acte sexuel et de l’être humain, esclave de son plaisir.
La recherche du plaisir ultime, mêlant intimement douleur et souffrance
à la jouissance et à une satisfaction sexuelle sans fin, ou comment la
souffrance devient plaisir.
La mise en scène de Yasuzo Masumura ose même flirter avec le grotesque,
sans jamais y succomber. Le réalisateur parvient à rendre le monde dans
lequel évoluent ses trois personnages, dépourvu de toute autre vie humaine
; le seul endroit public filmé est le musée, totalement déserté par tout
être vivant, si l’on excepte Aki et Michio. Mais le lieu le plus effrayant,
et tout autant attirant, est l’atelier de Michio, sorte de musée du corps
humain, il réduit celui-ci à l’état de parties, jambes, bras, seins, yeux,
bouches, oreilles, nez, autant d’éléments anatomiques, exposés aux murs
tels des toiles, ou des trophées.
*Les Baisers (Kuchizuke) de Yasuzo
Masumura, sorti le 23 juillet 1957, durée 74 min, scénario
de Kazuo Funabashi d'après un roman de Matsutaro Kawaguchi ; Directeur
de la photographie : Joji Ohara ; Musique originale deTetsuo Tsukahara
; Montage de Tatsuji Nakashizu
avec Hiroshi Kawaguchi (Kinichi Miyamoto), Hitomi Nozoe (Akiko Shirakawa),
Aiko Mimasu (Ryoko Uno), Eitaro Ozawa (Daikichi Miyamoto, le père de Kinichi),
Sachiko Murase (Kikyoko Shirakawa), Saiko Mima (la mère de Kinichi)
Kinichi et Akiko, qui se sont connus en allant voir leurs pères respectifs
en prison, partent ensemble en moto au bord de la mer. Akiko veut se
vendre à un homme qui cherche à la séduire, pour pouvoir payer la caution
de son père.
Le garçon lui donne un chèque qu'il a emprunté à sa mère et l'embrasse.
Pour son premier film, Masumura présente un personnage de mannequin
qui envisage de se livrer à la prostitution afin de payer la caution
de son père emprisonné pour lui permettre d’aller voir sa mère à l’hôpital.
Loin de verser dans le pathos, le propos de Masumura est toujours libertaire.
Le critique Mark Peranson écrivait: « [les films de Masumura]
parlent de la liberté de faire ce dont on a envie sans se faire chier,
et la façon dont cette attitude évoluera une fois que la société aura
commencé à ne pas l’accepter ».