Le film s'articule sur trois mouvements: Le premier c'est l'été. Dans la belle maison familiale, Frédéric, Adrienne, Jérémie et leurs enfants fêtent les 75 ans de leur mère, Hélène Berthier, qui a consacré toute son existence à la postérité de l'œuvre de son oncle, le peintre Paul Berthier et qui s'est empressé de reprendre, à la mort de son mari, son nom de jeune fille, et par là même, celui de son oncle. Frédéric, le fils aîné, est un économiste un peu austère et casanier. Il vit en Région Parisienne et accepte timidement de passer à la radio pour parler de son livre. Adrienne est la fille pas encore mariée, artiste-désigner vivant entre la France et les États-Unis. Jérémie est un jeune commercial travaillant en Asie pour le compte d'une marque de chaussures de sport , marié à une femme soumise qui l'admire. Tout est si gai et léger que ce portrait de famille tel qu'on en rêve aurait presque quelque chose de factice. C'est Hélène, en prenant à part son fils aîné pour évoquer avec lucidité sa mort, qui infléchit insensiblement ce tableau qui pourrait passer pour mièvre. Elle s'inquiète devant lui, qui fait tout pour ne pas l'entendre, du sort de la collection personnelle de son grand-oncle, Paul Berthier, peintre connu du début du XXe siècle, et figure tutélaire de la maison qui les accueille. Mais elle envisage de faire le voyage de San-Francisco pour une exposition rétrospective consacrée à Paul Berthier. Le premier mouvement s'achève, avec le départ des enfants laissant leur mère à sa solitude dans le clair-obscur de cette demeure. Le second mouvement s'ouvre sur la suite funeste de la conversation entre Hélène et Frédéric. Hélène morte, ses enfants se réunissent pour se séparer aussitôt : Frédéric, qui pensait que la conservation de la maison et du patrimoine familial était une évidence, est désavoué par sa sur, qui annonce la nouvelle de son mariage aux États-Unis, et par son frère qui s'installe en Chine pour assurer le développement de sa carrière. Ils ont tous les deux besoin d'argent et aimeraient disposer de l'argent de l'héritage. Mais contrairement à ce que pourrait laisser présager cette situation classique, la divergence sur l'héritage ne devient pas une source de conflit entre les enfants, mais plutôt une occasion pour chacun de mieux appréhender sa différence avec l'autre, de mesurer la divergence de leur parcours à partir d'un même point de départ. On apprend même, au détour d'une confidence, que la vénération d'Hélène pour son oncle, n'était pas platonique La maison devra être vendue, et la collection du grand-oncle, qui compte quelques meubles et tableaux de grande valeur, dispersée. Tournée en plans-séquences rapprochés dans la cuisine de l'appartement de Frédéric, cette scène triviale et mémorable, d'une acuité d'autant plus remarquable qu'elle est exempte de tout calcul mélodramatique, cristallise cet instant triste où quelque chose de notre vie qu'on croyait solide s'effondre d'un coup devant nos yeux. La vente de la collection Berthier, liée à une dation à l'État afin de payer les droits de succession, occupe la suite des opérations. A travers diverses scènes, tragi-comiques comme l' arrivée macabre des experts du Musée d'Orsay qui attendaient ce moment de longue date, le démembrement de la maison et le démantèlement de la collection, l'exposition des objets au regard morne de la visite guidée, se dessine une passionnante mise en miroir du destin des hommes et de celui des uvres. Une idée belle et cruelle s'en dégage, qui place les uns et les autres sous les auspices de la dépossession, de la perte et de la transformation. Le dernier mouvement, très court, est une reconquête, qui voit les adolescents de la famille s'emparer de la demeure vide pour y organiser une dernière fête. Filmée en caméra portée avec fluidité, cette séquence a ceci de bouleversant qu'elle nous montre, en les mêlant, la tristesse éprouvée par la fille de Frédéric de quitter ce lieu et l'exaltante consolation de l'amour naissant qui l'attache à son petit ami, et la rapproche émotionnellent de sa grand-mère disparue. Celle-ci lui ayant confié le secret de ses amours incestueuses avec son oncle, le célèbre peintre. C'est avec l'image de ces deux jeunes gens escaladant un muret que le film nous