Il était une fois en Amérique

Il était une fois en Amérique, film italo-américain de Sergio Leone, sorti en 1984.

Le décès prématuré de Leone en 1989 fait de ce film son dernier film. Il boucle ainsi la trilogie, commencée avec Il était une fois dans l'Ouest, et que le réalisateur a consacré à l’Amérique dont il saisit, cette fois, l’évolution qui court, dans le film, du début du XX° siècle aux années soixante.

  • Réalisation : Sergio Leone
  • Titre original : Once Upon a Time in America
  • Scénario : Leonardo Benvenuti, Piero De Bernardi, Enrico Medioli, Franco Arcalli, Franco Ferrini, et Sergio Leone.
  • Inspiré de la nouvelle The Hoods de Harry Grey.
  • Musique originale : Ennio Morricone
  • Photo : Tonino Delli Colli
  • Décors : Giovanni Natalucci, Gratch-Rau, Osvaldo Desideri
  • Montage : Nino Baragli
  • Durée: 228 minutes
  • Année de sortie : 1984

Distribution:

  • Robert De Niro : David 'Noodles' Aaronson
  • James Woods : Maximilian 'Max' Bercovicz
  • Elizabeth McGovern : Deborah Gelly
  • Treat Williams : James Conway O'Donnell
  • William Forsythe : Philip 'Cockeye' Stein
  • James Hayden : Patrick 'Patsy' Goldberg
  • Larry Rapp : 'Fat' Moe Gelly

Critique

David Aaronson, dit « Noodles », vieil homme las et solitaire, revient à New York et se souvient. Il contemple d’un regard dur, désabusé et pourtant sage et apaisé sa vie manquée. Cette jeunesse délinquante dans le ghetto juif des années 1920, sa bande d’amis et surtout Max, son ami de toujours. Leur ascension sans gloire dans la pègre, le trafic d'alcool, les fumeries d'opium. Mais il se rappelle aussi la violence, la sombre période de la Prohibition, les meurtres sauvages, et cette trahison qui a détruit sa vie.

Le décès de Leone en 1989 fait de ce film son dernier film. Il boucle la trilogie que le réalisateur a consacrée à l’Amérique.
Cette vaste période abordée lui est l’occasion d’observer l’évolution de la société américaine à travers l’histoire d’un groupe de gamins issus du quartier défavorisé du Lower East Side de New-York.
Ce parallèle entre le destin des individus et celui de la société a pour point commun le thème de la violence au service d’une ambition forcenée de réussite. Leone choisit au cours de ce demi siècle trois périodes clés qui servent son propos : les années 1920 qui correspondent à l’adolescence de ses personnages, cinq garçons et deux filles du quartier juif de New York, âge critique auquel se dessinent déjà les destins.
Puis les années 1930 où ils atteignent à l’âge adulte au moment de la Prohibition et enfin les années soixante qui marquent le début de la vieillesse.

Mais cette composition complexe en trois époques, développées pour l’essentiel linéairement, se précise et se complète également à travers de subtils retours en arrière et des va-et-vient de l’une à l’autre qui correspondent aux mouvements mêmes de la mémoire et qui sont, par ailleurs, toujours justifiés par le récit ou les émotions des personnages.

D'autre part, suivre l’évolution de ces enfants revient à comprendre celle des Etats-Unis. En effet, deux des enfants se caractérisent par leur caractère entier et leur volonté d’être les premiers plus tard. Deborah désire s’évader de son milieu social et devenir une vedette. Max, être impulsif, refuse d’avoir un patron. Ces deux-là sont donc les moteurs du récit.

Noodles, à l’inverse, pensif, méditatif, sans ambition réelle, sinon de se faire aimer de Deborah, et peu en accord avec les méthodes de Max, s’oppose souvent à lui, surtout après son long séjour en prison. Dans une séquence centrale, Noodles précipite à la mer la voiture, les costumes, les armes, bref les gangsters qu’ils sont devenus, en une sorte d’immersion purificatrice.

Ce désir de purification par le retour aux valeurs fondatrices de l’enfance commune s’exprime aussi à travers les rituelles invitations à prendre un bain que les deux amis se lancent chaque fois que leur amitié est menacée. Leurs destins seront donc très différents. Max, qui incarne le monde de la pègre et Deborah, qui représente le monde du spectacle ( Broadway puis Hollywood) réussissent à intégrer le monde politique et syndical par la violence pour l’un et la compromission pour l’autre.

