Nous nous sommes tant aimés

Nous nous sommes tant aimés, film italien d'Ettore Scola, sorti en 1974

Un monument du cinéma néo-réaliste italien.

  • Réalisation : Ettore Scola
  • Titre original (italien) : C'eravamo tanto amati
  • Scénario : Age-Scarpelli et Ettore Scola
  • Production : Pio Angeletti et Adriano De Micheli
  • Musique originale: Armando Trovajoli
  • Photographie : Claudio Cirillo
  • Montage : Raimondo Crociani
  • Durée : 124 minutes
  • Date de sortie : 1974

Distribution:

  • Nino Manfredi : Antonio
  • Vittorio Gassman : Gianni Perego
  • Stefania Sandrelli : Luciana Zanon
  • Stefano Satta Flores : Nicola Palumbo
  • Giovanna Ralli : Elide Catenacci, fille de Romolo
  • Aldo Fabrizi : Romolo Catenacci
  • Federico Fellini : lui-même
  • Marcello Mastroianni : lui-même
  • Vittorio de Sica : lui-même

Critique

1945. L'italie est libérée du fascisme. Trois camarades, qui ont lutté côte à côte dans la Résistance, ont foi en l'avenir de leur pays. Antonio, membre du parti communiste, croit aux lendemains qui chantent; Gianni, étudiant en droit, rêve de plaider de justes causes; Nicola, cinéphile enragé, est persuadé que le néo-réalisme va changer le monde. Les années passeront, refroidissant leur bel enthousiasme. Leur vie privée comme leur vie professionnelle se solde par des échecs. La société va mal, le cinéma aussi, on entre dans l'ère de l'incommunicabilité, à l'écran comme dans la vie. Un des protagonistes déclare: « Nous voulions changer le monde, mais le monde nous a changés ! ». Il faut pourtant se résoudre à survivre.

Ettore Scola fait partie de la nouvelle génération de réalisateurs italiens qui s'est révélée au début des années 1960, en marge des ténors (Fellini, Antonioni), des militants (Rosi, Petri) et des « avant-gardistes » (Pasolini, Bertolucci, Bellocchio). Comme ses aînés, il pratique un cinéma résolument populaire, entre la comédie de moeurs, la satire et la caricature grinçante. L'alibi de la farce lui permet de décocher des traits acérés, d'une grande justesse sociologique.

Nous nous sommes tant aimés est un bilan cocasse et sensible de trente ans d'histoire italienne, dont la cinéphilie est l'élément catalyseur, De Sica et Fellini (en personne) et Antonioni servant de points de repère à un itinéraire désenchanté. La démocratie italienne est vivement étrillée, mais l'intellectualisme de gauche y laisse aussi des plumes, même si Scola ne cache pas ses sympathies. L'oeuvre témoigne, écrit Jean A. Gili, de « la vigueur populaire d'une société qui veut encore lutter malgré la désagrégation sournoise d'un pays après trente ans d'incurie politique». Pas la moindre prétention didactique là-dessous, l'humour et la poésie venant sans cesse l'irriguer.

Scola trouve dans ce film de quoi alimenter son goût de la caricature et sa tendresse pour les perpétuels floués de l'existence, les laissés pour compte des grands idéaux. Comment le pays qui engendra le fascisme comme la résistance, et qui triompha de ses démons s'est finalement laissé englué par un miracle économique, occasion de corruption dangereuse ? Pourquoi le plus intègre et le plus instruit des trois amis ira-t-il le plus loin dans le naufrage alors que Giani saura se protéger modestement mais fermement ?

La mise en scène parfois voyante : triple répétition de la scène d'ouverture, raccord sur la foule en liesse juste après le plan du dynamitage des véhicules allemands, reprise de l'arrêt sur image inspiré de la pièce de théâtre de O Neil qu'ils vont voir au début . Le récit est tour à tour vu des trois points de vu mais, au fil du récit, Scola s'écarte de chacune de ces visions subjectives pour tirer un constat relativement objectif de chacune des situations : solitude de l'homme riche, regrets de l'abandon de la famille, fierté toute relative de celui qui a su concilier vie publique et vie privée.

Notons en passant que, par le biais de la participation de Nicola à un jeu télévisé dont les questions portent sur le cinéma, Ettore Scola profite de son film pour rendre hommage à quelques monuments du cinéma, comme Le Cuirassé Potemkine, Une partie de campagne, La Porte du ciel de De Sica, Le Voleur de bicyclette, Mademoiselle Julie (Fröken Julie de Sjöberg), La Dolce vita , L'Année dernière à Marienbad et L'Éclipse d'Antonioni.