Intervention divine

Intervention divine, film palestinien de Elia Suleiman, sorti en 2002.

Ce deuxième long métrage d'Elia Suleiman, Intervention Divine est sous-titré Chronique d'amour et de souffrance. Chronique est le bon terme car il indique qu'il ne faut pas s'attendre à une histoire dans ce film.
C'est un film politique mais ses qualités résident, outre son humour, dans son intelligence et sa finesse d'observation, son regard décalé, son refus aussi d'un manichéisme dont certains n'ont pourtant pas hésité à l'accuser à tort.

  • Titre original : Yadon ilaheyya
  • Réalisation : Elia Suleiman
  • Scénario : Elia Suleiman
  • Producteur : Humbert Balsan
  • Production: Palestine, France, Maroc, Allemagne
  • Image : Marc-André Batigne
  • Montage : Véronique Lange
  • Durée : 100 minutes
  • Langues: arabe, hébreu, anglais
  • Dates de sortie : 19 mai 2002 (Cannes); 2 octobre 2002 (France)
  • Récompense : Prix du Jury au Festival de Cannes 2002

Distribution:

  • Elia Suleiman : E.S.
  • Manal Khader : La femme
  • George Ibrahim : Santa Clause
  • Amer Daher : Auni
  • Jamel Daher : Jamal
  • Lufuf Nuweiser : Un voisin
  • Read Masarweh : Abu Basil
  • Bassem Loulou : Abu Amer
  • Salvia Nakkara : Adia
  • Naaman Jarjoura : L'oncle

Critique

Une histoire d'amour se déroule entre un Palestinien qui vit à Jérusalem et une Palestinienne de Ramallah. L'homme, - E.S., - évolue entre son père malade et cet amour, en s'efforçant de maintenir en vie l'un et l'autre du fait de la situation politique, la liberté de mouvement de la femme s'arrête au poste de contrôle militaire israélien situé entre les deux villes. Face à cette réalité, il se met à rêver... Il rêve notamment qu'à elle seule, cette femme pourrait détruire l'armée israélienne.

Le Père Noël court dans les collines. Des enfants le poursuivent. Étrangement, ils ne sont pas intéressés par les cadeaux qui tombent de sa hotte. Non, ce qu'ils veulent, c'est tout simplement poignarder le Père. L'action se passe à Nazareth, et ça fait au moins 60 ans, là-bas, qu'on ne croit plus au Père Noël.

Elia Suleiman fuit toute forme de narration classique pour décrire des situations qui se répètent encore et encore, apparemment tout le temps les mêmes, apparemment seulement car les axes de visions, eux changent, et avec ces changement naissent humour et ironie.

Le film est divisé en deux parties : Nazareth et Jérusalem.
Dans la première partie, on assiste à une vie de village, c'est-à-dire à des histoires de voisinages. La présence et la pression israéliennes sont quasi-inexistantes, ou du moins poussées dans l'arrière-plan. Mais la violence, elle, est présente, toujours, mais toujours aussi montrée avec humour. Tous ces villageois se comportent comme des enfants munis du pouvoir des adultes : le vieux qui rassemble des bouteilles de bières vides pour les lancer sur les patrouilles qui passent ou qui s'amusent à détruire une route pour gêner toutes les voitures, ou bien encore deux vieux qui prennent plaisir à regarder le spectacle de la ville, ou bien encore un type qui, chaque matin, lance ses poubelles dans le jardin de sa voisine.

Ces soucis de voisinage, drôles, petits et sans conséquences, ne sont là que pour suggérer et préfigurer un autre souci de voisinage, plus dramatique celui-là et surtout nettement moins drôle. Celui que l'on retrouve exposé dans la seconde partie.

Jérusalem. Un autre humour apparaît, plus spectaculaire : celui du fantasme. E.S, le personnage principal, apparaît en mangeant un abricot. Il lance le noyau par la fenêtre de sa voiture et explose un tank. Ces fantasmes vont grandissants et deviennent comme vitaux pour ce personnage témoin de la violence de l'occupation, de la violence de l'agonie de son père et de la violence de son histoire d'amour qui ne marche pas. Seulement, il ne peut pas réagir " normalement " à cette violence. Il ne peut rien dire et ne dit d'ailleurs pratiquement pas un mot durant tout le film, il ne peut rien faire, et surtout pas répondre aux provocations calculées et voulues des militaires israéliens.

Alors il rêve, et ces rêves deviennent de plus en plus violents pour être de moins en moins drôles, et culminent dans une scène ninja où la femme qu'il aime défait un commando israélien. Étrangement, la scène comporte nombre de gags qui fonctionnent sur le papier mais qui ne marchent pas à l'image. La violence à d'ores-et-déjà pris le dessus sur l'humour. Cette incapacité à réagir " normalement " face aux pressions de toutes sortes est le thème du film qui a été tourné à l'été 2001, juste avant l'explosion de la seconde Intifada.