laisse. L'élévation élégiaque et prospective de la caméra qui les accompagne nous laisse penser qu'ils sont les véritables dépositaires de l'héritage de cette maison. Après une trilogie marquée par les mutations du monde et la globalisation galopante, filmée de façon dynamique et parfois violente, Olivier Assayas revient à un cinéma beaucoup plus intimiste. Un film lumineux, où chacun peut retrouver l’écho de sa propre expérience familiale. Comme ce téléphone, trop moderne, offert pour l'anniversaire, et qui restera dans sa boîte jusqu'à la fin, faute d'un effort d'installation par les plus jeunes. Olivier Assayas évoque les strates du temps et la rupture entre les générations dans un film sensible mais sobre. Ce film est une réflexion sur le deuil et l’héritage qui touche à l’universel. Avec la mort d'Hélène, le film aborde des questions simples et universelles, même si le contexte du grand artiste est exceptionnel. Que faire des souvenirs : faut-il entretenir la mémoire du grand homme ou partager l'héritage ? Comment gérer l'impossible équation entre la valeur affective des pièces et leur valeur marchande ? A fortiori quand il s'agit d'objets ayant, plus qu'un tableau ou une sculpture, un usage courant : un bureau Art-nouveau de l'ébéniste Louis Majorelle, un vase du graveur et céramiste Félix Bracquemond. Faut-il travailler sur l'un, comme le faisait Hélène, mettre des fleurs dans l'autre comme l'a toujours fit Héloïse, la fidèle bonne, ou bien les céder à l'État, ou encore les vendre à meilleur prix à un collectionneur ? Ces questions très théoriques, Olivier Assayas a l’art de les faire incarner dans une chronique toujours sobre. C’est à la fois très écrit, avec cette intelligence aiguë qui est la marque du cinéaste et d’une fluidité dans la mise en scène qui donne vie aux scènes de groupe, déjeuner de famille en plein air, dîner de tractations entre héritiers, fête d’adolescents émancipés dans la grande maison déjà vendue. « Les uvres qui passaient de l'amour au grenier peuvent passer de l'amour au musée, mais ça ne vaudra pas mieux, écrivait André Malraux. Toute uvre est morte quand l'amour s'en retire. » Olivier Assayas a tourné L'Heure d'été en collaboration et en partie dans le musée d'Orsay, tout en critiquant la « muséification » du monde. A Charles Berling, qui essaie de connaître la valeur de deux petits Corot, clous de l'héritage, un expert répond, navré, que « le marché international n'identifie pas bien cet artiste, et que les sujets choisis sont austères ». Beaucoup de ces objets finissent au Musée, comme le vase qui servait aux bouquets: cet objet enferme quelque chose de l' histoire de la famille, qui leur échappe désormais, et il leur survivra. Le musée est bien le lieu de passage « banalisé » des troupeaux de touristes qui attrapent des bribes de culture, mais c'est aussi le temple qui inspire la terreur de la mort. Assayas ne tranche pas entre l'objet exposé à la vue du plus grand nombre, qui n'y jettera qu'un regard rapide et son alter ego, confié à Héloïse qui en ignore totalement la valeur. Peu de musique, des dialogues simples, un décor naturel, sobre jusque dans sa valeur artistique. Olivier Assayas signe un film où l’intime est révélé sans ornements, sans sensiblerie. Point de heurts violents ni de tristesse insurmontable, non, les émotions sont rentrées, pudiquement. Chacun vit la disparition et gère le flot des souvenirs à sa manière, avec sa sensibilité et le rythme des saisons qui ne cessent de s’écouler. Déconcertante, d’abord, cette distance volontaire laisse vite libre cours à l’introspection et aux considérations personnelles. La tendresse règne, jusque dans l’image, tantôt gorgée de lumière, tantôt grise. La maison de famille est le personnage central de cette exploration du temps. Elle contient le passé dans les souvenirs de la mère, le présent des enfants, devenus grands et déjà embarrassés de ce poids d’un autre âge, puis le futur des petits-enfants, presque indifférents à ces vestiges. Ce douzième long métrage est sans doute celui qui tient la note la plus juste et la plus vibrante dans l'histoire intime et générationnelle écrite par Olivier Assayas. Une œuvre qui explore les relations entre l'art et la culture, le passage dangereux de la sphère intime