Effroyables jardins

Effroyables jardins , film français de Jean Becker, sorti en 2003.

Dans ce film tiré du court roman éponyme de Michel Quint, Jean Becker se tourne vers la France rurale qu’il affectionne et la saisit à travers deux périodes charnières, 1944 et la fin de l’occupation allemande et 1958 et la fin de la France traditionnelle.

  • Réalisation : Jean Becker
  • Scénario original : Michel Quint
  • Adaptation et dialogues : Jean Cosmos, Guillaume Laurant et Jean Becker
  • Musique originale: Zbigniew Preisner
  • Date de sortie : 26 mars 2003
  • Durée : 100 minutes

Distribution:

  • Jacques Villeret : Jacques Pouzay
  • André Dussolier : André Designy
  • Thierry Lhermitte : Thierry Plaisance
  • Benoit Magimel : Émile Bailleul
  • Suzanne Flon : Marie Gerbier
  • Isabelle Candelier : Louise
  • Victor Garrivier : Charles
  • Bernie Collins : Bernt

Critique

Dans les années 1950, Jacques, un instituteur de province, se rend en famille, comme tous les ans, dans la petite ville où il a vécu la période de l'occupation pour y faire un numéro de clown. Quand André, le grand ami de Jacques, se rend compte que le fils de Jacques ne s'amuse pas beaucoup pendant le spectacle, il lui raconte leur histoire qui a provoqué cette vocation de clown.

On revient alors sur la période de la fin de l'occupation allemande en France. Jacques et André sont de bons amis, avec la belle Louise qui s'occupe d'un petit café que les deux hommes fréquentent. Sur une impulsion, ils vont commettre un acte de résistance désuet. Mais cet acte va leur donner envie de plus grande ambition, d'autant plus qu'il s'agit pour les deux rivaux, de séduire la belle Louise, ils vont donc faire exploser un poste de commande d'aiguillage ferroviaire. Pour cela, André placera l'explosif pendant que Jacques attirera l'attention du gardien, ce qu'il fera à l'aide d'un lance-pierre et de grimaces.

Malheureusement, le poste de commande n'était pas vide, et le vieux cheminot présent est très gravement brûlé et ne pourra pas survivre. Mais les deux hommes ne vont le savoir que plus tard. Le soir même, le trio fête cette victoire autour d'un si rare cassoulet. Les Allemands font alors irruption et prennent les deux hommes, ainsi que plusieurs autres personnes du village pour faire un groupe de 4 otages qui seront fusillés si les auteurs du méfait ne se dénoncent pas.

Pour prison, ils sont jetés dans un trou plein de boue, dans une carrière. Leurs compagnons d'infortune ne les croirons même pas quand il diront qu'ils sont coupables. Pour les sauver, il ne leur reste que la pitié du cheminot qui est mourant sur un lit d'hôpital et qui va prétendre être le responsable de l'explosion, mais aussi un soldat allemand qui, plein d'humanité et d'humour, les aidera à surpasser ce moment grâce à ses clowneries qui lui vaudront la mort.
Au retour dans la salle de spectacle, le petit garçon voit d'un autre œil son père refaire les clowneries de ce soldat allemand et comprend ainsi le sens de cette vocation, qui est loin de paraître aussi ridicule qu'il le pensait.

Le titre, énigmatique, fait référence à un poème de Guillaume Apollinaire, Les grenadines repentantes : ([…] et que la grenade est touchante / Dans nos effroyables jardins.) Les mots de ces deux vers peuvent avoir pour l’écrivain un double sens : la grenade évoque le fruit dans le verger mais elle peut se comprendre comme l’arme offensive employé dans le pays, puisque c’est bien de l’occupation de la France par les armées allemandes en 1940 dont il s’agit. Ce cadre permet au réalisateur de montrer des gens ordinaires d’une petite ville de province pris dans un engrenage infernal qui les dépasse.

Le film passe sans cesse de la comédie au drame à travers la tragédie qui se noue et pousse les personnages à aller jusqu’au bout d’eux-mêmes. Pour résoudre le dilemme qui leur est posé, ils doivent choisir entre la vanité, la puérilité, la lâcheté, le courage et le sens du sacrifice. Le réalisateur, loin de tout manichéisme, sait nuancer son propos et n’oppose pas les bons Français aux méchants Allemands, mais, bien plutôt, l’humour, l’humanisme et la générosité à la bêtise et à la barbarie. C’est l’épreuve qui, au-delà des postures ostentatoires, révérera le véritable caractère de chacun.

Emprisonnés dans un trou, ô combien symbolique, leur salut viendra aussi de l’inoubliable Bernt dont le souvenir restera dans notre mémoire de spectateur. Les acteurs confirmés interprètent avec plaisir et conviction des personnages tous plus vrais et sympathiques les uns que les autres, avec leurs qualités et leurs défauts, au cours de cette plongée dans le passé de la France rurale, à peu près identique en 1944 et en 1958, finement et amoureusement observée par un cinéaste chaleureux et qui reprend la tradition de son père Jacques Becker.

Le film s’achève, après la fin du retour en arrière, sur le fils de Jacques réconcilié avec son père. Cette scène sert de conclusion au propos central du réalisateur : il est vital que le devoir de mémoire et la dette d’humanité, soient honorés. Il va de soi que le message est clair : notre époque ne peut oublier, elle non plus, ce qu’elle doit au passé. Pour sa part, et malicieusement, Jean Becker a rendu un hommage émouvant à son père, Jacques Becker, auteur en 1959 d’un chef-d’œuvre du cinéma français, Le Trou, d’une part, en situant son film à cette époque ; d’autre part, en installant ses personnages dans un trou, précisément.