Le film d'ailleurs se termine sur ce danger d'explosion dans une parabole très claire. E.S et sa mère regardent une cocotte-minute en train de siffler. La mère lui dit qu'il serait temps maintenant d'éteindre le feu. Et le film se finit avant qu'on sache si le feu a été éteint ou non.

Le conflit israélo-palestinien semble s’inscrire dans une durée quasi éternelle. Enclenché au lendemain de la seconde guerre mondiale, il est encore d’actualité et plus que jamais sa résorption demeure incertaine. Le film épouse cette longévité exceptionnelle du conflit en montrant en parallèle les trois générations qui l'ont connu. La première génération est aux portes de la vieillesse, la seconde est adulte et la troisième bien qu’inscrite dans l’enfance, pourchasse le bien malheureux Père Noël.

Les personnages âgés du film jettent leur surplus de colère renflouée sur leur propre voisinage et proclament d’une certaine façon une hypocrisie en forme de cercle. La frontière entre l’absurde et la folie s’amincit dès lors et se dilue dans un humour aux frontières du désespoir. Le temps d’une retraite paisible semble sabordé par l’absence d’équilibre que procure une vie ordinaire dotée d’une identité nationale libre.

La génération médiane, à travers le regard lent, triste mais digne d’Elia Suleiman, bien que meurtrie, se drape de l’habit du témoignage. Elle est témoin du mal et de la souffrance qui la frappe et annonce de ce fait sa résistance. L’abricotier, en ce sens, se transfigure en bombe antichar contre l’occupation, le regard fixe à un feu rouge, dans une logique de défi, scrute l’ennemi. Cette génération adulte porte l’espoir d’une façon significative. Elle croit en l’amour et à la patrie et va même jusqu’à légitimer un degré de folie à travers l’amour en le marquant sur des murs et des post-it : " Je suis fou parce que je t’aime ".

L’enfance, quant à elle, a perdu ses illusions. Elle signifie au Père Noël par un couteau de cuisine et des jets de pierres qu’il n’existe pas et n’a jamais existé pour elle. Puisque leur imaginaire, reflet de leur réalité est amputé du rêve et de l’innocence qui sied à leur génération.

Reste la représentation brute de la violence. Suleiman ne l'esquive pas totalement. D'abord en montrant la maison d'un collaborateur palestinien, cible d'un cocktail Molotov puis d'un mitraillage. L'homme y gagne une voiture flambant neuve offerte par les autorités israéliennes lesquelles, en échange, ont droit à un bon café arabe offert par le Palestinien. Mais la vraie scène de violence, surtout si l'on s'en tient au premier degré, est celle de la femme ninja. Un groupe d'Israéliens, membres de forces spéciales, ils ne portent pas d'uniformes s'entraînent au tir sur des cibles représentant des feddayin, le tout dans une véritable chorégraphie de comédie musicale très kitsch. Et la seule cible épargnée prend vie sous forme d'une femme, le visage caché par le keffieh traditionnel.

Suit alors une scène de combat, pure parodie des films asiatiques où la jeune femme (l'amie de E.S.) s'élève dans les airs, pirouette, et fige les balles de ses assaillants autour de sa tête en une figure évoquant tout à la fois l'auréole de sainteté et la couronne d'épine du Christ. Tous les hommes sont abattus l'un après l'autre par la femme armée de poignards-fléchettes et protégée d'un bouclier qui emprunte l'exacte forme de la carte de Palestine ! Tout est parodie dans cette scène, tout est exagéré, tout y est volontairement ridicule.

Suleiman déclare à propos de cette scène: "Le second degré est tellement flagrant (...) Quand le personnage du metteur en scène perd à la fois son père et sa compagne, il ressent le besoin de se réinventer dans sa tête une manière de victoire, pour faire revenir la femme qu'il aime. Mais c'est une victoire que je mets bien entendu entre guillemets: d'où la parodie du genre ninja, et aussi du film de propagande soviétique. (...) Comme toute la violence qu'on voit dans mon film, celle-ci est de l'ordre du fantasme personnel; mais en tant que pacifiste, je réduis ma propre violence au silence. Je castre volontairement ces pulsions de violence; c'est pourquoi, après la séquence ninja, on me voit totalement impuissant et inhibé, coupant des oignons pour arriver à pleurer. Bien sûr, il aurait été terrifiant de finir le film sur la séquence ninja: ici, je termine sur la frustration et la stase du personnage."

La violence, Elia Suleiman la voit, la constate, en témoigne. Y compris au fond de lui. Il en démonte l'absurdité. Son film nous apprend aussi à plusieurs reprises à nous méfier des apparences. Suleiman est un pacifiste, ami du réalisateur israélien Amos Gitaï avec qui il partage l'espoir sans cesse déçu d'une paix possible entre Palestiniens et Israéliens. Sa résistance, il choisit de la faire passer par l'ironie, l'humour, les symboles, la parabole, la poésie. Il a été critiqué aussi bien par les sionistes que par les Palestiniens radicaux. Mais il été chaudement soutenu par le camp de la Paix et aussi par le jury du Festival de Cannes 2002 qui lui a décerné son Prix.