Les Cagots à Campan et en Bigorre

L'existence des Cagots se retrouve à Campan comme dans l'ensemble du Sud-Ouest. Ce phénomène semble avoir pris naissance vers l'an mil pour se terminer au 19ème siècle, très progressivement. Ces coutumes, peu glorieuses, prenaient la forme d'un racisme populaire, en général condamné par les puissants, mais fortement ancré localement.
A la différence des discriminations fondées sur la race, la religion, la langue qui peuvent être relayées par des théoriciens ou des politiques sans scrupules, cette ségrégation est restée locale et le plus souvent arbitraire: La naissance dans une famille de cagots suffisait à établir pour le reste de la vie la condition de Cagot. Cette mise à l'écart et la spécialisation dans certains métiers évoque les basses castes de l'Inde.

Origine des Cagots

Les explications les plus diverses ont été données quand à l'origine des Cagots. Il est d'ailleurs vraisemblable qu'au cours des siècles des populations d'origines diverses se soient mélangées. Leurs origines sont probablement aussi diverses que la multitude de noms dont on les affublait, et qui ont chacun une explication.
Le terme de Cagots tire ses origines d' un mot béarnais signifiant lépreux, et qui apparaît dans les textes vers l'an 1300. La lèpre désigne au moyen-âge différentes maladies; la lèpre rouge est presque toujours mortelle; la lèpre blanche ou lèpre tuberculeuse présente des signes semblables, mais peut se stabiliser. Mais tous ces malades inspirent la peur de la contagion et sont isolés hors des villages.

L'éloignement des Lépreux hors du camp date de l'ancien testament, voir cet extrait du Lévitique, mais au moins après guérison et rite de purification long et complexe, la réintégration dans la cité est prévue.


Lépreux, gravure du 13ème siècle

Certains auteurs ont évoqué aussi d'autres origines pour les cagots, des apports étrangers à une population locale isolée à l'origine pour cause de maladies: Lors de la Reconquista de l'Espagne par les catholiques certains musulmans furent convertis de force et trouvèrent refuge dans les hautes vallées des Pyrénées. De même les Cathares, persécutés et, pourquoi pas, certaines communautés juives pourraient avoir grossi le flot des parias.

En effet, en 1320, sous le court règne de Philippe V le Long (1316-1322), des famines et la révolte des pastoureaux sèment la terreur. Les Juifs et les Lépreux sont accusés par la rumeur d'empoisonner les fontaines et les puits, les Juifs étant censés payer les lépreux pour commettre ces méfaits.
A Crécy, le 18 août 1321 Le Roi ordonna que l'on brûle les coupables par "une Lettre de mainlevée du Roy contre les lépreux du royaume accusez d'avoir empoisonné les eaux des puids et des fontaines pour estre jugez et condamnez par les juges des barons et des seigneurs des lieux".
Ce qui fut fait massivement, d'autres furent contraints à l'exil. Mais à l'époque la Bigorre échappait à l'autorité du roi et a pu servir de refuge à ces persécutés.

Extension géographique et différents noms donnés aux Cagots

C'est essentiellement au Nord de l'Espagne et au Sud-ouest de la France que se retrouve le phénomène. Agots en Navarre, ils sont les premiers, en 1514 à se plaindre de leur sort au pape Léon X. Présents en Asturies, Pays Basque, Béarn, Gascogne, ils sont nommés, outre les noms déjà cités, Gahetz, Gafets, Agotas, et en Bigorre Graouès ou Cascarrots. Ils sont nombreux à Bordeaux et appelés Ladres ou Gahetz Mais on trouve aussi des traces en Anjou sous les noms de Capots, ou Gens des Marais, et en Bretagne: Caqueux, Caquins ou Caquouss.

Un des autres noms très utilisés pour les Cagots est Crestiaas ou Christianus; il fournit une autre piste pour leur origine. En effet ce terme désignait les chrétiens ariens ( religion arianiste ) Cette religion est adoptée par les Lombards, les Wisigoths, les Ostrogoths. Ces peuples d'abords conquérants sont ensuite vaincus par les Francs. Il est possible que les descendants se soient réfugiés à l'écart des villes et se soient mélangés aux lépreux. Dans les textes anciens, christianus est accolé à leprosus et même utilisé à sa place.

