Biographie musicale, La Môme retrace la vie d’Édith Piaf, de sa
naissance à sa mort, entre New-York et Paris. De quoi est faite une légende ? Qu’est-ce qui fait la différence entre
une chanteuse populaire et la voix d’une nation ? Qu’est-ce qui, dans
une vie commencée dans la souffrance et la pauvreté, permet à une jeune
fille maladroite de se sortir des rues sordides du Paris d’après-guerre
pour se hisser aux sommets de la renommée internationale ? La Môme n'est pas une comédie musicale. Olivier ahan se situe du côté de la tragédie. Chez lui, filmer la vie de Piaf consiste à mêler divers temporalités (de l'enfance à la mort) dans le but de stigmatiser la souffrance. Il vaut mieux connaître bien la biographie de Piaf avant de voir le film, car celui-ci n'a rien de chronologique, ni de didactique. La Môme est un long tunnel dans la douleur, l'alcool, la drogue où la joie explose par fragments. Son film est ainsi hanté par la mort, la maladie. Il choisit les moments de la vie de Piaf les plus difficiles, n'épargne rien, fonce droit dans l'émotion entre larmes, rires et hystérie. La Môme se veut un film esquinté, abîmé, frêle mais énergique comme son modèle. Il traque l'origine de son talent dans les recoins les plus sombres de Piaf, espérant que naturellement de la vie à l'art le lien existe automatiquement. Premières minutes : la star s’effondre sur scène. Elle est à bout de force, mais elle trouve la ressource de demander à sainte Thérèse, sa patronne d’adoption, qu’elle prolonge encore un peu son séjour sur cette terre. Quand Piaf hurle qu’elle est une artiste, elle exprime une rage, celle qui la pousse à chanter malgré les médicaments et la drogue, la même qui la fait mener sa cour à la baguette. Elle n’affirme pas une vocation, elle résume un caractère trempé dans la misère et la rue, puis demeuré intact malgré les honneurs. Le temps consacré au travail est de même non seulement très bref, mais chargé moins d’enseignement que de soupçon : on y contraindrait une nature... Par ailleurs il y a bien quelques scènes au cours desquelles la chanteuse reçoit des auteurs ayant écrit pour elle, par exemple Charles Dumont lui offrant sur la pointe des pieds Non, je ne regrette rien. Mais son enthousiasme dès l’écoute du premier couplet n’est pas une affaire de répertoire ou de flair commercial. Il vient de ce qu’elle s’y reconnaît : cette chanson l’accroche parce qu’elle lui évoque ce qu’elle a vécu, et l’incite à continuer de vivre, malgré la mort de Marcel Cerdan. ahan ne lésine pas sur la reconstitution : bordel début de siècle, débauche de figurants et de bérets dans les cafés, cabarets, gouaille appuyée de Sylvie Testud et d’Emmanuelle Seigner... Chaque scène semble bruyamment faire revivre le peuple d'antan. Une telle exaltation d’un peuple passé n’est bien sûr pas propre à La Môme, mais l’intéressant est que ahan la reprenne à son compte via un personnage extraordinaire, par définition. A quoi ressemble par exemple, scène improbable mais joliment négociée, la poignée de mains new-yorkaise entre Piaf et Marlene Dietrich ? La première regarde la seconde avec émerveillement, comme une gamine,comme une fan ; la seconde ne dit pas à la première qu’elle l’admire, mais qu’en l’entendant elle a l’impression de rentrer instantanément à Paris. En résumé Piaf n’est pas n’importe quelle artiste : elle est populaire. Fille du peuple qui plaît au peuple, icône mais aussi figurante d’une essence française, quand la chanteuse sera interviewée sur une plage de Californie, c’est la journaliste qui paraîtra glamour,hollywoodienne, et elle banale, anonyme, franchouillarde. L'interprétation de tous les acteurs est remarquable, mais Marion
Cotillard est exceptionnelle. Le fait qu’elle ne puisse donner de la voix
la contraint et l’incite en même temps à s’exprimer autrement, dans un
registre proche du cinéma muet. Si l’actrice touche autant, c’est surtout
parce qu’elle est fidèle à l’esprit de la Môme : elle se donne à fond,
sans compter. Maquillée, méconnaissable ou non, Marion Cotillard donne
