Le vol au couvent, dramatisé par les effets visuels et sonores qui suggèrent l'orage, devient de même une scène spectaculaire, à la frontière du cinéma d'effroi. Quant à la mort du Fou, elle est marquée par un sentiment de fatalité non pas spiritualiste, mais matérialiste : le Fou comprend que l'heure de sa mort est arrivée en voyant que sa montre a été cassée dans sa lutte avec Zampano. Enfin, Fellini montre d'abord l'errance finale de Zampano comme celle d'un ivrogne désespéré, et la mer a dans cette scène une valeur sentimentale et romanesque avant tout (elle évoque Gelsomina, qui l'aimait). C'est donc au plus près de ses personnages que se tient Fellini, au cœur d'une condition humaine dont ils ne peuvent nommer ce qui la transcende : Fellini n'exclut pas que ce soit l'amour chrétien, mais, ce qui est presque révolutionnaire dans l'Italie de 1955, il filme la rudesse, la maladresse et la vérité de l'amour tout court. Ce qui fait de La Strada un film plus humaniste que chrétien. La Strada est une œuvre qui suppose de la part de son auteur, en plus du génie d'expression, une parfaite connaissance de certains problèmes spirituels et une réflexion sur eux. Ce film traite en effet du sacré, je ne dis pas du religieux ni de la religion. Je parle de ce besoin primitif et spécifique à l'homme qui nous pousse au dépassement, à l'activité métaphysique, tant sous la forme religieuse que maintenant sous la forme artistique, besoin aussi fondamental que celui de durer. Il semble que Federico Fellini sache parfaitement que cet instinct est à la source des religions comme de l'art. Il nous le montre à l'état pur dans Gelsomina. Fellini et ses trois interprètes réussissent à nous décrire tant charnellement que mentalement et par le moyen de l'image, l'histoire servant à un tout autre but, des personnages mythiques et vrais. Ces trois héros vivent d'une vie esthétique parfaite. Ils nous arrachent cette émotion grâce à laquelle un personnage de lumière ou de papier prend pour une seconde une fulgurante réalité et demeure en nous. Ces séquences célèbres sont inoubliables: Gelsomina vendue par sa mère; les trajets sur les routes sur un lamentable triporteur roulotte ; la noce champêtre et la visite d'un enfant malade et reclus ; la rencontre de Gelsomina avec l'équilibriste, puis avec une religieuse dans un couvent; la bataille de Zampano avec Il Matto qui regarde sa montre brisée et tombe mort ; Zampano qui apprend la mort de Gelsomina, regarde le ciel et pleure sur la plage. Film vivement attaqué par la critique de gauche, en Italie, pour avoir perverti et trahit le néoréalisme. Il n'est pas douteux qu'Il matto (Le fou), sorte d'archange volant sur une corde raide, développe une parabole chrétienne, quand il explique à Gelsomina: "si je savais à quoi sert ce caillou, je serai le bon Dieu qui sait tout : quand tu nais ; quand tu meurs aussi. Ce caillou sert sûrement à quelque chose. S'il est inutile tout le reste est inutile, même les étoiles. Et toi aussi, tu sers à quelque chose avec ta tête d'artichaut". Mais ce thème est loin d'être le principal dans un film complexe, et avec le recul cette critique de la gauche italienne était bien injuste. Le film était d'abord une critique de la condition féminine, de la femme objet aussi passive qu'un caillou, tout juste créée pour faire l'amour et la cuisine.(Famille de Gelsomina dont le père est parti, obligeant la mère à vendre ses filles). Enfin on peut affirmer que La Strada est un film de personnages, mis en scène avec la sensibilité d'un portraitiste : Gelsomina, Zampano et le Fou accèdent, par leur expressivité, au rang de symboles. Leur simple confrontation fait naître une tension dramatique et tient lieu de scénario dans ce film dont la narration suit librement la route (la " strada "), à la manière d'un road-movie. Gelsomina est la sensibilité incarnée. Une sensibilité qui ne semble avoir aucune limite : pour les êtres humains, bons (le Fou, la jeune religieuse) ou mauvais (Zampano), pour les animaux (les insectes qui l'émerveillent au bord du chemin), pour les paysages (la mer) et pour l'art (la musique, les numéros de cirque). Cette sensibilité qui l'ouvre au monde, l'expose aussi, sans défense, à ses tourments. |
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Le Fou est un personnage angélique, aérien, cet équilibriste reconnaît en Gelsomina (que les autres croient folle) une âme sœur. Plus maître qu'elle du langage et de la pensée, il est conscient d'être exposé à la mort, qui le prendra pourtant par surprise : le Fou restera ainsi l'image de l'innocence. Zampano est d'une lourdeur bestiale, et coupable de meurtre (opposé au Fou), Zampano est défini négativement. Mais c'est sur lui que Fellini fait reposer le principal enjeu de La Strada : le triomphe final de la bonté, le retour à la sensibilité, peut-être à l'innocence. |
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Distribution
Fiche technique
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