Les Cagots sont aussi appelés Giézitains, Gésitains, Gésites en référence au personnage biblique Guéhazi, serviteur d'Elisée, qui fut non seulement lépreux, mais aussi cupide et même lépreux à cause de sa cupidité. L'ancien testament, 2 Rois chapitre 5, nous raconte comment la lèpre était censée se propager par les vêtements, mais aussi par faute morale. Ces termes étaient donc à la fois d'origine savante et très méprisants.

Le sort des Cagots

Un ensemble de préjugés et de discriminations ont marqué l’histoire des Cagots. A l’origine en partie justifiés par la peur de la contamination par la lèpre, ils se perpétuent arbitrairement.

L’absence de lobe de l’oreille, les pieds et les mains palmés peuvent s’expliquer par des restes de maladies, mais ne sont pas héréditaires. Ils sont décrits comme goitreux, mais le goitre est une maladie typique des populations privées de nourriture iodée. L’isolement et la consanguinité expliquent des cas d’arriération.
Certains documents décrivent les Cagots comme petits ,râblés et très bruns, d’autres comme grands aux yeux bleus… ce qui écarte toute origine raciale homogène .

Un grand nombre de prescriptions pèsent sur eux, certaines sont orales, mais d’autres sont transcrites dans les « fors » (lois) de Navarre et du Béarn des 12ème et 13ème siècles.
Les Cagots ne doivent pas approcher les autres hommes, ils ne doivent pas habiter dans les mêmes quartiers, ils seront séparés à l’église et n’auront pas le même bénitier. Ils ne devrons pas marcher pieds nus ( ce qui était courant pour les pauvres) et devront signaler leur approche par une crécelle. Ils ne pourront pas posséder de bétail ni manipuler de la nourriture.
Dans ces conditions ils ne peuvent souvent compter que sur la charité, en particulier de l’Église et de certaines fondations destinées à subvenir aux besoins des lépreux revenus des Croisades.

A Marmande en 1396 le règlement précise que les Gahets devront porter, cousu sur leur vêtement de dessus, coté gauche, un signal de tissu rouge , long d’une main et large de trois doigts ; Hitler et son étoile jaune n’avait vraiment rien inventé !


Les métiers des Cagots

Interdit de contact direct avec les autres habitants, la terre et les aliments, les Cagots vont trouver des métiers compatibles avec ces croyances.
Un préjugé va devenir favorable: Le bois ne transmet pas la lèpre. On verra ainsi tendre de l'eau bénite au bout d'un bout de bois ou apporter du pain au bout d'une fourche.
Mais ils pourront être charpentier, tonnelier, charrons. Comme la plupart des instruments de torture sont en bois, en ville, ils seront aussi bourreaux, ce qui n’améliorera pas leur réputation.
Les femmes seront tisserandes.


Charpentiers , d'après un vitrail du Moyen-Age

La lente lutte des Cagots vers l'intégration

La trace la plus ancienne de la lutte des Cagots pour la liberté et la dignité situe en Navarre. En 1514 les Agots de Navarre s'adressent au Pape Léon X, se plaignant de discriminations dans les églises. Léon X répond par une bulle de "les traiter avec bienveillance sur le même pied que les autres fidèles" et confie l'exécution de cette bulle au chanoine de Pampelune Don Juan de Santa Maria.
Mais la mise en pratique provoqua des procès interminables, malgré l'appui en 1524 de Charles Quint, Empereur.

Pendant plus de trois siècles, le scénario se répète: brimades des Cagots, procès gagnés, appui du haut clergé et des princes, mais résistance des autorités locales et du peuple.

En France, en 1683, et en échange d'une forte somme d'argent ( destinée à racheter les impôts dont ils étaient dispensés jusque là), une Lettre patente de Louis XIV "affranchit" les Cagots. Il semble que cette lettre soit restée à l'état de projet, mais après cette date, les Cagots gagnent presque tous leurs procès. Par ailleurs, ils payent la taille.