l’illusion de risquer sa peau dans cette incarnation. ahan ne sépare pas les étapes, ascension, grandeur et déchéance, mais mixe le tout, sans chronologie linéaire. Très tôt, la fin est montrée ; très tôt, le vieillissement survient à 40 ans, Piaf en fait 70. Rien n’est caché de la dégradation physique, rien non plus du visage ingrat de la chanteuse. Le corps n’est guère mieux, rachitique, voûté. À vrai dire la chanteuse n’est jamais jeune : quasi aveugle à neuf ans, défigurée par les boutons, puis marchant jambes arquées, dents en avant, voix éraillée, squelettique dans sa robe noire. Piaf avait le don de transformer sa laideur en beauté. Certains l’ont aidée, on voit notamment comment le compositeur Raymond Asso a mis en avant ses mains, clarifié sa diction. L’exceptionnel chez elle, c’est sa force de conviction, sa foi têtue, inébranlable, en l’amour, la chanson et… sainte Thérèse. Tout près de la Piaf décadente, morphinomane et alcoolique , il y a la Piaf dévote, qui supplie en embrassant sa petite croix portée au cou. D’un extrême à l’autre, la même personne qui abhorre la modération, la tiédeur. Le mal et le bien, l’amour et le chagrin, le succès et l’excès, l’un exacerbe toujours l’autre. C’est à travers ce double paroxysme que ahan est le plus inspiré. Olivier ahan, souvent maltraité à tort par la critique (quoique raillé à raison pour ses Rivières pourpres 2). connaît ici sa rédemption en révélant une force créative de visionnaire que l’on ne lui soupçonnait pas. Par son montage complexe et tout en finesse, et son incroyable sens de la mise en scène, il nous fait assister à la renaissance d’un cinéma populaire que l’on croyait perdu. Recourant au classicisme, notamment durant les scènes américaines qui renvoient à l’âge d’or d’Hollywood, il se détache de l’académisme de rigueur pour épouser par moments les voies modernes de l’onirisme. Le cinéaste peaufine chacun de ses plans pour qu’ils gagnent en réalisme d’époque ce qu’ils perdent en artificialité de studio, se refusant ainsi à la reconstitution léchée et désincarnée. A l’image de son actrice, il se réapproprie l’esprit des décennies parcourues et authentifie ainsi son œuvre, personnelle et intimiste. Tragique et romanesque. Sa Piaf est une mystique bouleversante. Marion Cotillard parle de la préparation
et de l'interprétation de son rôle: « J’ai demandé à ce qu’on engage un prof de chant : je voulais que le play-back soit parfait. Les chansons du film sont interprétées par Piaf elle-même ou par la chanteuse Jil Aigrot. Il y a des différences de style très marquées entre les époques, il y a un avant et un après Raymond Asso, le parolier qui lui a fait perdre un peu de la gouaille des débuts. J’ai appris les gestes, les respirations : le moindre battement de cil peut altérer l’interprétation. Mais ensuite, cette imitation, purement technique, procure une grande liberté : il faut que le jeu devienne un mécanisme pour que la vie puisse apparaître… A la lecture du scénario, je savais qu’il me faudrait trouver une voix “parlée”. Utiliser ma propre voix aurait été incohérent par rapport à la voix “chantée”. J’ai reculé le moment d’y penser, et puis j’ai eu l’idée de parler toutes les chansons. Comme si je récitais un texte. Au deuxième jour du tournage, j’ai entendu cette voix sortir de moi, qui n’était pas la mienne ! Quel choc ! C’était plus qu’une voix, d’ailleurs : j’ai senti dans mon corps la façon de marcher de Piaf. C’est presque mystique : à partir du moment où je l’avais vue, Piaf ne m’a presque plus lâchée. Ce n’est pas une histoire de possession, plutôt le sentiment d’être habitée. » « Il y a quatre Piaf , à quatre moments de sa vie. La jeunesse, à
ses débuts ; son séjour à New York, à l’apogée de sa gloire, où elle a
vécu son histoire d’amour avec Marcel Cerdan ; l’année 1959, avec les
séquelles de l’accident de voiture et le défi de remonter sur scène alors
que sa santé décline ; et l’agonie, en 1963. Les essais de maquillage
ont été un cauchemar : plusieurs maquilleurs se sont cassé les dents,
ce qui n’était pas rassurant, d’autant que certains rejetaient la responsabilité
de leur échec sur moi ! J’avais peur de la fin. Il y a un film qui montre Piaf, à Grasse, quelques jours avant sa mort, mais je n’ai pas voulu le voir. Comment jouer l’agonie, le délire d’une femme de 47 ans au corps déglingué ? J’ai passé la journée dans le lit où le personnage va mourir. C’était toujours limite. Quand elle crie : “mon petit Marcel !”, il suffit d’en faire juste un peu trop pour avoir l’air conne. » |
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