Peu avant la fin du film, ils ont satisfait leurs ambitions, sont des personnages respectées et font partie de l’établissement. Parallèlement, la société américaine nous est montrée progressivement et inéluctablement minée de l'intérieur par le gangstérisme. Le film montre la montée en puissance du crime depuis les simples magouilles avec le flic de quartier en 1920, ensuite l'organisation maffieuse avec le dirigeant syndical dans les années trente dès l’époque de la Prohibition par l’allusion à l’ascension du syndicaliste Jimmy Hoffa permise par la pègre. Cette montée se termine par la corruption généralisée au pouvoir politique associé au monde artistique dans les années soixante.

Au contraire, Noodles fait partie des laissés pour compte du destin car, méditatif et peu porté vers l’action, il a vécu de sentiments et non d’ambitions. Mais cette réussite a un envers car elle ne s’accomplit que sur les décombres des amitiés brisées et de l’innocence saccagée. Le film prend alors sa dimension essentielle d’œuvre qui porte un regard désenchanté et amer sur la vie. Ce regard éperdu, absent, nostalgique, est celui de Noodles vieilli et, à travers lui, de Leone.
Il déclare: « Un film pareil, on ne peut le réussir qu’avec la maturité, des cheveux blancs et pas mal de rides autour des yeux. Jamais je n’aurai pu faire ce film si je l’avais réalisé à 40 ans. »

Ce film lui permet aussi de pointer du doigt la condition de la femme, perçue soit comme une vierge inaccessible soit comme une putain, l’inégalité injustifiée des vies, le déterminisme des milieux sociaux auxquels on ne peut échapper qu’au prix du reniement de ses origines, le triomphe des plus cyniques quand les naïfs et les purs échouent.
Certes, il y a bien un prix à payer et le châtiment n’est jamais très loin. A titre d’exemple, on mentionnera la séquence nocturne, vision cauchemardesque quasi fantastique, métaphore cruelle et terrible et qui conclut la dernière rencontre entre Noodles et max. Les derniers plans du film dans la fumerie d’opium qui reprennent à peu près à l’identique ceux du début, effaçant ainsi les trente années qui les séparent, montre une scène du théâtre d’ombres chinois, visuellement symbolique de l’illusion de toute vie dont on ne perçoit que les apparences et dont la réalité profonde nous échappe.

Le film s’achève sur le sourire de Noodles, reflet de l’échec de la vanité des idéaux, de la trahison de l’enfance, de la perversion de l’innocence. Un sourire qui semble nous inviter à fuir la réalité au profit des paradis artificiels, comme si la réalité de la vie valait moins qu’un songe.
Mais une autre signification peut être donné à ce plan du théâtre d’ombres qui ouvre et ferme le film, à cette nostalgie du regard porté sur les désillusions de la vie et à ce sourire : ne sont-ils pas, de la part de Leone, les signes d’un émouvant hommage au cinéma ? En effet, ce sourire qui éclaire le visage jusque-là triste de Noodles n’est-il pas, précisément, celui du spectateur de cinéma qui entre dans la même salle obscure et qui savoure confortablement installé, lui aussi, l’opium d’images cinématographiques qui s’accordent à ses désirs le temps d’un film.

La réalisation de Leone alterne avec le même brio les scènes chocs, les scènes d’émotion et les scènes cocasses grâce à un rythme contrasté au service d’une mise en scène qui privilégie une lenteur synonyme de contemplation et de réflexion, de gravité et de nostalgie mais aussi les brefs éclats de violence animale et de déraison comme ce viol dans la voiture.
L’image ne peut s’apprécier indépendamment d’une partition musicale dont l’omniprésence, voire la récurrence, exprime tour à tour une poignante nostalgie avec le leitmotiv de « Childhood Memories » joué à la flûte et le lyrisme des tragédies intimes

Quelque fois les derniers films des grands réalisateurs ne sont pas les meilleurs (Truffaut, Hitchcock, Kubrick...) mais pour Sergio Leone, ce film représente, à tous points de vue, la quintessence de l’oeuvre inoubliable.