Les Parlements de Toulouse et de Bordeaux jugent de nombreuses affaires dans un sens favorable aux Cagots:
-affaire de Montbert en 1699
-affaire de Cagots de Biarritz, commencée en 1680 et conclue seulement en 1724, sous la signature de Montesquieu, Président à mortier.
- affaire de Condom en 1706
- affaire des Gésitains des Landes 1718
-affaire des Cagots d'Orx 1735

M de Montesquieu,
auteur d'un jugement en faveur des Cagots de Biarritz

Enfin, sous Napoléon Ier, la dernière trace notable prend la forme d'une lettre du Ministre de l'Intérieur au préfet de Tarbes Chazal, sur "l'état actuel des caqueux ou cagots qui formaient jadis une caste distincte, notamment en Bigorre".

Le préfet répond (extraits): "Cette race longtemps proscrite...était autrefois fort nombreuses dans la Bigorre.. Cette longue aversion s'est adoucie, en particulier les portes latérales et les bénitiers séparés ne leur sont plus assignés exclusivement...Dans l'opinion des indigènes, c'est encore déshonorant de s'allier à une famille de cagots...mais les familles ne sont plus distinguées que par de très anciennes traditions locales dont le souvenir s'efface chaque jour"

Dans les faits, la Révolution Française n'avait pas suffi à effacer ces discriminations. Il y faudra la révolution industrielle, le brassage de la première Guerre Mondiale et l'exode rural.

Les Cagots à Campan

La trace la plus évidente des Cagots à Campan reste les noms de lieux. Les cagots ont été isolés sur la rive droite de l'Adour, étroite et humide, confirmant ainsi le fait que l'eau, purificatrice, devait préserver le reste de la population.
Le pont, en aval, qui relie les deux rives, se nomme Ponts des Cagots ou Pont des Charpentiers, le chemin sur la rive droite, le Chemin des Charpentiers.
Les archives de Campan gardent des traces des discriminations subies par les Cagots, mais elles sont subtiles et les termes injurieux n'apparaissent jamais dans les textes municipaux ou paroissiaux, à l'exception d'un acte de décès de 1687 où une femme est qualifiée de Chrestiane. Les Cagots sont seulement identifiés par leur profession, charpentier, maistre charpentier ou fustier ou par le lieu d'habitation " au delà de la rivière de la Dour", alors même que les textes anciens précisant rarement la profession et le quartier.
Ce n'est pas le cas à Asté où un notaire précise dans un acte en 1618: " Jean Castaède, gésitain" et " Bernard Artigala, maître Fustier et gésitain".

Autour de 1580, les Cagots obtiennent le droit de construire une chapelle, Saint Sébastien, au lieu dit le Pré de Ferrand, à proximité du pont, elle sera entourée d'un petit cimetière.

En 1597 l'église de Campan est ravagée par un incendie. Les Cagots sont chargés de reconstruire la charpente.

En février 1680 Jean Caparroy, vicaire général du diocèse de Tarbes visite l'église de Campan et ordonne que la muraille qui sépare le fond de l'église du reste soit détruite. C'est derrière celle-ci que les Cagots assistaient aux offices.
Mais la discrimination demeure car il ordonne que les "maistres charpentiers" se tiendront à leur place habituelle, avec défense de se placer ailleurs. Ces bancs sont sous la tribune actuelle, et qui n'existait pas à l'époque.

On trouve encore trace du bénitier qui leur était réservé et marqué de la patte d'oie. Ce bénitier est situé sur le coté droit de l'ancien porche d'entrée, coté ouest de l'église, en face d'un bénitier rond destiné au reste de la population.

Le 19 novembre 1694, deux voleurs, étrangers à la commune volent et assassinent une femme, ils se réfugient dans un cabaret du bourg et pour couvrir leur fuite mettent le feu. Cet incendie se propage en raison d'un vent violent, détruit la halle, l'église et 70 maisons. La reconstruction de toute les charpentes, en particulier de l'Église et de la Halle, date de cet époque et a été réalisée par les Cagots.
De plus pendant les travaux, en 1695, plusieurs mariages sont célébrés par le prêtre dans la chapelle Saint-Sébastien.
C'est surtout de cette époque que datent les premiers mariages mixtes dans la paroisse, marquant les débuts d'une véritable intégration: Un Castaède épouse Marie Lacoste en 1691.

En conclusion, il n'y a pas de trace à Campan de discrimination très agressive, mais l'existence des Cagots y est avérée, pendant plus de huit siècles.


Le Pont des Cagots, vue en direction du Monné, vers 1910


Le bénitier des cagots

 


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