au domaine public, pourtant indispensable quand les derniers témoins directs de l'acte de création disparaissent. A ces divers égards, L'Heure d'été est une admirable réussite. Déclarations d' Olivier AssayasJ’avais complètement coupé avec le cinéma intimiste depuis ‘Les Destinées sentimentales’, un film écrasant avec ce qu’il supposait d’immersion dans le début du XXe siècle, à la fois dans une culture et une histoire qui n’étaient pas les miennes mais que je me suis néanmoins appropriées. Arrivé au bout, je me suis dit qu’il fallait que j’aille ailleurs, et pendant longtemps je n’ai eu envie de faire que des films très contemporains. Avec le temps, le besoin de revenir à des choses élémentaires a fait son chemin. J’ai grandi à la campagne et elle me manquait. J’avais l’impression d’être parti dans une sorte de fuite en avant, laissant derrière quelque chose qui m’importait. D’autre part, je pense que la disparition de ma mère m’a presque imposé de faire ce film. La genèse de ce film est assez étrange. Serge Lemoine, le directeur du musée d’Orsay, voulait que le cinéma soit associé au vingtième anniversaire de cette institution. Il a donc proposé à plusieurs cinéastes de réaliser un court métrage qui serait, de manière très libre, lié au musée. L’idée du musée d’Orsay a fini par tourner court, mais j’ai continué à m’interroger : "Je vais au musée, et j’aime m’y promener, mais c’est un lieu terriblement morbide, une sorte de nécropole, c’est difficile de le voir autrement." Le sujet était là. A un moment donné, toutes les choses qui sont au musée ont été vivantes. Et je me suis rendu compte que là où je pensais avoir une vision théorique, j’étais au contraire dans une idée très humaine, qui suscitait des personnages, des situations, une logique. C’est un peu comme pour tous les films, on tire un fil et on voit ce qui se passe. Au cinéma comme ailleurs, je ne suis pas un grand amoureux du pathos. Ce n’est ni ma façon de m’exprimer, ni ma façon de ressentir les choses. Le fait d’être confronté dans la réalité à une situation qui procède de quelque chose de comparable m’a donné une plus grande lucidité sur la façon dont on vit ces choses-là. Et en particulier la conscience que le chagrin n’arrive pas après, mais bien avant la mort. J’ai l’impression d’avoir longtemps vécu dans une certaine mélancolie dont je n’étais pas certain de connaître l’origine, et qui avait à voir avec la conscience que ma mère ne serait pas toujours là. Et au fond, le moment où elle disparaît, on l’a déjà vécu. Même si on ne s’attend jamais à la manière dont ça résonne en vous. Le problème du deuil nous submerge de tellement de problèmes pratiques, et le vivant se recompose à une vitesse si impressionnante, presque obscène, que la souffrance fait son chemin par d’autres voies. Dans le film, elle refait surface là où les personnages ne l’attendent pas, elle les prend un peu par surprise. Les questions d’héritage ne créent des problèmes dans les familles que s’il y a la place pour cet antagonisme-là. Frédéric est quelqu’un qui, jusqu’au moment où il a le nez sur la question, s’aveugle complètement. C’est un professeur, dont la préoccupation est l’enseignement, et donc la transmission. Pour lui, elle fait presque partie de l’ordre du monde, et quand le voile se déchire, il se retrouve en opposition avec son frère et sa sur pour des raisons qui auraient dû lui apparaître mille fois auparavant, et voit qu’il y a très peu d’espace de négociation. Au fond, l’important c’est de sauver les meubles et de ne pas se brouiller, car s’il reste quelque chose à préserver, à faire passer une fois que tout sera vendu, c’est de l’ordre du rapport pacifique avec son frère et sa sur. C’est la seule façon de ne pas avoir tout perdu. S’il y a une signature de notre présent, c’est la globalisation, présente dans le film à travers les personnages du frère et de la sur qui vivent à l’étranger. L’événement le plus important qui s’est produit au cinéma depuis que j’en fais, c’est la facilité avec laquelle les films circulent, la façon dont les cultures dialoguent les unes avec les autres, la vitesse, inimaginable il y a encore quinze ans, avec laquelle nous parviennent les uvres de mondes jusque-là inexplorés. De manière plus générale, on observe très clairement qu’il y a eu une levée des barrières dans la circulation des biens, qui fait de la mondialisation la réalité la plus incontournable, la plus massive de notre société. L’événement historique principal de notre présent est l’explosion économique de la Chine et de l’Inde, et l’appel d’air qu’elle produit, qui chamboule la totalité des tissus économiques et sociaux du monde entier. Et aujourd’hui rares sont les métiers dans lesquels on ne se pose pas la question des racines de ce que l’on fait. Ce qui m’intéressait dans ce film était de prendre ce phénomène là où il a un effet presque inconscient, a priori imperceptible, sur la vie de chacun. Car c’est la caractéristique d’un phénomène historique : il résonne partout, et change le rapport de chacun avec la question de ses origines. Certains considèrent leur identité comme précieuse, d’autres comme un boulet. Je m'impose de faire quelque chose de jamais fait, par moi en tout cas. J'ai l'impression que le chemin qu'on fait dans le cinéma, c'est à la fois un chemin de découverte du monde et une sorte de révélation de soi-même à soi-même. J'ai l'impression, au fond, de découvrir à travers l'exploration du monde des aspects de mon oeuvre, de mon travail qui se révèlent à moi. Étrangement, peut-être suis-je le seul à percevoir les choses comme ça, et parce que j'ai pu faire un oeuvre dans la plus grande liberté, j'ai le sentiment d'avoir fait un ensemble de films assez cohérent. Qui oscillent entre le passé et le présent, l'intime et l'universel, le local et le mondial. Mais où tout cela, au fond, pourrait cohabiter de la même manière que cela habite dans nos vies. J'ai l'impression qu'on a en nous toutes ces dimensions-là, et c'est vrai que peu d'œuvres dans le cinéma tentent de l'articuler. Je crois que j'ai eu l'ambition, à travers mes films, d'essayer de l'articuler. Et donc de ce point de vue de tenter quelque chose qui n'a pas été beaucoup fait. Et le chemin, jusqu'à présent, en a valu la peine en ce qui me concerne. Mon film se place symboliquement au carrefour de l’art, de la nature et de l’humain. L’impressionnisme est né de la rencontre avec l’idée de la peinture asiatique, d’un rapport au monde qui est celui de l’artiste asiatique, historiquement. Et pour ce film, c’est dans ce monde-là que j’ai voulu me placer, en me positionnant en pendant du travail de Hou Hsiao Hsien (voir Les Fleurs de Shanghai (Hai shang hua, 1998) . Il y a dans ce rapport à la famille, à l’histoire, à la nature, au passage du temps, un langage plus asiatique que français. D’ailleurs je crois que c’est en Chine que le film a été vu pour la première fois, et il a provoqué un déclic, une sorte de familiarité immédiate. Ce qui m'attriste aujourd'hui, c'est la façon dont on confond la représentation de la bourgeoisie et la représentation d'un milieu artiste. La maison des personnages de L'Heure d'été n'est pas une maison bourgeoise, elle n'en a ni la lourdeur ni le formalisme. C'est une maison qui a été celle d'un artiste, d'un peintre en l'occurrence, qui est mêlée à la nature, et où on a l'impression que le temps s'est arrêté il y a littéralement un demi-siècle. Je ne vois pas du tout en quoi elle ressemblerait aux demeures de la bourgeoisie d'aujourd'hui, que j'ai représentées dans mes films plus contemporains, comme Demonlover ou bien Boarding Gate. Et c'est vrai qu'aujourd'hui, si on s'interdit ou qu'on place un jugement moral à la représentation d'un monde qui est au fond modeste mais habité par une sorte de beauté liée à notre histoire, à notre culture, on ferme la porte à beaucoup de choses dans le cinéma français. Dans ‘L’Heure d’été’, il y a une sorte de sous-texte, qui correspond à ma manière de faire une sorte d’épilogue contemporain aux ‘Destinées sentimentales’. J’ai donc repris Dominique Raymond, Jean-Baptiste Malartre, Charles Berling, mais aussi son fils Emile, qui courait dans nos pattes lors du tournage des ‘Destinées sentimentales’. J’ai aussi replacé ici et là certains accessoires. Il y a non seulement ce côté famille, mais également l’idée qu’on peut construire sur des strates consécutives. L’envie d’y reconstituer aussi mes strates, celles de mon cinéma, était une tentation très forte. | |||
Vidéos |
| ||
Distribution
Fiche technique
|